Réf. : CJCE, 22 novembre 2005, aff. C-144/04, Werner Mangold c/ Rüdiger Helm (N° Lexbase : A6265DLM)
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N2944AKA
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Haute Alsace
le 07 Octobre 2010
Décision
CJCE, 22 novembre 2005, aff. C-144/04, Werner Mangold c/ Rüdiger Helm (N° Lexbase : A6265DLM)
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Résumé
Le droit communautaire et, notamment, l'article 6, paragraphe 1, de la Directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale qui autorise, sans restrictions, à moins qu'il n'existe un lien étroit avec un contrat de travail antérieur à durée indéterminée conclu avec le même employeur, la conclusion de contrats de travail à durée déterminée lorsque le travailleur a atteint l'âge de 52 ans. |
Faits
La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation des clauses 2, 5 et 8 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, mis en oeuvre par la Directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999, concernant l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, ainsi que de l'article 6 de la Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail. |
Solution
L'article 6 § 1 de la Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale allemande (art. 14 § 3 de la loi du 23 décembre 2002) qui autorise, sans restriction, à moins qu'il n'existe un lien étroit avec un contrat de travail antérieur à durée indéterminée conclu avec le même employeur, la conclusion de contrats de travail à durée déterminée lorsque le travailleur a atteint l'âge de 52 ans. |
Commentaire 1. Le CDD senior en droit allemand : régime juridique L'article 1er de la loi allemande visant à promouvoir l'emploi, telle que modifiée par la loi du 25 septembre 1996 (BGBl. 1996 I, p. 1476), prévoit que les contrats de travail à durée déterminée sont autorisés pour une durée maximale de 2 ans. Dans cette limite maximale totale de 2 ans, un contrat à durée déterminée peut être renouvelé 3 fois au maximum. Mais, par exception à ce principe, les contrats de travail à durée déterminée sont autorisés sans limitation de durée si le travailleur a atteint l'âge de 60 ans au moment où commence la relation de travail à durée déterminée. Cette réglementation était applicable jusqu'au 31 décembre 2000. La Directive 1999/70 mettant en oeuvre l'accord-cadre a été transposée dans l'ordre juridique allemand par la loi sur le travail à temps partiel et les contrats à durée déterminée et portant modification et abrogation de dispositions du droit du travail, du 21 décembre 2000 (BGBl. 2000 I, p. 1966). Cette loi est entrée en vigueur le 1er janvier 2001. L'article 14 de cette loi, qui réglemente les contrats à durée déterminée, précise qu'il est licite de conclure un contrat de travail à durée déterminée lorsqu'il y a une raison objective de le faire (besoin d'une prestation de travail provisoire ; fixation d'une durée déterminée faisant suite à une formation ou à des études afin de faciliter l'entrée du travailleur dans la vie active ; remplacement d'un autre travailleur ; spécificité de la prestation de travail justifiant la fixation d'une durée déterminée ; limitation liée à une période d'essai ; motifs tenant à la personne du travailleur justifiant la fixation d'une durée déterminée ; rémunération sur des fonds budgétaires prévus pour un travail à durée déterminée ; durée déterminée fixée d'un commun accord devant un juge). La conclusion de contrats de travail à durée déterminée est autorisée en l'absence de raison objective dans la limite de 2 ans (un contrat à durée déterminée peut être renouvelé 3 fois au maximum). Mais, la conclusion d'un contrat de travail à durée déterminée n'est pas autorisée lorsque le travailleur a déjà bénéficié d'une relation de travail à durée déterminée ou indéterminée avec le même employeur. Enfin, selon la loi du 21 décembre 2000, la conclusion d'un contrat de travail à durée déterminée n'est pas subordonnée à l'existence d'une raison objective lorsque le travailleur a atteint l'âge de 58 ans au moment où la relation de travail à durée déterminée a commencé : cette disposition évoque le "CDD senior", tel que mis en place par les partenaires sociaux en droit interne par l'ANI ouvert à la signature le 13 octobre 2005. La fixation d'une durée déterminée n'est pas licite lorsqu'il existe un lien étroit avec un contrat de travail précédent à durée indéterminée conclu avec le même employeur. Un tel lien étroit est à présumer, notamment lorsque l'intervalle entre les deux contrats de travail est inférieur à 6 mois. L'article 14 § 3 de la loi du 21 décembre 2000 a été modifié par la première loi du 23 décembre 2002 (BGBl. 2002 I, p. 14607). Applicable au 1er janvier 2003, le "CDD senior" allemand obéit à un nouveau régime juridique. La conclusion d'un contrat de travail à durée déterminée n'est pas subordonnée à l'existence d'une raison objective lorsque le travailleur a atteint l'âge de 52 ans (au lieu des 58 ans initialement prévu) au moment où la relation de travail à durée déterminée a commencé. La fixation d'une durée déterminée n'est pas licite lorsqu'il existe un lien étroit avec un contrat de travail précédent à durée indéterminée conclu avec le même employeur. Un tel lien étroit est à présumer lorsque l'intervalle entre les deux contrats de travail est inférieur à 6 mois. Ce recul de l'âge à partir duquel un senior peut être embauché dans le cadre d'un CDD (52 ans au lieu de 58 ans) a vocation à s'appliquer jusqu'au 31 décembre 2006. Ce "CCD senior" allemand participe clairement d'une politique de vieillissement actif, dont le droit interne s'est inspiré par l'ANI ouvert à la signature le 13 octobre 2005. L'arrêt rapporté de la CJCE, très précieux, permet d'élaborer l'amorce d'un régime juridique de ce type de mesure pour l'emploi, notamment en le soumettant au principe de non-discrimination. 2. La non-discrimination selon l'âge, condition de validité des politiques de vieillissement actif 2.1. Politique de l'emploi et principe de discrimination : pas d'incompatibilité de principe La Directive 2000/78 a établi un cadre général pour lutter, en matière d'emploi et de travail, contre les discriminations fondées, notamment, sur l'âge (art. 1). Or, l'article 14 § 3 de la loi allemande du 21 décembre 2000, en prévoyant la possibilité pour les employeurs de conclure, sans restriction, des contrats à durée déterminée avec des travailleurs ayant atteint l'âge de 52 ans, instaure une différence de traitement directement fondée sur l'âge. Pourtant, la Directive 2000/78 (art. 6 § 1) dispose que les Etats membres peuvent prévoir que de telles différences de traitement ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires. De telles différences peuvent concerner, notamment, la mise en place de conditions spéciales d'accès à l'emploi et à la formation professionnelle d'emploi et de travail pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d'assurer leur protection, ainsi que la fixation de conditions d'âge dans certaines hypothèses particulières. Ainsi, pour la CJCE (arrêt rapporté), cette législation allemande a clairement pour objectif de favoriser l'insertion professionnelle des travailleurs âgés au chômage, dans la mesure où ces derniers se heurtent à des difficultés importantes pour retrouver un emploi. La légitimité d'un tel objectif d'intérêt général ne saurait être raisonnablement mise en doute, ainsi que la Commission l'a d'ailleurs elle-même reconnu. Un objectif de cette nature doit, en principe, être considéré comme justifiant objectivement et raisonnablement, ainsi que le prévoit l'article 6 § 1, alinéa 1er, de la Directive 2000/78, une différence de traitement fondée sur l'âge édictée par les Etats membres. 2.2. Politique de l'emploi et discrimination : exigence de proportionnalité Encore faut-il vérifier, selon les termes mêmes de la Directive 2000/78, si les moyens mis en oeuvre pour réaliser cet objectif légitime sont appropriés et nécessaires. Les Etats membres disposent incontestablement d'une large marge d'appréciation dans le choix des mesures susceptibles de réaliser leurs objectifs en matière de politique sociale et d'emploi. Toutefois, l'application du droit allemand du CDD aboutit, en l'espèce, à une situation dans laquelle tous les travailleurs ayant atteint l'âge de 52 ans, sans distinction, qu'ils aient ou non été en situation de chômage avant la conclusion du contrat et quelle qu'ait été la durée de la période de chômage éventuel, peuvent valablement, jusqu'à l'âge auquel ils pourront faire valoir leur droit à une pension de retraite, se voir proposer des contrats de travail à durée déterminée, susceptibles d'être reconduits un nombre indéfini de fois. Cette catégorie importante de travailleurs, déterminée exclusivement en fonction de l'âge, risque -durant une partie substantielle de la carrière professionnelle de ces derniers- d'être exclue du bénéfice de la stabilité de l'emploi, laquelle constitue pourtant, ainsi qu'il ressort de l'accord-cadre, un élément majeur de la protection des travailleurs. Cette législation allemande, parce qu'elle retient l'âge du travailleur pour unique critère d'application d'un contrat de travail à durée déterminée, sans qu'il ait été démontré que la fixation d'un seuil d'âge, en tant que tel, indépendamment de toute autre considération liée à la structure du marché du travail en cause et de la situation personnelle de l'intéressé, est objectivement nécessaire à la réalisation de l'objectif d'insertion professionnelle des travailleurs âgés au chômage, selon la CJCE, va au-delà de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi (arrêt rapporté). En effet, le respect du principe de proportionnalité implique que chaque dérogation à un droit individuel concilie les exigences du principe d'égalité de traitement et celles du but recherché (CJCE, 19 mars 2002, aff. C-476/99, H. Lommers c/ Minister van Landbouw, Natuurbeheer en Visserij N° Lexbase : A0395A7R). La législation allemande du CDD n'est pas justifiée au titre de l'article 6 § 1 de la Directive 2000/78. Cette décision rendue par la CJCE doit être approuvée. Comme l'a rappelé l'Avocat général dans ses conclusions, la loi du 21 décembre 2000 permet certes aux travailleurs allemands une amélioration dans leur recherche d'un nouvel emploi, mais au prix d'être, par principe, exclus à titre permanent de la garantie du travail à durée indéterminée. 3. Portée de la jurisprudence de la CJCE en droit interne 3.1. Le "CDD senior" (ANI 13 octobre 2005) La création d'un contrat à durée déterminée spécifique au public des seniors a été proposée par les partenaires sociaux dans l'ANI du 13 octobre 2005 relatif à l'emploi des seniors (art. 17). La suggestion avait été faite, d'une certaine manière, par l'Igas en 2004. Ce contrat à durée déterminée, d'une durée maximum de 18 mois renouvelable une fois, serait conclu uniquement avec un salarié de plus de 57 ans, inscrit comme demandeur d'emploi depuis plus de 3 mois ou en convention de reclassement personnalisé. L'objectif de ce CDD serait de permettre à son titulaire d'acquérir, par son activité, des droits supplémentaires en vue de la liquidation de sa retraite à taux plein. La proposition n'a pas fait l'unanimité dans les rangs des syndicats de salariés. On lui reproche la stigmatisation des seniors auquel il va donner lieu ; argument de faible portée, parce que les nombreuses formules contractuelles mises en place au nom des politiques publiques de l'emploi, à destination des jeunes, conduisent au même résultat, pour cette catégorie. L'idée même de la discrimination positive, qui consiste à identifier et repérer une catégorie particulière de la population active, rencontrant de graves difficultés sur le marché du travail, conduit nécessairement à la stigmatiser. Il a été proposé de mobiliser le contrat initiative-emploi (tel que refondu par la loi de cohésion sociale) en adaptant ses modalités, permettant ainsi de ne pas créer un nouveau type de contrat de travail tout en ayant un dispositif plus efficace pour garantir le retour des chômeurs âgés vers l'emploi. Il est vrai qu'une réflexion doit être engagée sur la cohérence et l'articulation entre ce nouveau CDD et les contrats de travail spéciaux existant, destinés notamment aux travailleurs âgés sans emploi, qu'ils relèvent du secteur marchand (contrat initiative-emploi, contrat d'accompagnement, Cirma) ou du secteur non-marchand (contrat d'avenir). Il faut également s'interroger sur le respect d'un tel contrat à durée déterminée avec le principe général de non-discrimination en fonction de l'âge. 3.2. Pas de recours indéterminé du CDD pour les seniors en droit interne français Comme le relève l'Avocat général, la loi allemande du 21 décembre 2000 admet qu'un travailleur âgé de 52 ans puisse se voir imposer un contrat de travail à durée déterminée d'une durée pratiquement illimitée (en l'occurrence 13 ans, donc jusqu'à l'âge de 65 ans, âge légal de la retraite) ou des contrats de travail à (courte) durée déterminée renouvelables un nombre indéterminé de fois, avec un ou plusieurs employeurs jusqu'à cet âge. En outre, le seuil de 52 ans est en pratique réduit de deux années supplémentaires, étant donné que l'article 14 de la loi du 21 décembre 2000 exclut un engagement à durée déterminée lorsque le travailleur a déjà eu une relation de travail à durée indéterminée, mais non, en revanche, si un contrat à durée déterminée avait précédemment été conclu avec lui, contrat qui, sur la base des autres dispositions de la loi du 21 décembre 2000, peut précisément durer jusqu'à 2 ans. En définitive, suivant l'interprétation du juge national, le droit allemand du CDD finit par permettre que les travailleurs engagés à durée déterminée pour la première fois à l'âge de 50 ans révolus puissent être par la suite employés à durée déterminée sans aucune restriction, jusqu'à l'âge de leur pension. Ces deux critiques, qui obèrent sérieusement la pertinence de la loi du 21 décembre 2000, ne peuvent pas mutadis mutantis être transposées à l'ANI du 13 octobre 2005 (droit interne). En effet, les partenaires sociaux ont bien pris le soin de limiter dans le temps le recours au CDD senior, qui n'est valable que pour une durée déterminée de 36 mois (18 mois, renouvelable une fois). Cette durée de trois années n'a pas été choisie par hasard : dans la mesure où le bénéficiaire d'un CDD senior ne pourrait conclure un tel contrat qu'à compter de 57 ans, il atteindrait ainsi l'âge de 60 ans à la fin de son CDD, âge où l'intéressé peut prétendre au bénéfice d'une retraite à taux plein, dans la mesure où il cotisé suffisamment longtemps (au sens de la loi du 21 août 2003 n° 2003-775, portant réforme des retraites N° Lexbase : L9595CAM). Surtout, le contrat CDD senior, tel que proposé par les partenaires sociaux dans l'ANI du 13 octobre 2005, ne peut encourir la critique formulée par la CJCE (arrêt rapporté) au CDD allemand (tel qu'il résulte de la loi du 21 décembre 2000) de porter atteinte au principe de non-discrimination selon l'âge. En effet, l'ANI sur l'emploi des seniors poursuit un objectif de politique de l'emploi et les moyens mis en oeuvre pour réaliser cet objectif légitime sont appropriés et nécessaires : en effet, contrairement au droit allemand (loi du 21 décembre 2000, qui vise indistinctement tous les salariés de 52 ans, qui sont éligibles au CDD senior allemand du seul fait de leur âge), l'ANI cible une population spécifique, qui souffre plus que les autres catégories de salariés, de discriminations négatives sur le marché du travail, les salariés de plus de 57 ans, inscrits comme demandeurs d'emploi depuis plus de 3 mois ou en convention de reclassement personnalisé. Les CDD seniors français, ciblés sur une population précise et clairement identifiés, ne paraissent donc pas a priori attentatoires au principe de discrimination selon l'âge, au sens de la Directive 2000/78. Un tel régime va au-delà de ce qui est nécessaire pour favoriser l'insertion professionnelle des travailleurs âgés sur le marché du travail. |
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