Réf. : CJCE, 6 octobre 2005, aff. C-291/03, MyTravel plc c/ Commissioners of Customs & Excise (N° Lexbase : A6731DKI)
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par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA
le 07 Octobre 2010
"1) Une agence de voyages ou un organisateur de circuits touristiques, qui a, pour une période d'imposition, rempli sa déclaration relative à la taxe sur la valeur ajoutée en utilisant la méthode prévue par la réglementation nationale qui transpose en droit interne la sixième Directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (N° Lexbase : L9279AU9), peut recalculer sa dette de taxe sur la valeur ajoutée selon la méthode jugée conforme au droit communautaire par la Cour, dans les conditions prévues par son droit national, lesquelles doivent respecter les principes d'équivalence et d'effectivité.
2) L'article 26 de la sixième Directive 77/388 doit être interprété en ce sens qu'une agence de voyages ou un organisateur de circuits touristiques qui, contre le paiement d'un prix forfaitaire, fournit au voyageur des prestations acquises auprès de tiers et des prestations effectuées par lui-même doit, en principe, isoler la partie du forfait correspondant à ses prestations propres sur la base de leur valeur de marché, dès lors que cette valeur peut être déterminée. Dans un tel cas de figure, un assujetti ne peut utiliser le critère des coûts réels que s'il démontre que ce critère rend fidèlement compte de la structure réelle du forfait. L'application du critère de la valeur de marché n'est pas subordonnée à la condition qu'elle soit plus simple que celle de la méthode fondée sur les coûts réels ni à la condition qu'elle aboutisse à une dette de taxe sur la valeur ajoutée identique ou voisine de celle qui résulterait de l'utilisation de la méthode fondée sur les coûts réels. Dès lors :
- une agence de voyages ou un organisateur de circuits touristiques ne peut pas utiliser de manière discrétionnaire la méthode fondée sur la valeur de marché et
- cette dernière méthode s'applique pour les prestations propres dont la valeur de marché peut être déterminée, même si, dans le cadre de la même période d'imposition, la valeur de certains composants propres du forfait ne peut pas être déterminée dans la mesure où l'assujetti ne vend pas de prestations analogues hors forfait.
3) Il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer, au vu des circonstances du litige au principal, la valeur de marché des voyages en avion fournis dans l'affaire au principal dans le cadre des vacances à prix forfaitaires. Cette juridiction de renvoi peut déterminer ladite valeur de marché à partir de valeurs moyennes. Dans ce contexte, le marché basé sur les places vendues aux autres organisateurs de circuits touristiques peut constituer le marché le plus approprié".
La longueur de cette réponse tient à la difficulté du contexte qu'il faut exposer avant d'analyser la solution.
1. Le contexte
A) Le contexte textuel
A priori, la sixième Directive-TVA pose clairement le régime des agences de voyages en distinguant selon qu'elles fournissent ou non directement les prestations consommées. L'article 11, A, § 1, a), de la sixième Directive-TVA fixe la base d'imposition à hauteur de "tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l'acheteur, du preneur ou d'un tiers [...]". L'article 26 suivant institue un régime particulier pour les opérations des agences de voyages et des organisateurs de circuits touristiques. Il prévoit que :
"1. Les Etats membres appliquent la taxe sur la valeur ajoutée aux opérations des agences de voyages conformément au présent article, dans la mesure où ces agences agissent en leur propre nom à l'égard du voyageur et lorsqu'elles utilisent, pour la réalisation du voyage, des livraisons et des prestations de services d'autres assujettis. Le présent article n'est pas applicable aux agences de voyages qui agissent uniquement en qualité d'intermédiaire et auxquelles l'article 11 sous A paragraphe 3 sous c) est applicable. Au sens du présent article, sont également considérés comme agences de voyages les organisateurs de circuits touristiques.
2. Les opérations effectuées par l'agence de voyages pour la réalisation du voyage sont considérées comme une prestation de service unique de l'agence de voyages au voyageur. Celle-ci est imposée dans l'Etat membre dans lequel l'agence de voyages a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel elle a fourni la prestation de services. Pour cette prestation de services est considérée comme base d'imposition et comme prix hors taxe, au sens de l'article 22 paragraphe 3 sous b), la marge de l'agence de voyages, c'est-à-dire la différence entre le montant total à payer par le voyageur hors taxe à la valeur ajoutée et le coût effectif supporté par l'agence de voyages pour les livraisons et prestations de services d'autres assujettis, dans la mesure où ces opérations profitent directement au voyageur.
3. Si les opérations pour lesquelles l'agence de voyages a recours à d'autres assujettis sont effectuées par ces derniers en dehors de la Communauté, la prestation de services de l'agence est assimilée à une activité d'intermédiaire exonérée en vertu de l'article 15 point 14. Si ces opérations sont effectuées tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Communauté, seule doit être considérée comme exonérée la partie de la prestation de services de l'agence de voyages qui concerne les opérations effectuées en dehors de la Communauté.
4. Les montants de la taxe sur la valeur ajoutée qui sont portés en compte à l'agence de voyages par d'autres assujettis pour les opérations visées au paragraphe 2 et qui profitent directement au voyageur ne sont ni déductibles, ni remboursables dans aucun Etat membre".
La revente de prestations achetées est taxable sur la marge tandis que la fourniture directe de prestations de voyages relève de la TVA sur le prix de vente, comme toute opération. La CJCE est venue en précisée le sens en cas d'opérations complexes.
B) Le contexte jurisprudentiel
Le régime ci-dessus exposé ne s'applique pas qu'aux voyages internationaux. En effet, selon l'arrêt du 22 octobre 1998, Madgett et Baldwin (CJCE, 22 octobre 1998, aff. C-308/96 et C-94/97, Commissioners of Customs and Excise c/ T.P. Madgett, R.M. Baldwin et The Howden Court Hotel N° Lexbase : A7502AHC ; Rec. p. I-6229 ; RJF 12/98, n° 1521), le régime particulier de l'article 26 de la sixième Directive-TVA, bien qu'il vise à éviter les problèmes liés à l'acquisition de prestations dans différents Etats membres, a également vocation à s'appliquer lorsque les prestations sont fournies dans un seul Etat (§ 19). La CJCE a également estimé que cette application ne devait pas être limitée aux seuls opérateurs économiques qualifiés formellement d'agences de voyages ou d'organisateurs de circuits touristiques, mais qu'elle devait aussi être étendue aux hôteliers tels que MM. Madgett et Baldwin qui fournissent des services liés à des voyages acquis auprès de tiers, dès lors que ces services ne revêtent pas un caractère purement accessoire par rapport à leurs prestations propres d'hôteliers (arrêt précité, § 20 à 27). Cependant, lorsque la prestation vendue par une agence de voyages pour un prix forfaitaire est composée de prestations en partie achetées auprès de tiers et en partie fournies par elle-même, le régime particulier de l'article 26 de la sixième Directive-TVA ne s'applique qu'aux prestations fournies par des tiers (arrêt précité, § 32 à 35).
L'analyse se complique lorsque la prestation de voyage commercialisée comprend des prestations acquises auprès d'autres voyagistes et des prestations propres, surtout en cas de vente pour un prix forfaitaire. Se pose en effet la question de savoir quelle part du prix acquitté par le voyageur rémunère chaque catégorie de prestations. La taxation sur la marge des seules prestations acquises et revendues oblige à ventiler le prix forfaitaire entre les prestations acquises et les prestations fournies directement. Cette ventilation se résume à une soustraction du prix des prestations propres du prix global. Toute la difficulté réside dans la détermination du premier élément. Il semble peu probable que le prix d'un transport ou d'un séjour soit identique selon que le voyageur acquiert une telle prestation seule ou globalement, surtout en cas d'offres quantitativement importante.
Certains pays, comme le Royaume-Uni et Irlande du Nord préconisent de prendre en compte le coût effectif. Cette méthode complique la gestion fiscale. Il suffit d'évoquer le remplissage d'un avion pour s'en convaincre. Certains voyageurs n'ont acquis qu'un vol sec, d'autres un voyage avec séjour et/ou visites. Si l'on ajoute que la vente massive de voyages permet d'obtenir des tarifs privilégiés auprès des hôteliers et restaurateurs, il est aisé d'imaginer les difficultés de détermination des coûts effectifs des prestations propres fournies avec des prestations revendues. Néanmoins, si la tâche paraît difficile, elle n'est pas impossible avec une bonne comptabilité analytique ou plus simplement la règle de trois appliquée aux diminutions obtenues par rapport au prix des mêmes prestations proposées individuellement. Pourtant, certains voyagistes ont proposé de retenir la valeur de marché. Dans l'affaire "Madgett et Baldwin", ce choix avait pour seul effet de simplifier les calculs, non de modifier le montant de la TVA exigible sur la marge (arrêt précité, § 46). Cette neutralité conduisait apparemment le juge communautaire à dire pour droit que "qu'il ne peut pas être exigé d'un opérateur économique qu'il calcule la partie du forfait correspondant à ses prestations propres en appliquant le critère des coûts effectifs lorsqu'il est possible d'isoler cette partie du forfait sur la base de la valeur de marché de prestations analogues".
Le libellé de l'arrêt "Madgett et Baldwin" amenait à se demander s'il en irait encore de même si la valeur de marché dépassait le coût des prestations produites, la différence réduisant, à due concurrence, la marge globale à répartir entre la revente de prestations acquises et taxables sur la marge et les prestations propres passibles de la TVA sur le prix de vente. L'agence de voyages pourrait attendre de cette méthode une diminution de ses opérations imposables sur la marge sans droit à déduction de la TVA acquittée sur les prestations revendues voire une augmentation de ses opérations exonérées si ses propres prestations concernent des voyages exonérés de TVA. Tel est le problème de droit soulevé par l'affaire "My Travel".
Le système britannique paraît avoir ignoré la possibilité de se référer au marché. L'article 26 de la sixième Directive-TVA est transposé, au Royaume Uni, par l'article 53 de la loi de 1994 relative à la taxe sur la valeur ajoutée (Value Added Tax Act 1994), ainsi que par le règlement de 1987 relatif à la taxe sur la valeur ajoutée applicable aux organisateurs de circuits touristiques [Value Added Tax (Tour Operators) Order 1987]. Les dispositions de la réglementation nationale ont été précisées par la circulaire 709/5/88, puis par la circulaire 709/5/96 des Commissioners of Customs & Excise relative au régime de la marge des organisateurs de circuits touristiques (Tour Operators' Margin Scheme VAT Notice, "régime TOMS"). Ce régime exige que le montant total perçu par l'organisateur d'un voyage ou d'un circuit touristique soit ventilé entre les prestations acquises auprès de tiers et les prestations propres par référence au coût effectif de chaque composant.
A la suite l'arrêt "Madgett et Baldwin", la société Airtours, devenue My Travel plc, un organisateur de circuits touristiques soumis à la TVA au Royaume-Uni, qui avait calculé sa dette de TVA pour les années 1995 à 1999 en appliquant le critère des coûts effectifs à certaines prestations propres, a demandé à son administration nationale la possibilité de recalculer celle-ci, pour certaines années, en utilisant le critère de la valeur de marché. En l'espèce, cette valeur s'avérait supérieure au coût effectif. S'agissant de transports internationaux, ces prestations échappaient à la TVA. L'administration fiscale britannique a rejeté cette demande aux motifs que la méthode choisie par "My Travel" modifiait artificiellement les bases de calcul de la TVA et réduisait la dette de TVA. Ajoutons que ce voyagiste avait utilisé les deux méthodes selon les années, voire selon les prestations. La CJCE adopte une solution différente.
2. La solution
A) La rétroactivité de la jurisprudence communautaire
Cette affaire soulevait la question de savoir si une agence de voyages qui, dans le cadre d'une prestation globale, revend des prestations et en fourni directement d'autres peut choisir la méthode de calcul de la marge sur les prestations propres, en l'espèce, postérieurement au dépôt de ses déclarations de chiffre d'affaires. Avant d'indiquer le sens de l'arrêt "Madgett et Baldwin", dans la mesure où "My Travel" entendait revenir sur le calcul de sa TVA due pour la période passée, la CJCE devait se demander si la décision précitée pouvait avoir une portée rétroactive. Le juge étant l'unique interprète reconnu par le droit, la jurisprudence bénéficie d'une rétroactivité naturelle (lire, J.-L. Aubert, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, 10ème éd. A. Colin, n° 170 ; Ph. Malaurie et P. Morvan, Introduction générale, 2ème éd. Defrénois, n° 352 ; Les revirements de jurisprudence, Rapport au premier Président de la Cour de cassation, ouvrage collectif, Litec 2005 ; T. Revet, La légisprudence in Mélanges Ph. Malaurie, p. 377). Sauf prescription, toute application erronée d'une règle permet au justiciable concerné d'exiger un examen de ses droits et devoirs respectueux du sens exact des textes, celui décidé par le juge. En France, le contrôle des décisions de l'administration fiscale non conformes à la sixième Directive-TVA par suite d'une décision de la CJCE relève des articles L. 190, alinéa 2 et 3, (N° Lexbase : L5561GUI) et R. 196, l-c du LPF (N° Lexbase : L6486AEX).
La CJCE entend également voir sanctionner toute violation de la loi. Aux points 16 à 18 de l'arrêt "My Travel", elle précise en effet que "A cet égard, il convient de rappeler que, lorsque la Cour, dans le cadre de la compétence que lui confère l'article 234 CE , interprète une disposition du droit communautaire, elle précise le sens et la portée de cette disposition telle que celle-ci aurait dû être comprise et appliquée depuis son entrée en vigueur (voir, en ce sens, CJCE, 27 mars 1980, aff. C-61/79, Amministrazione delle finanze dello Stato c/ Denkavit italiana Srl, quest. préj., point 16 N° Lexbase : A5881AUD ; CJCE, 6 juillet 1995, aff. C-62/93, BP Soupergaz Anonimos Etairia Geniki Emporiki-Viomichaniki kai Antiprossopeion c/ Etat hellénique, point 39 N° Lexbase : A1750AWQ ; CJCE, 13 janvier 2004, aff. C-453/00, Kühne & Heitz NV c/ Productschap voor Pluimvee en Eieren, point 21 N° Lexbase : A8567DAK). Il n'en va différemment que lorsque, dans son arrêt, la Cour, à titre exceptionnel, limite dans le temps la portée de cette interprétation (voir, en ce sens, arrêts Denkavit italiana, précité, point 17 ; CJCE, 29 novembre 2001, aff. C-366/99, Joseph Griesmar c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, point 74 N° Lexbase : A5833AXC, et, pour une application récente de ces principes en matière de TVA : CJCE, 17 février 2005, aff. C-453/02 et C-462/02, Finanzamt Gladbeck, point 41 à 45 N° Lexbase : A7506DG4). Un arrêt rendu à titre préjudiciel a vocation à produire des effets sur des relations juridiques nées avant qu'il ait été rendu. Il en résulte, notamment, qu'une règle du droit communautaire ainsi interprétée doit être appliquée par un organe administratif dans le cadre de ses compétences même à des rapports juridiques nés et constitués avant le prononcé de l'arrêt de la Cour statuant sur la question préjudicielle (voir, en ce sens, l'arrêt du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz, précité, point 22). En l'absence de réglementation communautaire en matière de demandes de restitution de taxes, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque Etat membre de prévoir les conditions dans lesquelles ces demandes peuvent être exercées, ces conditions devant respecter les principes d'équivalence et d'effectivité, c'est-à-dire qu'elles ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des réclamations semblables fondées sur des dispositions de droit interne ni aménagées de manière à rendre pratiquement impossible l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire (voir, en ce sens : CJCE, 9 novembre 1983, aff. C-199/82, Administration des financés de l'Etat italien c/ SpA San Giorgio arrêts du 9 novembre 1983, San Giorgio, 199/82, point 12 N° Lexbase : A8408AUX et CJCE, 2 octobre 2003, aff. C-147/01, Weber's Wine World Handels-GmbH c/ Abgabenberufungskommission Wien, point 103 N° Lexbase : A6734C9B)".
Le contrôle des décisions de l'administration fiscale contraires au droit communautaire étant acquis, il restait à examiner la possibilité de choisir ou non entre les coûts effectifs et la valeur de marché des prestations propres d'une agence de voyages.
B) L'évaluation des prestations propres selon la valeur du marché
L'arrêt "Madgett et Baldwin" ayant apparemment justifié la substitution de la valeur de marché au coût effectif par la simplification des calculs et l'absence d'effet sur le montant de la TVA exigible, tout lecteur pouvait a priori en déduire qu'il s'agissait d'un préalable. La CJCE ne se prononçant qu'en droit et non en fait, la simplification attendue est une affirmation et non une condition. Au point 23 de l'arrêt "My Travel", le juge communautaire affirme que "l'utilisation du critère de la valeur de marché n'est pas subordonnée à la condition qu'elle soit plus simple que celle de la méthode fondée sur les coûts réels". Suspendre l'application de la méthode des coûts sur le marché à leur plus grande simplicité in concreto exposerait le redevable à l'éventuelle subjectivité de son administration voire à celle du juge interne. Une telle condition heurterait le principe de sécurité juridique, lequel induit certitude prévisibilité (CJCE, 13 mars 1990, aff. C-30/89, Commission des Communautés européennes c/ République française, § 23 N° Lexbase : A9781AUS ; CJCE, 27 octobre 1992, aff. C-74/91, Commission des Communautés européennes c/ République fédérale d'Allemagne, § 17 N° Lexbase : A0031AW3).
S'agissant de l'impact de la méthode adoptée sur le montant de la dette fiscale, sa mention dans l'arrêt "Madgett et Baldwin" venait à propos de l'espèce et non en réponse à la question préjudicielle portant sur l'interprétation de l'article 26 de la sixième Directive-TVA. Selon la CJCE "Il convient de constater que la circonstance selon laquelle l'utilisation de ces deux méthodes aboutit à calculer une dette fiscale analogue apparaît, en ce qu'elle est présentée entre tirets au point 46 de l'arrêt Madgett et Baldwin, précité, comme un élément surabondant". L'observateur apprendra qu'il faut savoir lire les arrêts de la Cour de Luxembourg. Remarque d'autant plus pertinente que la recherche des conséquences de la méthode choisie compliquerait la tâche des entreprises, résultat contraire à la simplification attendue de la méthode de la valeur sur le marché.
Restait la question essentielle de savoir si l'application du critère de la valeur de marché pour évaluer les prestations propres fournies par une agence de voyages pratiquant des prix forfaitaires doit être laissée à la discrétion du redevable. En l'espèce, My Travel souhaitait recalculer sa dette de TVA en utilisant le critère de la valeur de marché uniquement pour les années pour lesquelles son utilisation aurait eu pour effet de réduire sa dette fiscale de manière significative. Dans la mesure où l'assiette de la TVA est définie par la sixième Directive-TVA, telle qu'interprétée par la CJCE, une réponse positive paraissait peu probable. Sans disposition légale adéquate, le redevable ne saurait choisir sa base d'imposition. Or, le choix de l'assiette n'est ouvert, par l'article 26 bis B § 10 et 11 de la sixième directive-TVA, qu'au profit des assujettis-revendeurs de biens usagés. Encore faut-il préciser que ce choix n'existe qu'entre le prix de vente et la marge égale à la différence entre le prix de vente et le prix d'achat. Aucun article de la sixième Directive-TVA n'autorise à s'écarter de la contrepartie des opérations réalisées.
Par ailleurs, s'agissant de déterminer la base d'imposition des prestations fournies directement aux clients par une agence de voyages pratiquant la vente à prix forfaitaire, le système de la marge ne s'applique pas, ce dernier n'étant prévu qu'en faveur des prestations acquises et revendues. Les prestations propres relèvent alors du droit commun c'est-à-dire de l'article 11, A, § 1 a), de la sixième Directive-TVA. A suivre la jurisprudence communautaire, la base d'imposition représente la contrepartie réellement reçue par le redevable pour les biens ou les services qu'il a fournis, et non une valeur estimée selon des critères objectifs (CJCE, 23 novembre 1988, aff. C-230/87, Naturally Yours Cosmetics Limited c/ Commissioners of Customs and Excise, § 16 N° Lexbase : A7745ATZ ; DF 1989, n° 15, comm. 815, concl. Da Cruz Vilaça ; RJF 3/89, n ° 294 ; CJCE, 2 juin 1994, aff. C-33/93, Empire Stores Ltd c/ Commissioners of Customs and Excise, § 18 N° Lexbase : A7746AT3 ; RJF 7/94, n° 868 ; Madgett et Baldwin, préc. § 40 ; CJCE, 3 juillet 2001, aff. C-380/99, Bertelsmann AG c/ Finanzamt Wiedenbrück, § 22 N° Lexbase : A7747AT4). Il en résulte que la base d'imposition des prestations propres d'une agence de voyages ajoutées à des prestations revendues équivaut au prix de vente. L'admission, par l'arrêt "Madgett et Baldwin", d'un prix de vente estimé en fonction du marché ne vise qu'à simplifier la répartition de la marge globale entre les prestations propres et les prestations revendues, du moins lorsqu'il est possible d'identifier des prestations analogues sur le marché.
La substitution possible du prix du marché aux coûts effectifs ne se traduit pas par le libre choix du mode de calcul de la base d'imposition. Outre l'argument textuel précité, il convient d'opposer le principe de neutralité. Une telle liberté conduirait les intéressés à augmenter le montant bénéficiant d'un taux réduit voire d'une exonération, comme "My Travel". En sorte que selon le pays d'établissement, les agences de voyages bénéficieraient d'un avantage fiscal contraire au principe de neutralité de la TVA (§ 32). La CJCE rappelle que "le législateur communautaire, comme cela ressort du neuvième considérant de la sixième Directive, a voulu que la base d'imposition fasse l'objet d'une harmonisation afin que l'application du taux communautaire aux opérations imposables conduise à des résultats comparables dans tous les Etats membres". Cette harmonisation vise donc à garantir que des situations semblables d'un point de vue économique ou commercial fassent l'objet d'un traitement identique au regard de l'application du système de la TVA. Cette harmonisation contribue ainsi à garantir la neutralité de ce système" (§ 33).
S'il faut exclure le libre choix du mode de calcul du prix des prestations propres de l'agence de voyages qui commercialise des voyages à prix forfaitaire comprenant des prestations acquises, quelle marge de liberté lui reste t'il ? La substitution est-elle obligatoire ou peut-on admettre la méthode des coûts réels ? A cette question, la CJCE répond que "une agence de voyages ou un organisateur de circuits touristiques qui, contre le paiement d'un prix forfaitaire, fournit au voyageur des prestations acquises auprès de tiers et des prestations propres doit, en principe, isoler la partie du forfait correspondant à ses prestations propres sur la base de leur valeur de marché, dès lors que cette valeur peut être déterminée, sauf s'il est en mesure de démontrer que, pour la période d'imposition considérée, la méthode fondée sur le critère des coûts réels rend fidèlement compte de la structure effective du forfait" (§ 35). L'arrêt "Madgett et Baldwin" n'allait pas jusqu'à l'obligation de substituer. A le lire, par souci de simplification, le prix des prestations propres peut être déterminé à partir du prix des mêmes prestations sur le marché. L'arrêt "My Travel" impose la substitution sauf à démontrer que "le critère des coûts réels rend fidèlement compte de la structure effective du forfait". La valeur du marché devient le principe, le coût réel l'exception. Cette exception devient particulièrement intéressante lorsque le prix du marché s'avère inférieur aux coûts effectifs établis. La juridiction communautaire précise encore que "En outre, c'est à l'administration fiscale nationale et, le cas échéant, à la juridiction nationale qu'il appartient d'apprécier s'il est possible d'isoler la partie du forfait correspondant aux prestations propres sur la base de leur valeur de marché, et, dans ce contexte, de déterminer le marché le plus approprié" (§ 36).
Si la valeur de marché des prestations propres doit en principe être retenue, curieusement, alors que la CJCE n'accepte pas le choix de la valeur de marché selon l'intérêt du voyagiste, elle admet l'application des deux méthodes, coûts effectifs et valeur de marché, au sein d'une même prestation globale. Au point 38 de l'arrêt "My Travel", elle affirme en effet que "la circonstance que la valeur de marché ne puisse pas être déterminée pour l'intégralité des prestations propres fournies par l'assujetti ne saurait justifier de déroger à l'application de ce critère pour l'évaluation des prestations dont ladite valeur peut être connue. Dans un tel cas de figure, il est vrai que l'assujetti se trouve contraint de ventiler le prix forfaitaire en utilisant les deux méthodes de calcul pour les prestations propres. Pour autant, l'application ainsi combinée des deux méthodes ne devrait pas se heurter à des difficultés d'ordre pratique insurmontables". La comptabilisation distincte des éléments du voyage selon qu'il comprend ou non une partie en dehors de l'Union européenne, partie exonérée de TVA, voire des prestations acquises et des prestations propres démontre que les voyagistes sont déjà confrontés aux difficultés comptables engendrées par des prestations complexes. Il ne semble pas alors exagéré d'envisager l'application simultanée de la méthode des coûts effectifs et celle de la valeur de marché pour déterminer le prix des prestations propres (§ 39 et 40). Cette combinaison des deux systèmes de recherche du prix des prestations propres suppose l'impossibilité de déterminer la valeur de marché (§ 40).
S'agissant de la détermination de la valeur de marché, notamment des voyages en avion, le juge communautaire rappelle qu'il ne lui appartient pas de se prononcer sur les faits. Néanmoins, dans la mesure où la question préjudicielle porte sur les difficultés d'application de l'article 26 de la sixième directive-TVA en cas de prestations de voyages comprenant des prestations acquises dont la revente relève de la TVA sur la marge et des prestations propres taxables sur le prix de vente, la CJCE entend dire le sens de ce texte en pareille occurrence (§ 43).
Sans être obligatoire, la valeur moyenne de tels voyages apparaît appropriée. Selon la Cour de Luxembourg, "Une valeur moyenne peut s'avérer plus représentative lorsque, comme dans l'affaire au principal, les prix des prestations analogues vendues hors forfait présentent des variations importantes. La juridiction de renvoi, à laquelle il incombe d'identifier, dans chaque cas d'espèce, la valeur qui correspond le mieux à l'esprit de la sixième directive peut donc légitimement déterminer la valeur de marché des voyages en avion vendus par MyTravel dans le cadre des vacances à prix forfaitaire sur la base du prix de vente moyen de billets d'avion vendus par cet assujetti pour la même destination ou une destination comparable. Il appartiendra à cette juridiction d'apporter à ces moyennes les corrections nécessaires pour tenir compte, par exemple, du fait que, dans le cadre des forfaits, des places d'avion sont offertes aux enfants des voyageurs gratuitement ou à prix réduits. Compte tenu de ce qui précède, il convient de répondre à la seconde question qu'il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer, au vu des circonstances du litige au principal, la valeur de marché des voyages en avion fournis dans l'affaire au principal dans le cadre des vacances à prix forfaitaires. Cette juridiction peut déterminer ladite valeur de marché à partir de valeurs moyennes. Dans ce contexte, le marché basé sur les places vendues aux autres organisateurs de circuits touristiques peut constituer le marché le plus approprié" (§ 44 et 45).
Une autre question surgit : si l'agence de voyages ne commercialise pas isolément ses propres prestations, est-il possible de retenir la valeur de marché de prestations analogues proposées par d'autres opérateurs ? Le point 36 de l'arrêt "My Travel" laisse aux autorités internes le soin "d'apprécier s'il est possible d'isoler la partie du forfait correspondant aux prestations propres sur la base de leur valeur de marché, et, dans ce contexte, de déterminer le marché le plus approprié". Sauf nouvel arrêt contraire, chaque Etat membre devra prendre en considération le prix sur le marché proposé par l'opérateur concerné. Tel est le sens implicite du point 41 in fine de l'arrêt "My Travel" lorsqu'il affirme que "cette dernière méthode [valeur de marché] s'applique pour les prestations propres dont la valeur de marché peut être déterminée, même si, dans le cadre de la même période d'imposition, la valeur de certains composants propres du forfait ne peut pas être déterminée dans la mesure où l'assujetti ne vend pas de prestations analogues hors forfait".
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