La lettre juridique n°220 du 22 juin 2006 : Contrats et obligations

[Evénement] Négociation des contrats informatiques et NTIC : les nouvelles problématiques rencontrées

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par Compte-rendu réalisé par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

le 07 Octobre 2010

Contrairement aux idées reçus, la problématique de la négociation des contrats informatiques ne revêt pas un caractère particulier, parce qu'elle est afférente aux nouvelles technologies, dont la maîtrise par les juristes de tous bords semble assurément moins certaine que celle de nos bons vieux contrats régis pleinement par notre législation de 1804. En effet, toute la difficulté de l'élaboration d'un contrat informatique équilibré tient, essentiellement, du fait de ce que l'on a coutume d'appeler : la contamination des contrats par le droit anglo-saxon. Et, cette influence certaine du droit anglo-saxon pose, évidemment, quelques problèmes d'interprétation, lorsque les concepts juridiques rapportés dans nos contrats soumis à la loi française demeurent d'une compréhension ou d'une appréhension évasive par les parties au contrat et, par suite, par le juge. Mais, comment éviter cette contamination, quand l'objet même de ces contrats informatiques est, bien souvent, d'origine anglo-saxonne, et tend à une diffusion mondiale, comme pour les logiciels libres ? C'est à ces questions épineuses que Valérie Sédallian, Avocat au Barreau de Paris et auteur d'un ouvrage, en collaboration avec Jérôme Dupré, consacré au Contrat d'achat informatique : Aspects juridiques et pratiques, et Fabienne Pirotte, Juriste "contrats et nouvelles technologies" à la Société Générale, ont bien voulu répondre, à l'occasion d'un atelier proposé par l'Association pour le développement de l'informatique juridique (ADIJ), le 13 juin dernier.
En préambule aux propos ici rapportés, nous nous excuserons auprès des défenseurs inconditionnels de la langue française et autres bien-respectueux de la loi "Toubon", pour mentionner un certain nombre d'expressions juridiques anglo-saxonnes, utiles intrinsèquement au développement et l'appréhension de ces problématiques.

1. L'influence du droit anglo-saxon sur les contrats informatiques français

Tout d'abord, rien n'est moins vrai que de dire que notre droit français, d'inspiration romaine, n'a pas été et n'est pas capable d'appréhender, seul, le droit informatique. En effet, si la pratique juridique a puisé, au cours des années 90, dans le "jargon" juridique anglo-saxon, c'est que les principaux interlocuteurs des entreprises clientes françaises étaient soit directement anglo-saxons, soit des filiales françaises de sociétés américaines ou anglaises. C'est donc bien sur la base d'un rapport de force évident, comme le souligne Fabienne Pirotte, en faveur des entreprises-fournisseurs de solutions informatiques, que l'on a assisté à un développement spectaculaire de clauses d'inspiration hautement anglo-saxonnes dans nos contrats informatiques français. En réalité, jusqu'en 2000, il n'y avait pas de réelle négociation des contrats informatiques sur le plan juridique ; seules les conditions financières étaient discutées. En cas de litige, les parties préféraient un règlement amiable, entre informaticiens chevronnés.

Ces contrats de source, plus que d'inspiration, anglo-saxonne présentaient de grandes différences d'avec les contrats habituellement signés par les sociétés françaises : ces derniers comptaient peu de clauses de responsabilité, privilégiant la responsabilité de droit commun (C. civ., art. 1151 N° Lexbase : L1252ABY) ; il y avait peu de pré-qualification des dommages ; enfin la "force majeure" n'était que peu définie au sein du contrat. Avec l'influence, ou le Diktat du droit anglo-saxon, selon que l'on se place du point de vue du fournisseur ou du client, c'est l'émergence de clauses nouvelles, auxquelles les services de gestion des achats des entreprises ont dû faire face. Et, ce n'est pas rien de dire que l'appréhension de la culture juridique, notamment, américaine, par les juristes français n'a pas été et n'est toujours pas aisée. L'influence de la loi américaine "Sabarnes-Oxley", votée en juillet 2002, sur les contrats négociés avec les groupes américains s'est fait durement ressentir, malgré les traductions européennes, comme la loi de sécurité financière (loi n° 2003-706, 1er août 2003, de sécurité financière N° Lexbase : L3556BLB).

En effet, la loi "Sabarnes-Oxley" qui découle directement de "l'affaire Enron" pose deux objectifs majeurs : détecter plus précocement les risques encourus par les actionnaires, et prévenir les comportements frauduleux des dirigeants, par des obligations de communication plus explicites et des peines encourues nouvelles ou aggravées. L'un des chaînons, pour parvenir à ces objectifs, est la prévisibilité et la comptabilisation des revenus réels et non plus des revenus susceptibles d'êtres engrangés. Aussi, certaines clauses-types sont apparues dans les contrats informatiques dont l'écriture témoigne d'une influence plus économique et financière que proprement juridique. C'est là toute la différence entre un contrat anglo-saxon qui régit les exceptions au gentlemen agreement, et le droit romain qui régit de manière positive les obligations établies entre les parties. Pourtant, "on mesure l'intelligence d'un individu à la quantité d'incertitudes qu'il est capable de supporter" ; mais Emmanuel Kant était assurément d'inspiration romano-germanique !

La clause de "recette", qui permet au client de renvoyer un logiciel qui ne répond pas à ses besoins, pouvant remettre en cause le revenu issu de la prestation prévue au contrat, a fait l'objet de toutes les attaques et aménagements possibles de la part des fournisseurs, le plus souvent, anglo-saxons.

La clause de "garantie", obligeant les fournisseurs à revoir leur copie et à corriger, sinon à restituer un logiciel opérationnel, pose, évidemment, un problème de reconnaissance du revenu issu de la prestation prévue au contrat.

Enfin, la clause de "responsabilité" pouvant être engagée à la suite d'un dommage du fait de l'utilisation du produit lui-même, entraîne des conséquences financières pour le fournisseur dont l'imprévisibilité ne cadre pas bien avec les canons de la loi "Sabarnes-Oxley".

Ainsi, cette loi pose un problème de négociation globale instituant un rapport de force dans la négociation juridique sur un fondement totalement financier. Et le plus incongru, c'est que ces principes n'ont, en principe, pas force de loi en France. Mais qui se souvient que la France se rapproche de l'Amérique d'un centimètre par siècle !

Par ailleurs, d'autres clauses ont pu faire l'objet de controverse entre clients français et fournisseurs anglo-saxons :

- la question du droit applicable et de la juridiction compétente, pour lesquels les filiales de sociétés étrangères entendaient appliquer, au contrat, le droit étranger ;

- la question des obligations des parties. La clause obligeant le fournisseur à réaliser "tous les efforts raisonnables [...]" pour accomplir son obligation pose un problème de concept. A quelle obligation française cette formule fait-elle référence ? Une obligation de moyen ou une obligation de résultat ? Si on opère une traduction littérale, le concept le plus proche n'est pas forcément celui émanant de la volonté initiale des parties ;

- la question de la garantie, avec l'irruption des clauses de "no warranty", clause d'exception à l'application de la garantie normalement offerte par le fournisseur, suivie d'une énumération plus ou moins importante du champ d'application de cette exception ;

- la question de la responsabilité, avec l'émergence des clauses de "no liability" et le plafonnement financier de la responsabilité, voire l'exclusion de la responsabilité par une pré-qualification des dommages indirects et cas de force majeure.

Il s'agit fondamentalement d'un problème d'équilibre des obligations et des clauses limitatives de responsabilité ; Fabienne Pirotte insistant sur la nécessaire bilatéralisation de l'ensemble des clauses, pour que s'amoindrisse un rapport de force dangereux pour l'économie du contrat informatique.

2. L'intégration des logiciels libres dans les projets

Passant sur la question de la validité contestée des licences afférentes à des logiciels libres, contestation aboutissant à ce que l'administration en fasse une utilisation contra legem, Valérie Sédallian souligne la complexité liée à l'interprétation de ces licences pour l'utilisateur et le rediffuseur éventuel.

Il existe différents types de licence pour logiciel libre : les licences académiques et les licences réciproques. Les licences académiques permettent le développement du logiciel propriétaire à partir de composants libres, sans obligation de reprendre la licence du code source (ex. : Apache ou BSD). A l'inverse, les licences réciproques précisent que les oeuvres dérivées doivent être diffusées sous la même licence (ex. : GNU, GPL, Cecill).

L'un des problèmes majeurs rencontrés par les juristes relève de la compatibilité de ces licences. En effet, pour combiner des programmes informatiques, bien souvent, les licences doivent être compatibles : aucun logiciel n'est créé ex nihilo. Aussi la question est parfois imminente : a-t-on le droit d'utiliser le code source en présence pour un développement et/ou pour une diffusion ?

Et, l'ambiguïté juridique est de mise : entre autoriser un "travail sur la base de..." ou une " utilisation pour dérivés...", les concepts et formules, le plus souvent, encore une fois, traduits du droit anglo-saxon, laissent pantois.

Les juristes attentionnés feront leur, un audit des logiciels utilisés par leur entreprise ou client au regard du droit de la propriété intellectuelle ; ils auront l'obligation d'identifier les logiciels open source, de dresser la liste des modifications apportées, et des références précises des licences correspondantes.

C'est à peu près tout ce qu'il y a dans la hotte du juriste français, tant les licences de logiciels libres ne font pas l'objet d'une contractualisation formaliste. Pour les clauses exclusives de responsabilité : quel interlocuteur acceptera de fournir des garanties pour un logiciel gratuit ?

Pour les clauses exclusives de garantie d'éviction, les risques financiers sont, ainsi, mis à la charge de l'acheteur. Par suite, on assiste à une véritable contamination des licences classiques : l'exonération de responsabilité des fournisseurs de logiciels propriétaires tend à gagner les fournisseurs de logiciels tiers issus des logiciels propriétaires. Enfin, la question de l'usage interne des licences de logiciels libres (dans le cadre d'un groupe de sociétés) reste épineuse du point de vue du droit d'auteur (ex. : la licence GPL mentionne un "usage" en matière de droit d'auteur, alors que la notion d'usage relève du droit commercial).

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