Réf. : Cass. com., 22 novembre 2005, n° 03-15.669, M. Bruno Sapin, administrateur judiciaire et commissaire à l'exécution du plan de la société Entreprise Jean Nallet c/ Banque du bâtiment et des travaux publics (BTP Banque), FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A7428DLP)
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N2770AKS
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le 07 Octobre 2010
Est ainsi consacrée, dans cette décision, une propriété temporaire d'un droit de créance cédé à titre de garantie. Cette aliénation est fiduciaire puisque constituée à titre de sûreté.
Pourtant, la cession de créance est un acte translatif de propriété. Il ne s'agit pas, en principe, d'un transport fiduciaire d'une créance mais d'une véritable vente (C. civ., art. 1689 N° Lexbase : L1799ABA et art. 1692 N° Lexbase : L1802ABD). La créance entre dans le patrimoine du cessionnaire qui en devient propriétaire. Pour le Code civil, ce transport n'a rien de temporaire et le cédant réalise un acte de disposition.
Le formalisme de l'article 1690 du Code civil (N° Lexbase : L1800ABB) ou celui simplifié de la remise d'un bordereau pour les cessions Dailly, ne modifie en rien cette analyse. Simplement, ce n'est qu'à compter de la date apposée sur le bordereau -ou de la signification du transport- que la cession prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers.
Mais, la cession Dailly n'obéit pas exactement aux mêmes règles que la cession de créance du droit commun. Tout en ayant la nature d'une vente, elle peut légalement être constituée à titre de garantie et sans stipulation de prix, en faveur d'un établissement de crédit cessionnaire. Et ce, à condition que la créance ait la qualité d'une créance professionnelle. Au sens de la loi, sont professionnelles les créances détenues par une personne morale sur une autre personne morale de droit privé ou de droit public et les créances d'une personne physique qui résultent de son activité professionnelle.
En l'espèce, telle était l'hypothèse. A titre de sûreté, la cession Dailly garantissait le remboursement d'opérations de crédits d'une entreprise : la cession était donc entendue comme une sûreté. Et, a priori, paradoxalement, l'établissement et la remise du bordereau avaient produit l'effet attaché à toute cession de créance, c'est-à-dire un transfert de la propriété de la créance cédée au cessionnaire.
Cette cession apparaissait donc -si l'on s'en tient à la seule lecture de la loi- réalisée en pleine propriété comme une vente "parfaite" (C. civ., art. 1589 N° Lexbase : L1675ABN) et donc dépourvue de clause de réserve de propriété ou d'éventuelles conditions suspensives (V. sur ce point, M. Vasseur, L'application de la loi Dailly, D.1982, chron. p. 273).
La question était alors de concilier le transport de la créance et donc du droit cédé avec la technique des sûretés : comment peut-on parler de cession Dailly à titre de garantie sans proclamer la validité d'une aliénation temporaire et de nature fiduciaire ?
Le législateur est, sur ce point, silencieux. L'article L. 313-24 du Code monétaire et financier indique curieusement que "même lorsqu'elle est effectuée à titre de garantie et sans stipulation de prix, la cession de créance transfère au cessionnaire, la propriété de la créance cédée". Il ne s'agit pas, en apparence, d'une propriété-fiduciaire de la créance. Il appartenait alors, tout naturellement, à la jurisprudence, de préciser le régime juridique de cette sûreté spéciale.
A l'analyse, la question était pour le moins délicate.
Elle renvoie, en effet, à une contradiction difficile à résoudre. Le droit commun de la cession de créance laisse entendre qu'il s'agit d'une vente au sens du Code civil et, le droit spécial du Code monétaire et financier offre la possibilité de céder une créance mais à titre de sûreté et ce en transférant la propriété de la créance cédée...! (V. L. Aynes et G. Kolifrath, Confirmation de la licéité des cessions fiduciaires en droit français ?, D. aff. 2005, n° 133).
Dans cette décision, les juges de droit ne se sont pas prononcés sur la validité générale des aliénations fiduciaires mais sur une question précise : que se passe-t-il lorsque la dette sur laquelle est assise la créance cédée à titre de garantie a été payée ?
Cela implique, selon la Haute juridiction, "la restitution du droit cédé".
Le cessionnaire devient alors un véritable fiduciaire.
Le droit cédé sera donc transféré dans son patrimoine mais pour pouvoir être restitué, ce transfert se fera dans une masse distincte et autonome détachée de ses biens personnels. L'on retrouve parfaitement, ici, le mécanisme de la fiducie utilisée en tant que sûreté (V. sur la dernière version du projet de loi sur la fiducie, M.-E. Mathieu, Vers un contrat de fiducie dans le Code civil ? (aspects de droit civil de la proposition de loi sur la fiducie), Lexbase Hebdo, n° 160 du 24 mars 2005 - édition affaires N° Lexbase : N2228AID).
A ce titre, le fiduciaire-cessionnaire devra donc veiller à éviter toute confusion entre ses intérêts propres, son patrimoine et la propriété fiduciaire du droit cédé. Celle-ci ne fait donc pas partie de sa succession, ni du droit de gage de ses créanciers. C'est donc bien dans un véritable patrimoine d'affectation que s'insère la créance cédée. Au final, elle est placée temporairement en dehors de tout patrimoine et située à mi-chemin entre celui du cédant et celui du cessionnaire.
La propriété de la créance est en ce cas précis une propriété fiduciaire. Cette décision laisse sans aucun doute une place conséquente en droit positif à la technique même de la fiducie-sûreté.
Cette intrusion d'une propriété temporaire à usage de sûretés dans la jurisprudence de la Cour de cassation est une remarquable avancée. Ce transfert de propriété fiduciaire protège ainsi l'établissement de crédit contre l'insolvabilité futur de son débiteur.
La cession de créance réalise une propriété temporaire : "la cession de créance faite à titre de garantie, qui implique la restitution du droit cédé au cas où la créance garantie viendrait à être payée, n'opère qu'un transfert provisoire de la titularité de ce droit" et "l'éventualité de la restitution de la créance au cédant reste subordonnée à l'épuisement de l'objet de la garantie consentie".
Cette affirmation, la pratique l'appelait de ses voeux (V. A. Prum, Une fiducie pour les banques?, RD bancaire et financier, 2004, p.3) et elle vient, enfin, d'être consacrée dans cette décision du 22 novembre 2005.
Le spectre de la fiducie-sûreté réapparaît et la cession Dailly à titre de garantie trouve sa logique : si le transfert de propriété est constitutif d'une sûreté, il doit être temporaire ; le droit cédé revenant dans le patrimoine du cédant lorsque la créance, objet de la garantie, est payée.
Mais demeurent juridiquement indépendant, le prêt consenti et la cession de créance à titre de garantie.
Cette sûreté serait donc une sûreté réelle non accessoire. Le droit de propriété de la créance conserve sa nature et, même érigé en sûreté, il est susceptible d'exister en dehors de la créance garantie. D'ailleurs, une fois celle-ci payée, le droit cédé pourrait se révéler utile pour garantir une nouvelle créance entre les mêmes parties. Cette sûreté, si telle est la volonté des parties, pourrait ne pas s'éteindre automatiquement après le règlement de la créance.
La cession Dailly est donc une cession fiduciaire autorisée par les textes et, pas à pas, son régime est aménagé par la jurisprudence.
Après cette décision, aucun doute n'existe sur l'existence d'une obligation de restitution du droit cédé, une fois la dette garantie payée. Mais d'autres questions subsistent.
Pourrait-on, par exemple, utiliser d'autres cessions à titre de garanties que la cession Dailly ?
En l'absence de dispositions le prévoyant, la réponse est a priori négative.
Seule une loi et donc un droit spécial peut expressément autoriser une telle cession.
Le Code civil, quant à lui, présente la cession de créance comme une forme de vente particulière... et n'autorise pas une aliénation fiduciaire à titre de garantie.
Au surplus, consacrer la légalité des cessions fiduciaires serait une violation du principe "pas de sûretés sans texte".
N'y a-t-il donc pas, pourtant, dans cette décision une marque du temps ? Ne faudrait-il donc pas faire naître enfin, par le biais de la fiducie, une forme de propriété sûreté ? Peu importe qu'elle soit ou non "la reine des sûretés", elle aurait sans aucun doute sa place dans la pratique et donc en droit français.
Marie-Elisabeth Mathieu
Maître de conférences à l'Université d'Evry - Val d'Essonne
Membre du Centre de formation professionnelle notariale de Paris
Jeantet Associés
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