La lettre juridique n°199 du 26 janvier 2006 : Sociétés

[Jurisprudence] La requalification en société de fait d'une société dissoute continuant à fonctionner

Réf. : Cass. civ. 1, 13 décembre 2005, n° 02-16.605, M. Bernard Bouis c/ Mme Geneviève Seton, FS-P+B (N° Lexbase : A0331DM9)

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par Marine Parmentier, Avocat à la cour d'appel de Paris

le 07 Octobre 2010

La durée de vie d'une société ne peut excéder, en principe, quatre-vingt dix neuf années, les associés disposant, cependant, de la faculté de proroger l'être sociétaire (C. civ., art. 1838 N° Lexbase : L2009ABZ et art. 1844-6 N° Lexbase : L2026ABN). Ainsi, en principe, à l'arrivée du terme statutairement prévu, la société dissoute doit être liquidée. En effet, la dissolution de la société pour quelle que cause que ce soit, donc a fortiori pour cause d'arrivée de son terme statutaire, entraîne sa liquidation (C. civ., art. 1844-8 N° Lexbase : L2028ABQ). Pour autant, la question peut se poser de savoir ce que devient la société dissoute qui n'est pas soumise à la phase de liquidation. Continue-t-elle de fonctionner normalement ? Dégénère-t-elle en un groupement dépourvu de la personnalité morale ? Le législateur ne s'étant pas attardé sur cette question, la jurisprudence a dû faire oeuvre de création... Récemment, la première chambre civile de la Cour de cassation a eu l'occasion de rappeler qu'une société qui continue de fonctionner malgré la survenance du terme statutaire dégénère en une société de fait. Dans cette espèce, une SCP de médecins, non prorogée malgré la survenance de son terme statutaire, a continué ses activités.

L'un des associés, désirant se retirer de la société, s'est prévalu de la stipulation statutaire aménageant les modalités de retrait des associés. Les autres associés, pour contourner l'obligation qui était faite à la société de racheter les parts de l'associé retrayant, se sont retranchés derrière l'arrivée du terme statutaire.

Ils soutenaient que la personnalité morale de la société n'était maintenue que pour les besoins de sa liquidation. Or, le rachat des parts sociales d'un associé retrayant est étranger aux besoins de la liquidation. En conséquence, ce dernier ne pouvait prétendre qu'à l'attribution d'un boni de liquidation.

La cour d'appel, suivie par la Cour de cassation, n'a pas fait droit à ces arguments.

Les juges ont retenu que, postérieurement à l'arrivée du terme statutaire, l'activité commune s'était maintenue et que l'affectio societatis avait persisté, aucun des associés n'ayant songé à accomplir, en temps utiles, les formalités nécessaires à sa prorogation ou à prendre ultérieurement une quelconque initiative en vue de l'ouverture d'une procédure de liquidation.

Ces constatations font ressortir l'existence d'une société de fait et, en conséquence, les statuts de la société, dissoute par la survenance de son terme statutaire, continuent de régir les rapports entre les associés. L'associé retrayant était fondé, en l'espèce, à invoquer les dispositions statutaires aménageant l'exercice de son droit de retrait.

Tout d'abord, il y a lieu de relever la rigueur de qualification de la première chambre civile : en effet, il est devenu rare que les tribunaux respectent la distinction existant entre les notions de "société de fait" et "société créée de fait".

Elles correspondent à deux situations distinctes. Alors que la société créée de fait est révélée lorsque deux ou plusieurs personnes se sont comportées, en fait, comme des associés, sans pour autant accomplir les formalités nécessaires à la constitution d'une société, la société de fait est celle qui a été voulue par les associés mais qui est entachée d'un vice impliquant sa nullité. Le recours à cette notion permettait ainsi d'éviter les inconvénients de la rétroactivité de l'annulation de la société.

La notion de "société créée de fait" a été consacrée par le législateur en 1978, ce dernier ayant, au sein de l'article 1873 du Code civil (N° Lexbase : L2074ABG), précisé que la société créée de fait répond au même régime que la société en participation.

En l'occurrence, en suivant ces définitions, une société qui a été constituée régulièrement mais qui, malgré la survenance de son terme statutaire, continue ses activités doit donc recevoir la qualification de société de fait.

Cependant, cette distinction a perdu aujourd'hui beaucoup de son importance.

Par ailleurs, l'arrêt de la première chambre civile est intéressant puisque, à notre connaissance, c'est la première fois que cette chambre de la Haute juridiction se positionne sur cette question.

La Chambre commerciale a déjà eu l'occasion de préciser qu'une société qui, malgré sa dissolution, n'est pas liquidée et continue de fonctionner, doit être requalifiée en société de fait (voir, notamment, Cass. com., 22 janvier 1969, n° 67-11.922, Société H. Fayer c/ Société Reyrenn et autres N° Lexbase : A2613AUC). La Cour de cassation indiquait que cette société de fait ne faisait que continuer la société à responsabilité limitée préexistante et que les tiers, qui ont traité avec elle, savaient que les associés, qui n'ont jamais fait croire qu'ils s'engageaient personnellement, avaient limité leurs engagements à leurs apports : en conséquence, les associés de fait ne pouvaient être recherchés personnellement au-delà de leur engagement initial.

Toutefois, comme le souligne un auteur (M. Jeantin, Bull. Joly 1993 §134), cette solution est aujourd'hui critiquable parce que à l'époque des faits, jugés en 1969, la société de fait était pourvue de la personnalité morale.

Dans un arrêt plus récent, il a été décidé qu'une société dissoute, qui n'a pas engagé d'opérations de liquidation, doit être considérée comme une société de fait dépourvue de personnalité morale (CA Paris, 4ème ch., sect. A, 29 octobre 1990, n° 89-003383, Société Auguste Dormeuil c/ SA Dormeuil frères N° Lexbase : A9573A7P).

Toutefois, cette solution pouvait être critiquée puisque, par principe, une société dissoute conserve la personnalité morale pour les besoins de sa liquidation.

Le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté (Cass. com., 12 novembre 1992, n° 91-10.303, Société Auguste Dormeuil et compagnie c/ SA Dormeuil Frères N° Lexbase : A2247AGC).

De son côté, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a adopté une position différente : dans un arrêt du 3 février 1993, elle a précisé qu'une société, qui a pris fin par l'expiration du temps pour lequel elle a été constituée, sans que sa prorogation ait été décidée, survit pour les besoins de sa liquidation et ses statuts continuent de régir les rapports entre associés (Cass. civ. 3, 3 février 1993, n° 90-14.234, M. Fontaine c/ Résidence Concorde et autre N° Lexbase : A5423ABH).

Cependant, un auteur, commentant cet arrêt, hésite à approuver cette solution qui repose, selon lui, sur une erreur juridique qui "consiste à admettre que les statuts continuent à régir les rapports entre associés. Cette affirmation est en contradiction avec le mécanisme même de la dissolution de la société. Si la société est dissoute de plein droit, le pacte social ne peut survivre en tant que tel" (M. Jeantin, Bull. Joly 1993, §134).

Selon ce même auteur, "la seule solution admissible pourrait consister à considérer que lorsque la société est dissoute par la survenance du terme, cette société cesse d'être une société de droit, pour devenir une société créée de fait. [...] Le changement de qualification de société n'est donc ni illégitime, ni inopportun ; il est tout au contraire imposé par le passage inéluctable d'une situation de pur droit à une situation de fait".

Dans l'arrêt commenté, la première chambre civile opère bien la requalification de société de droit en société de fait, tout en affirmant que les statuts continuent de régir les rapports entre associés.

Cette solution ne nous semble pas, en l'espèce, critiquable.

En effet, l'article 1873 du Code civil soumet les sociétés créées de fait au régime des sociétés en participation. Or, il résulte de l'article 1871-1 du Code civil (N° Lexbase : L2070ABB) que "à moins qu'une organisation différente n'ait été prévue, les rapports des associés sont régis, en tant que de raison soit par les dispositions applicables aux sociétés civiles, si la société a un caractère civil, soit, si elle a un caractère commercial, par celles applicables aux sociétés en nom collectif".

Précisément, il ressort des faits de l'espèce commentée que les dispositions statutaires prévoyaient un régime spécifique en cas de retrait d'un associé.

En conséquence, et par pure application de l'article 1871-1 du Code civil, cet aménagement statutaire devait recevoir application malgré la dégénérescence d'une société de droit en société de fait.

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