La lettre juridique n°199 du 26 janvier 2006 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] L'interdiction du cumul de taxes sur le chiffre d'affaires : quand les Etats membres obtiennent la réouverture de la procédure orale devant la CJCE

Réf. : CJCE 21/10/05 C-475/03 Cremona

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par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA

le 07 Octobre 2010

Le 9 octobre 2003, le tribunal fiscal régional di Cremona en Italie a présenté une demande de décision préjudicielle à propos de la compatibilité d'une taxe régionale sur la production avec l'interdiction, posée par l'article 33 de la sixième Directive-TVA (N° Lexbase : L9279AU9), de taxes nationales sur le chiffre d'affaires autres que la TVA. La CJCE doit décider si la création d'une taxe assise sur la valeur ajoutée de toute entreprise mais en prenant la précaution d'en organiser différemment, du moins en apparence, le calcul et le paiement est ou non contraire à l'article 33 de la sixième Directive-TVA. Pour avoir suggéré une réponse positive, Monsieur l'Avocat général F. G. Jacobs a suscité une vive réaction de certains Etats membres (Conclusions de l'Avocat général M. F. G. Jacobs présentées le 17 mars 2005 ). Conscient des graves conséquences budgétaires italiennes d'une éventuelle constatation de l'incompatibilité de l'IRAP avec la sixième Directive-TVA, il proposait néanmoins de consulter les Etats membres et les institutions communautaires sur la limitation pour le passé et l'avenir de la portée d'une telle décision en rouvrant la procédure orale devant la CJCE. 1. La création d'une taxe sur la valeur ajoutée apparemment différente de la TVA

L'article 93 (ex-art.99) du Traité instituant la Communauté européenne dispose : "Le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen et du Comité économique et social, arrête les dispositions touchant à l'harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, aux droits d'accises et autres impôts indirects dans la mesure où cette harmonisation est nécessaire pour assurer l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur [...]". Sur le fondement de ce texte, plusieurs directives ont permis d'harmoniser la taxation de la valeur ajoutée dans les Etats membres de l'Union européenne. Le système actuel d'imposition du chiffre d'affaires procède de trois directives importantes : deux en date du 11 avril 1967 et une autre du 17 mai 1977 dite sixième Directive-TVA. Les deux directives de 1967 ont fixé les grands principes de la TVA. La première, à l'exception d'un article et d'un alinéa a été intégralement maintenue en vigueur par la sixième Directive. La CJCE s'y réfère fréquemment pour interpréter la sixième Directive-TVA, notamment son article 33, relatif au cumul de taxes sur la consommation. La deuxième Directive du 11 avril 1967 a cessé d'avoir effet dès l'entrée en vigueur de la sixième Directive (en France, le 1er janvier 1979). Elle conserve un certain intérêt car la jurisprudence communautaire s'inspire de son interprétation pour éclairer l'application de la sixième Directive-TVA.

La Directive du 17 mai 1977 s'intitule "sixième Directive en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur la valeur ajoutée : assiette uniforme". Cet objectif d'harmonisation de la TVA, conjugué avec l'interdiction du cumul de taxes sur le chiffre d'affaires doit permettre d'éviter que le fonctionnement du système commun de TVA soit compromis par des mesures fiscales d'un Etat membre grevant la circulation des biens et des services et frappant les transactions commerciales d'une façon comparable à la TVA (CJCE, 9 mars 2000, aff. C-437/97, Evangelischer Krankenhausverein Wien c/ Abgabenberufungskommission Wien et Wein & Co. HandelsgesmbH contre Oberösterreichische Landesregierung, spéc. § 20 N° Lexbase : A1940AWR ; RJF 7-8/2000, n° 1038).

L'interdiction faite aux Etats membres de lever un impôt sur le chiffre d'affaires autre que la TVA ne peut concerner que les prélèvements conçus comme la TVA. Tel serait le cas d'un impôt général sur la consommation de tous les biens et services frappant exactement la valeur ajoutée par chaque intervenant dans le cycle de production et de distribution, grâce à un mécanisme d'imputation de la TVA d'amont sur la TVA d'aval. Si un inventeur met au point, sans frais extérieurs, un procédé qu'il vend à un utilisateur 100 000 euros assorti d'une TVA de 19 600 euros et que ce dernier revend cette invention 200 000 euros augmentée d'une TVA de 392 000 euros, l'inventeur aura reversé 19 600 euros au Trésor et son client autant, en sorte que la TVA ne dépassera pas un montant égal à l'application du taux normal à la valeur ajoutée globale de 200 000 euros. Schématiquement, la valeur ajoutée représente le chiffre d'affaires moins les achats de biens et services supportés pour le réaliser (les consommations intermédiaires). La valeur ajoutée équivaut alors aux salaires augmentés de la marge de l'opérateur. Confrontons cette définition à l'IRAP italien.

Par décret législatif, en date du 15 décembre 1997, la République italienne a introduit une taxe, l'IRAP, à charge de toute personne, physique ou morale, privée ou publique, exerçant une activité économique indépendante. Toutefois, certains fonds communs d'investissement, certains fonds de pension et certains groupements d'intérêt économique européens en sont exonérés. L'assiette de l'IRAP due par les entreprises commerciales résulte de la différence entre les produits d'un exercice comptable, à l'exclusion des produits financiers exceptionnels et les charges, frais de personnel et financiers exclus. Illustrons par un cas simple : soit une entreprise ayant vendu pour 100 000 euros en N pour un prix de revient de 60 000 euros dont 10 000 euros de frais de personnel et 50 000 euros de dépenses grevées de TVA au taux normal, 20 % en Italie. L'assiette de l'IRAP serait de 100 000 - 50 000 = 50 000 euros. S'agissant de la TVA, elle serait de 20 000 euros sur les ventes mais, après imputation de la TVA sur les dépenses, 10 000 euros, il ne resterait que 10 000 euros à reverser au Trésor public. Ce montant correspond à l'application du taux de TVA italien de 20 % à une base de 50 000 euros, soit exactement l'assiette de l'IRAP.

Ce simple constat explique l'action de la Banca popolare, laquelle a, en 1999, demandé le remboursement de sommes versées au titre de l'IRAP durant cette année et les années précédentes, en soutenant que la taxe était illégale, notamment parce qu'elle était incompatible avec l'article 33 de la sixième Directive. N'obtenant pas satisfaction auprès de l'administration fiscale italienne, elle a saisi le juge qui a préféré se tourner vers la CJCE.

Selon une jurisprudence constante, l'article 33 de la sixième Directive-TVA "interdit aux Etats membres d'introduire ou de maintenir des impôts, droits et taxes qui ont le caractère de taxes sur le chiffre d'affaires [...]. Doivent en tout cas être considérés comme de telles mesures les impôts, droits et taxes qui présentent les caractéristiques essentielles de la TVA, même s'ils ne sont pas en tous points identiques à celle-ci" (CJCE, 29 avril 2004, aff. C-308/01, GIL Insurance Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise, § 31 et 32 N° Lexbase : A9950DB7 ; RJF 7/2004, n° 826). Les caractéristiques essentielles sont au nombre de quatre : elle s'applique de manière générale aux biens ou aux services ; elle est proportionnelle au prix de ces biens et de ces services, quel que soit le nombre de transactions effectuées ; elle est perçue à chaque stade du processus de production et de distribution ; elle s'applique sur la valeur ajoutée des biens et des services en question (arrêt "GIL Insurance", précité, § 33).

L'IRAP italienne frappe comme la TVA si elle réunit les mêmes caractéristiques. Dans la mesure où son fait générateur ne dépend que de l'existence, chez tout entrepreneur, en fin d'exercice, d'une différence positive entre le chiffre d'affaires réalisé sur les ventes et prestations de services et les consommations intermédiaires, l'IRAP s'applique, d'une manière générale, à toute consommation de biens ou de services. Elle apparaît d'autant plus générale que les collectivités publiques y sont soumises bien qu'elles ne soient pas assujetties à la TVA. De plus, les exportations ne bénéficient pas d'exonération, alors qu'elles échappent à la TVA. Selon le juge communautaire, un impôt sur la consommation ne caractérise pas un cumul de taxes sur le chiffre d'affaires si son champ d'application demeure substantiellement plus étroit que celui de la TVA (CJCE, 31 mars 1992, aff. C-200/90, Dansk Denkavit ApS et P. Poulsen Trading ApS, soutenues par Monsanto-Searle A/S c/ Skatteministeriet N° Lexbase : A0104AWR ; Petites Affiches, 1992, n° 79, p. 37). En l'espèce, le champ d'application de l'IRAP englobe celui de la TVA pour aller au-delà, et non l'inverse.

Le taux de 4,25 % de l'IRAP, sauf adaptations limitées, s'applique à tout chiffre d'affaires annuel diminué des charges annuelles. Si l'IRAP frappe les opérations commerciales de tout entrepreneur, chaque fois que des biens et services sont fournis pour réaliser de nouvelles opérations, l'IRAP est perçu jusqu'à consommation finale pour atteindre toute la valeur ajoutée durant le cycle économique par chaque opérateur.

Cependant, l'assiette étant la différence positive entre le chiffre d'affaires réalisé et les consommations intermédiaires, une valeur nette, l'imposition proportionnelle ne porte pas sur le prix de chaque bien ou service commercialisé. Cette globalisation permet à un opérateur de répercuter l'IRAP dans la mesure souhaitée. Les règles de TVA sont dépourvues d'une telle souplesse. Tout vendeur ou prestataire de services doit obligatoirement facturer de la TVA en appliquant le taux prévu au prix stipulé. Pourtant, rien ne lui interdit de réduire le prix hors taxe afin de diminuer le prix TTC et limiter l'effet de la TVA. La CJCE a déjà jugé que la possibilité de répercuter ou non une taxe comparable à la TVA ne devait pas déterminer son appréciation car des Etats pourraient être tentés de jouer sur ce critère pour établir des taxes sur la valeur ajoutée autres que la TVA (CJCE, 26 juin 1997, aff. C-370/95, (Facomare) (C-372/95) c/ Administración General del Estado, § 15 N° Lexbase : A5870AY3).

Cette différence de mode de calcul écarte d'autant moins la constatation d'un cumul de taxes que la CJCE n'exige pas une identité absolue (supra). Applicable à toute entreprise sur le chiffre d'affaires moins les consommations intermédiaires, l'IRAP est perçue à chaque stade du cycle économique et frappe toute valeur ajoutée. La Corte costituzionale a d'ailleurs jugé que l'IRAP est une taxe sur la valeur ajoutée (Concl.de M. l'Avocat général F. G. Jacobs, 17 mars 2005, § 18). De plus, la Cour de Luxembourg a précédemment déclaré contraire à l'article 33 de la  sixième Directive-TVA une taxe similaire à l'IRAP perçue comme un pourcentage "du montant total des ventes que chaque entreprise avait réalisées et des services qu'elle avait fournis au cours d'une période donnée, diminué du montant des achats de biens et de services effectués durant cette période par cette même entreprise sixième Directive une taxe similaire à l'IRAP perçue comme un pourcentage" (affaire "Dansk Denkavit et Poulsen Trading" précitée).

Le caractère général d'impôt sur la consommation de l'IRAP ne fait aucun doute. Seul son paiement en fin d'exercice et non lors de chaque consommation la distingue de la TVA. Or la CJCE n'exige pas les quatre caractéristiques en tous points identiques. Toutefois, rien ne lui interdit de changer d'avis pour privilégier l'apparence de différence juridique sur l'absence de différence économique. In fine, la décision apparaît éminemment politique. Il en va de même de l'éventuelle limitation de la portée pour l'avenir d'un éventuel arrêt de la CJCE déclarant l'IRAP prohibé par l'article 33, § 1, de la sixième Directive-TVA. A cet égard, la CJCE va au-delà de la demande de réouverture des débats formulée par Monsieur l'Avocat général F. G. Jacobs.

2. La réouverture de la procédure orale devant la CJCE

Les conclusions susmentionnées ne pouvaient qu'alerter les Etats membres dont la fiscalité frappe, autrement que par la TVA, la valeur ajoutée ou la différence entre les produits et les charges autres que salariales. Il convient notamment de s'interroger à propos de l'article 1647 E-I du CGI lorsqu'il prévoit un minimum de taxe professionnelle à l'encontre des entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse 7 600 000 euros, calculé sur la différence entre les recettes et les consommations intermédiaires. Néanmoins, ce minimum ne visant que les grandes entreprises, le caractère général nécessaire à l'identification d'un cumul de taxes sur le chiffre d'affaires ferait peut être défaut. Cette objection disparaîtrait si une réforme de la taxe professionnelle devait généraliser son application à la valeur ajoutée. De même, les propositions, notamment en France, de substituer une taxation de la valeur ajoutée aux cotisations sociales dues par les entreprises devraient susciter interrogation.

Si le contexte politique tend vers une extension des impôts sur la valeur ajoutée, la réponse aux questions posées par la CJCE aux principaux intéressés par l'affaire "Banca popolare" n'en prend que plus d'importance. Le 21 octobre 2005, le juge communautaire a rendu l'ordonnance suivante :

"1) La procédure orale dans l'affaire C-475/03 est rouverte.

2) L'audience de plaidoiries est fixée au 14 décembre 2005.

3) Les parties au principal, les Etats membres, le Conseil de l'Union européenne et la Commission des Communautés européennes sont invités à prendre position par écrit, dans un délai de quatre semaines à compter de la notification de la présente ordonnance, le délai de distance inclus, sur les questions suivantes :

a) Quels sont les critères permettant de qualifier une taxe de taxe ayant le caractère de taxe sur le chiffre d'affaires au sens de l'article 33, paragraphe 1, de la sixième Directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991, compte tenu de l'objectif de cette disposition et du fonctionnement du marché ?

b) Dans quelle mesure les opérations des banques sont-elles susceptibles de faire l'objet d'une taxe ayant le caractère de taxe sur le chiffre d'affaires au sens dudit article 33, paragraphe 1 ?

c) Eu égard aux points 72 à 88 des conclusions de M. l'Avocat général Jacobs, dans quelles conditions et de quelle manière peuvent être limités dans le temps les effets d'arrêts rendus par la Cour à titre préjudiciel ?"

Les réponses sollicitées par cette ordonnance n'ont pas encore fait l'objet de publication. Observons cependant que la question relative à la taxation des banques peut surprendre dans la mesure où la CJCE exclut tout cumul de taxes sur le chiffre d'affaires lorsque l'impôt concerné ne frappe qu'une catégorie de biens ou services (CJCE, 13 juillet 1989, aff. C-93/88, Wisselink en Co. BV et autres c/ Staatssecretaris van Financiën, § 20 N° Lexbase : A8598AUY, DF 1990, n° 6, comm. 252, concl. J. Mischo ; CJCE, 19 mars 1991, aff. C-109/90, Giant NV c/ Commune d'Overijse, § 14 N° Lexbase : A9343AUL, DF 1991, n° 43, comm. 2072 ; CJCE, 16 décembre 1992, aff. C-208/91, Raymond Beaulande c/ Directeur des services fiscaux de Nantes, § 16 [LXB= A9354AUY], DF 1994, n° 7, comm . 292 ; CJCE, 17 septembre 1997, aff. C-347/95, Fazenda Pública c/ União das Cooperativas Abastecedoras de Leite de Lisboa, UCRL (UCAL), § 36 N° Lexbase : A0308AWC ; EKW et Wein & Co, précité, § 24 ; CJCE, 19 septembre 2002, aff. C-101/00, Tulliasiamies et Siilin, § 101 N° Lexbase : A4535AZY, RJF 12/02, n° 1428 ; GIL Insurance e.a., précité, § 33) ou une catégorie de contribuables (CJCE, 7 mai 1992, aff. C-347/90, Aldo Bozzi c/ Cassa Nazionale di Previdenza ed Assistenza a favore degli Avvocati e dei Procuratori legali, § 14 N° Lexbase : A9547AU7, RJF 11/92, n° 1594). Sans doute s'agit-il de permettre à chaque Etat membre de confronter ses arguments à ceux des institutions communautaires, de sorte à rendre un arrêt après avoir entendu toutes les interprétations envisageables de l'article 33 de la sixième Directive-TVA. La même explication ne vaut pas s'agissant de la portée dans le temps des arrêts rendus par la CJCE à titre préjudiciel. En effet, si le juge communautaire s'est déjà maintes fois prononcé sur cette question, il n'a pourtant jamais admis une limitation pour l'avenir.

Sauf dispositions contraires, dans la mesure où l'interprétation du juge s'intègre au texte interprété, toute méconnaissance de la jurisprudence est une violation de la loi. La CJCE développe longuement cette position aux points 16 à 18 de l'arrêt "My Travel" (CJCE, 6 octobre 2005, aff. C-291/03, MyTravel plc c/ Commissioners of Customs & Excise N° Lexbase : A6731DKI, RJF 12/05, n° 1496, lire Y. Sérandour, La base d'imposition à la TVA des agences de voyages, Lexbase Hebdo n° 197 du 12 janvier 2006 - édition fiscale N° Lexbase : A6731DKI). En France, le contrôle des décisions de l'administration fiscale non conformes à la sixième Directive-TVA par suite d'une décision de la CJCE relève des articles L. 190, alinéa 2 et 3, (N° Lexbase : L7600HE9) et R. 196, l-c, du LPF . Cette rétroactivité naturelle de la jurisprudence signifie que si l'IRAP devait être jugée incompatible avec le droit communautaire, le droit des intéressés d'être remboursés remonterait à 48 mois. Selon le gouvernement italien, les remboursements pourraient atteindre 120 milliards d'euros (concl. précitées, § 73). Aussi sollicite-t-il une limitation des effets d'un éventuel arrêt défavorable à l'IRAP. A l'appui de sa demande, il invoque l'arrêt "EKW et Wein & Co" (précité, § 55 à 60)).

Cet arrêt, comme d'autres, sur le fondement du principe de sécurité juridique envisage la possibilité de limiter la portée rétroactive d'une décision sous deux conditions : que les intéressés aient agi de bonne foi et qu'il y ait un risque de répercussions graves (CJCE, 15 mars 2005, aff. C-209/03, The Queen c/ London Borough of Ealing, § 66 à 69 N° Lexbase : A3859DHE). En l'espèce, selon Monsieur l'Avocat général F. G. Jacobs, le projet italien d'IRAP a été mis en oeuvre après consultation de la Commission sans opposition de cette dernière (§ 77, 78 et 80). Il admet également le risque budgétaire couru par les régions italiennes en cas de condamnation de l'IRAP (79 et 80).

Reste à fixer la limitation de la portée rétroactive d'une éventuelle condamnation de l'IRAP. Au regard de la jurisprudence communautaire, aucune demande de remboursement de taxe acquittée ou exigible avant la date de l'arrêt déclarant une disposition interne incompatible avec la sixième Directive ne doit aboutir, sauf réclamation ou procédure antérieure (arrêt "EKW et Wein & Co", précité, § 60). Cependant, la publicité donnée à l'affaire IRAP par la presse italienne inspire plus d'audace à Monsieur l'Avocat général F. G. Jacobs puisqu'il propose de reporter la date d'effet d'un éventuel arrêt sanctionnant l'IRAP à une date laissant aux régions italiennes le temps de modifier leurs législations (§ 86). Cette innovation lui paraît d'autant moins surprenante que la CJCE aurait déjà su faire preuve d'adaptation (§ 87). Toutefois, s'agissant d'une limitation pour l'avenir de la portée d'un arrêt, il lui semble légitime de permettre à tout intéressé d'exprimer son analyse et ses propositions (§ 88). La CJCE l'approuve en élargissant à l'interprétation de l'article 33 de la sixième Directive la réouverture des débats.

Cette audace du juge communautaire ne peut qu'attiser la controverse française à propos de l'éventuelle reconnaissance, au profit du juge, du pouvoir de limiter dans le temps la portée de sa jurisprudence (lire J.-L. Aubert, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, 10ème éd., A. Colin, n° 170 et s ; Ph. Malaurie et P. Morvan, Introduction générale, 2ème éd., Defrénois, n° 352 et s ; Les revirements de jurisprudence, Rapport au premier Président de la Cour de cassation, ouvrage collectif, Litec 2005 ; T. Revet, La légisprudence, in mélanges, Ph. Malaurie, 2005).

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