La lettre juridique n°197 du 12 janvier 2006 : Sociétés

[Jurisprudence] La responsabilité personnelle de l'associé lors de la révocation du dirigeant

Réf. : Cass. com. 22 novembre 2005, deux arrêts, n° 03-19.860, Mme Catherine Mesny c/ M. Jacques Horovitz, F-D (N° Lexbase : A7444DLB) et n° 03-18.651, M. Laurent Coudène c/ M. Patrice Daly, F-D (N° Lexbase : A7440DL7)

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le 07 Octobre 2010

La responsabilité du dirigeant social à l'égard de l'associé a reçu une éclatante consécration dans un arrêt du 27 février 1996 (1). Cette jurisprudence a été confirmée plusieurs fois depuis (2). Mais, parce qu'ils sont moins aux prises avec la réalité quotidienne des affaires sociales, les associés ne voient leur responsabilité engagée qu'en cas de faute criante dans l'exercice de leurs prérogatives, notamment, dans celui de leur droit de vote. Une jurisprudence constante sanctionne, en effet, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), l'associé qui aurait voté dans un sens contraire à l'intérêt social et dans l'unique dessein de favoriser ses intérêts propres au détriment des autres associés (3). Plus originale est la mise en jeu de la responsabilité personnelle de l'associé envers le dirigeant, notamment, lors de la révocation de ce dernier. En effet, les volontés individuelles issues du vote des associés se transcendent pour se transformer en volonté de la société. Plus concrètement, la décision de révocation est une décision sociale et non une décision individuelle. Pourtant, dans un arrêt en date du 13 mars 2001, la Cour de cassation n'a pas hésité à reconnaître que l'associé, lorsqu'il émet un suffrage, peut causer un préjudice au dirigeant et engager ainsi sa responsabilité personnelle (4). En l'espèce, la Chambre commerciale retient la responsabilité personnelle de l'associé qui avait décidé de la révocation du gérant, dans des conditions irrégulières, vexatoires et contraires à l'intérêt social. Cependant, dans un arrêt en date du 22 novembre 2005, rendu dans la même affaire, la Haute juridiction a décidé que, "même si la révocation est intervenue dans des conditions de forme irrégulière, elle a été décidée par les associés pour un juste motif et non pas dans le dessein de nuire à la gérante ; [...] c'est à bon droit que la cour d'appel, qui n'a pas dit qu'une révocation pour juste motif pouvait présenter un caractère vexatoire, a, justifiant légalement sa décision, décidé qu'aucune faute personnelle ne pouvait être retenue à l'encontre des associés majoritaires". Dès lors qu'il commet une faute personnelle à l'occasion de l'émission du suffrage, sa responsabilité est engagée. Sur ce point, l'arrêt commenté ne revient pas sur la solution posée le 13 mars 2001 puisqu'il admet le principe de la responsabilité de l'associé. Cependant, alors que dans l'arrêt de 2001 la faute était constituée par la seule décision vexatoire et contraire à l'intérêt social, la Cour de cassation exige en l'occurrence une faute personnelle distincte (I). On peut dès lors se demander, si par cet arrêt, la Chambre commerciale n'étend pas aux associés la théorie de la faute détachable des fonctions, jusque là limitée aux dirigeants sociaux (II).

I - L'exigence d'une faute personnelle distincte

L'arrêt de 2001 présentait un caractère novateur par rapport à la jurisprudence antérieure, et notamment, une décision de la Haute juridiction rendue le 1er février 1994 (5). En l'espèce, la Cour régulatrice avait censuré une cour d'appel qui avait condamné la société et son associé majoritaire pour la révocation abusive d'un gérant. Les juges du fond auraient dû caractériser une faute personnelle de l'associé et non se borner à constater que la révocation présentait un caractère abusif et dépourvu de juste motif. Autrement dit, pour la Chambre commerciale, même si la décision de révocation est abusive et sans juste motif, l'associé qui la vote exprime la volonté de la société, via l'assemblée générale. L'agrégation des votes transforme la volonté de l'associé, individuelle, en volonté sociale, collective (6). En d'autres termes, parce qu'elle est votée en assemblée générale, la décision de révocation est une décision sociale, qui exprime la volonté de la société, et non une décision individuelle de l'associé. La seule absence de juste motif ne permet pas de caractériser la faute personnelle de l'associé, seule à même d'engager sa responsabilité.

L'arrêt du 13 mars 2001 rompait avec cette analyse : "la décision de révocation avait été prise en violation flagrante des règles légales relatives à la tenue et à la convocation des assemblées des associés ; [...] une décision inspirée par une intention vexatoire et contraire à l'intérêt social, caractérise de la part de ses auteurs une volonté de nuire constitutive d'une faute". Pour la Chambre commerciale, la faute commise par l'associé lors de l'exercice de son droit de vote est à ce point grave qu'elle empêche l'agrégation des volontés individuelles. La faute demeure personnelle à l'associé et ne saurait devenir celle de la société.

En cela, l'arrêt commenté marque incontestablement un recul. La Cour de cassation revient à sa position antérieure à 2001. Le non-respect des conditions de convocation de l'assemblée et le caractère vexatoire de la révocation ne sont pas des fautes personnelles imputables à l'associé, mais sont des fautes sociales. Pour engager sa responsabilité personnelle, l'associé doit avoir commis une faute personnelle distincte et avoir été animé par l'intention de nuire au dirigeant révoqué. Une décision de la Chambre commerciale rendue le même jour que l'arrêt commenté (7) donne une illustration de cette faute personnelle. En l'espèce, la décision de révocation du dirigeant avait été prise lors de la réunion d'assemblée, sans aucun motif, et avait été "manifestement inspirée par l'animosité de l'associé majoritaire à l'égard de son unique associé" [par ailleurs gérant]. La faute personnelle, à suivre cet arrêt, pourrait consister dans le fait de provoquer la révocation du gérant en cours de séance, sans motif, et uniquement justifiée par l'animosité de l'associé à l'égard du dirigeant.

Le recul de la Cour de cassation, traduit par l'arrêt commenté, pourrait signifier une extension de la théorie de la faute détachable des fonctions, traditionnellement applicable aux dirigeants, aux associés.

II - Vers une application de la théorie de la faute détachable des fonctions aux associés ?

Selon une jurisprudence constante, les dirigeants sociaux n'engagent pas leur responsabilité personnelle à l'égard des tiers, lorsqu'ils commettent une faute dans l'exercice de leurs fonctions sociales, sauf si ladite faute est détachable desdites fonctions et lui est imputable personnellement (8). La Cour de cassation a défini cette faute comme "celle d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales" (9).

L'arrêt du 13 mars 2001 pouvait être interprété comme un rejet implicite de l'extension de cette théorie aux associés. Dès lors qu'ils commettent une faute dans l'exercice de leur droit de vote à l'occasion de la révocation du dirigeant, les associés sont responsables personnellement, même si la faute en question est directement liée à l'émission du vote, expression de leur pouvoir au sein de la société.

Dès lors, en décidant que la révocation décidée en violation des règles régissant le fonctionnement des assemblées, ou contraire à l'intérêt social, n'est pas constitutive d'une faute personnelle (arrêt commenté) et en exigeant une révocation uniquement motivée par l'animosité personnelle de l'associé à l'égard du dirigeant (deuxième arrêt du 22 novembre 2005), la Chambre commerciale semble étendre la théorie de la faute détachable aux associés. En effet, le fait d'exercer son droit de suffrage aux fins de satisfaire une inimitié personnelle, comme dans le second arrêt du 22 novembre 2005, peut être considéré comme une faute détachable des fonctions, de la qualité d'associé. L'associé, qui agit de la sorte, ne se comporte plus comme tel, mais commet une faute engageant sa responsabilité personnelle.

En définitive, quels enseignements pratiques peut-on tirer de ces deux décisions ? Selon nous, deux conséquences peuvent en être en déduites.

D'une part, l'associé qui vote en faveur de la révocation du gérant, fût-elle vexatoire, ne commet pas de faute personnelle susceptible d'engager sa responsabilité propre.

D'autre part, ce dernier devra prendre soin de ne pas provoquer la révocation, en cours de séance, afin de ne pas se voir reprocher ultérieurement devant le juge d'avoir agi uniquement pour des raisons d'inimitié personnelle, si la révocation intervient dans des conditions vexatoires.

Renee Kaddouch
Docteur en droit
Centre de droit financier de l'Université Paris I, Panthéon Sorbonne
Avocat à la Cour, JeantetAssociés


(1) JCP éd.E, 1996 II n° 22665, note J. Ghestin ; JCP éd. E, 1996 n° 838, note D. Schmidt et N. Dion ; RTD Civ. 1997 p. 114, obs. J. Mestre - rejet du pourvoi formé contre CA Paris, 19 janvier 1994, RTD Civ. 1994 p. 853, obs. J. Mestre dans le même sens, étendant cette obligation aux administrateurs d'une société anonyme, Trib. com. Nanterre, 6 octobre 2000, JCP éd. E. 2001 p. 619, note A. Couret.
(2) V., en dernier lieu, Cass. com., 22 février 2005, n° 01-13-642, Mme Danielle Grandvincent c/ M. André Grandvincent, F-D (N° Lexbase : A8532DG4).
(3) V., l'arrêt fondateur de la théorie jurisprudentielle de l'abus de majorité, Cass. com., 18 avril 1961, n° 59-11.394, Soc. des anc. Établ. Picard et Durey-Sohy et autres c/ Paul Schumann et autres (N° Lexbase : A2561AUE), JCP éd. G, 1961 II n° 12164, note D. Bastian et de celle de l'abus de minorité, Cass. com., 15 juillet 1992, n° 90-17.216, Mme Six c/ Société Tapisseries de France Six (N° Lexbase : A4252AB4), Bull. Joly 1992 p. 1083, note P. Le Cannu sur l'ensemble de la question, V. R. Kaddouch, Le droit de vote de l'associé, thèse, Aix-Marseille III, 2001, éd. de l'ANRT, 2003, spéc. p. 74 et s.
(4) Cass. com., 13 mars 2001, n° 98-16.197, Mme Mesny c/ M. Baumgartner, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société MSR Recrutement et autres (N° Lexbase : A0074ATW), JCP éd. E, 2001 p. 953, note A. Viandier ; RTD Com. 2001 p. 443, obs. Cl. Champaud et D. Danet ; Dr. et patrimoine, oct. 2001 p. 104, obs. D. Poracchia ; Bull. Joly 2001 p. 891, note C. Prieto.
(5) Cass. com., 1er février 1994, n° 92-11.171, Société d'exploitation Wohlshlegel et fils et autre c/ M. Jean-Claude Wohlschlegel (N° Lexbase : A6775ABK), Bull. Joly 1994 p. 413, note R. Baillod.
(6) Sur cette question, V. R. Kaddouch, Le droit de vote de l'associé, op. cit., p. 342.
(7) Cass. com., 22 novembre 2005, n° 03-18.651.
(8) V. par ex., Cass. com., 28 avril 1998, n° 96-10.253, M. Vergnet c/ Société Sogea (N° Lexbase : A2601ACC), RTD Com. 1998 p. 623, obs. B. Petit et Y. Reinhard - Sur ce thème, G. Auzero, L'application de la notion de faute personnelle détachable des fonctions en droit privé, D. affaires 1998 p. 502.
(9) Cass. com., 20 mai 2003, n° 99-17.092, Mme Nadine c/ Société d'application de techniques de l'industrie (SATI), FSP+B+I (N° Lexbase : A1619B9T), RJDA 2003 n° 351.

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