La lettre juridique n°196 du 5 janvier 2006 : Social général

[Le point sur...] Quel avenir pour la contribution Delalande ?

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N2661AKR

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Haute Alsace

le 07 Octobre 2010

Depuis sa création en 1987, la contribution Delalande fait débat, de manière récurrente. A échéances régulières, des parlementaires déposent des propositions de lois visant à sa suppression. Surtout, lors de la signature de l'Accord national interprofessionnel du 13 octobre 2005 relatif à l'emploi des seniors, les partenaires sociaux ont invité les pouvoirs publics (et les partenaires sociaux eux-mêmes, dans le cadre de la gestion du régime d'assurance chômage) à dresser un bilan de cette contribution, dont on ne mesure pas très bien les effets sur la politique de "vieillissement actif", c'est-à-dire une politique d'emploi des seniors. Le bilan que dressent les économistes est très nuancé. En accroissant le coût de licenciement des quinquagénaires, cette contribution incite les entreprises à ne pas licencier ces travailleurs ("effet de rétention"). Mais, la contribution génère deux effets défavorables à l'emploi, liés à l'anticipation par les entreprises du surcoût lié à la contribution. L'entreprise qui emploie un travailleur approchant de l'âge où il sera protégé par la contribution peut vouloir précipiter son licenciement, afin d'éviter le paiement ultérieur de la contribution ("effet de seuil"). L'entreprise en phase d'embauche peut anticiper et penser que si un événement défavorable ultérieur la conduit à licencier son salarié et si ce salarié a alors l'âge protégé, elle devra payer la contribution Delalande. Ce surcoût anticipé la conduit à privilégier l'embauche de travailleurs plus jeunes, qui ne seront pas concernés dans l'immédiat par la contribution, au détriment des travailleurs plus âgés, protégés ou en passe de l'être ("effet de restriction des embauches" de travailleurs âgés).

Aussi, les effets de la contribution Delalande sur l'emploi des travailleurs âgés paraissent contradictoires. L'effet sur les licenciements est double : un effet de rétention, favorable, et un effet de seuil d'entrée, défavorable aux âges où le barème de la contribution se durcit. L'effet de restriction des embauches est, lui, défavorable aux travailleurs âgés éligibles ou en voie d'être éligibles à la contribution Delalande.

1. Le bilan de la contribution Delalande

1.1. Le dispositif en droit interne

La contribution Delalande, mise en place par loi n° 87-518 du 10 juillet 1987 (loi modifiant le Code du travail et relative à la prévention et à la lutte contre le chômage de longue durée N° Lexbase : L6433HEY), était destinée à financer le régime d'assurance chômage et à dissuader les employeurs de licencier les travailleurs âgés, selon une logique du "vieillissement actif' (C. trav., art. L. 321-3 N° Lexbase : L8925G7P). Le montant de cette contribution est variable selon l'âge du salarié et la taille de l'entreprise. Son produit est versé à l'Unedic qui, depuis 1999, en reverse la moitié à l'Etat afin de financer les préretraites AS-FNE. Mais, le dispositif, à l'usage, s'est montré très complexe (réformé à de nombreuses reprises) et peu dissuasif, en raison du nombre important de cas d'exonérations.

Cette sanction pécuniaire ne concernait, à l'origine, que les licenciements économiques des salariés de 55 ans et plus. Elle a été étendue par la loi n° 89-549 du 2 août 1989 (loi modifiant le Code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion N° Lexbase : L4992A8E), à quelques exceptions près, à toute rupture du contrat de travail de salariés âgés de 55 ans et plus, ouvrant droit aux allocations d'assurance chômage.

Pour éviter des phénomènes d'anticipation, cette contribution a été élargie par la loi n° 92-722 du 29 juillet 1992 (loi portant adaptation de la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d'insertion et relative à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale et professionnelle N° Lexbase : L7461AI8) aux salariés âgés de 50 ans et plus. Son montant a été augmenté par le décret n° 98-1201 du 28 décembre 1998 (décret modifiant l'article D. 321-8 du Code du travail N° Lexbase : L6447HEI). Le champ d'application de la contribution a été étendu à feu les conventions de conversion et aux refus de convention de préretraite AS-FNE. En dernier lieu, la loi du 21 août 2003 (loi n° 2003-775 portant réforme des retraites N° Lexbase : L9595CAM) a élargi l'un de ces cas d'exonération (prévu au 7° de l'article L. 321-3 du Code du travail), relatif à la rupture du contrat de travail d'un salarié âgé de plus de 50 ans à la date de son embauche et inscrit à cette date depuis plus de 3 mois comme demandeur d'emploi.

La loi du 21 août 2003 a ramené de 50 à 45 ans l'âge du salarié, lors de son embauche, ouvrant droit à une telle exonération, avec pour objectif de favoriser l'accès à l'emploi des salariés en seconde partie de carrière et supprimer la condition d'inscription comme demandeur d'emploi. L'objectif était de favoriser la mobilité professionnelle des salariés âgés, sans que cette mobilité exige le passage par une période de chômage.

Cette modification législative a été critiquée, en raison de son ambivalence. D'un côté, elle peut inciter les employeurs à embaucher des candidats à l'emploi ayant plus de 45 ans mais, d'un autre côté, elle supprime le frein au licenciement des salariés qui, au moment de leur embauche, avaient plus de 45 ans. De plus, l'extension de l'exonération à des catégories de salariés plus jeunes brouille l'objectif de la cotisation qui était de favoriser l'emploi des plus de 50 ans. Enfin, et en totale contradiction avec la finalité du dispositif, les employeurs ne risquent-ils pas d'être incités à embaucher des moins de 50 ans qui pourront être licenciés sans frein lorsqu'ils auront atteint ou dépassé cet âge ?

Il ne faudrait pas, dans ces conditions, que pour limiter encore les effets pervers de cette exonération à l'égard de la catégorie d'âge immédiatement inférieure aux 45 ans, le législateur en élargisse encore le champ et réduise encore l'efficacité de la cotisation au regard de son objectif initial !

1.2. Le dispositif en droit comparé

Selon la Dares, en 2004, le seul pays européen à utiliser un système de taxation des licenciements des salariés âgés est la Finlande. La taxe sur les licenciements de personnes de plus de 50 ans se distingue de la contribution Delalande par le fait qu'il ne s'agit pas d'un système forfaitaire. Inspiré du système de l'"experience rating" américain (bien que ne s'appliquant qu'aux salariés âgés), la contribution introduite en Finlande est calculée selon le montant d'indemnité de chômage que doit percevoir la personne licenciée jusqu'à son âge de départ en retraite. Créé en 1997, le système finlandais exonère, depuis 1998, les personnes embauchées à partir de 50 ans pour tenter d'éviter les effets de seuil. Parallèlement, le gouvernement finlandais a entrepris en 2004 de réduire certaines cotisations sociales plus élevées sur l'emploi des seniors et de les abaisser au même niveau que pour les autres salariés.

La taxe sur le licenciement des seniors est maintenue jusqu'à présent. Il n'existe pas d'analyse finlandaise ayant évalué son efficacité. En 2004, l'OCDE avait consacré une monographie à la Finlande, en critiquant l'effet dissuasif que cette contribution exerce sur le recrutement des classes d'âge inférieures à 50 ans sans que cette critique repose sur une analyse précise du cas finlandais. Dans la mesure où la Finlande tend à se rapprocher du modèle scandinave de non-différenciation de la situation des seniors par rapport aux autres catégories de salariés, il est probable, selon la Dares, que cette taxe sera supprimée à plus ou moins long terme.

2. Les propositions de suppression ou de réforme de la contribution Delalande

Les nombreux travaux qui ont été consacrés à la contribution Delalande ne permettent pas de dégager une ligne directrice claire, au regard d'un bilan que l'on pourrait dresser. Selon les économistes, l'effet sur les licenciements est plus faible ou difficile à mettre en évidence : les décisions de licenciement des entreprises seraient peu sensibles aux fortes variations du barème de la contribution Delalande. Ce débat renvoie à l'ambiguïté théorique des effets des coûts de licenciement sur l'emploi. L'objectif poursuivi, la protection de l'emploi, est de réduire les licenciements, en augmentant leur coût.

Mais, elle a aussi pour effet de réduire les embauches, puisque les entreprises prennent en compte la hausse moyenne du coût du travail liée aux coûts de licenciement. L'effet net sur l'emploi reste pour les économistes indéterminé.

2.1. Réformer la contribution Delalande

Le Sénat a exprimé ses réserves sur ce dispositif. Le durcissement progressif de la contribution Delalande ne se serait pas traduit par une réelle limitation des licenciements des salariés âgés ou par une augmentation effective de leur taux d'emploi. Mais, pour des raisons budgétaires, il ne faudrait pas supprimer cette contribution Delalande : le produit de cette contribution constitue une ressource non négligeable du régime d'assurance chômage. En 2002, elle a ainsi généré 594 millions d'euros de recettes brutes pour l'Unédic. Mais l'Unédic a parallèlement versé 355 millions d'euros à l'Etat au titre de sa contribution au financement du FNE, soit un montant bien supérieur aux crédits budgétaires consacrés par l'Etat au financement des préretraites AS-FNE. La contribution Delalande ne constituerait donc, en définitive, qu'une ressource nette relativement marginale pour le régime d'assurance chômage.

D'autres travaux ont suggéré de réformer la contribution Delalande pour la rendre plus efficace. En effet, un certain nombre de contentieux sont liés à la contestation par l'Assedic de l'existence d'une faute grave à l'origine du licenciement, particulièrement lorsqu'une transaction est ultérieurement signée entre l'employeur et le salarié allouant à ce dernier une indemnité d'un montant important. La tentation est grande pour les parties de procéder ainsi : l'employeur pour échapper, en partie au moins, au paiement de la contribution aux organismes d'assurance chômage, le salarié pour bénéficier d'une partie de la somme normalement due à ces derniers. En pratique, la fraude semble monnaie courante, voire systématique. Le seul obstacle à sa mise en oeuvre est d'ordre psychologique, le salarié pouvant en effet répugner à se voir licencier pour faute grave même fallacieuse. La jurisprudence admet le droit pour l'Assedic de contester l'existence d'une faute grave, dans la mesure où, si l'autorité de la chose jugée attachée à la transaction interdit au juge de se prononcer sur le litige que cette convention avait pour objet de clore, il peut en revanche restituer aux faits énoncés dans la lettre de licenciement leur exacte qualification. Cependant, la preuve est délicate et peut-être serait-il opportun de ne pas exonérer l'employeur du paiement de la contribution Delalande en cas de licenciement pour faute grave suivi d'une transaction.

2.2. Supprimer la contribution Delalande ?

Un sénateur (L. Souvet) estimait que "s'il est douteux qu'elle [la contribution Delalande] contribue à diminuer les licenciements des salariés de plus de 50 ans, il est certain que l'augmentation et l'extension de la contribution Delalande n'incitera pas à la création d'emplois".

De fait, le durcissement progressif de la contribution Delalande ne se serait pas traduit par une limitation des licenciements des salariés âgés ou par une augmentation effective de leur taux d'emploi. L'Unédic estime ainsi que les deux tiers des ruptures de contrats de travail d'un salarié de plus de 50 ans ne sont pas soumises à la contribution, compte tenu des très nombreux cas d'exonérations. Loin d'être dissuasive aux licenciements, elle semblerait, en revanche, constituer un obstacle non négligeable à l'embauche des salariés âgés. Les salariés de plus de 50 ans ne seraient pas épargnés par les licenciements économiques (le taux des licenciements des salariés âgés de plus de 50 ans reste proche de 30 %) et le taux de reprise d'emploi serait de 3 % pour les chômeurs de 50 ans et plus contre 7,2 % pour l'ensemble des demandeurs d'emploi. Les chômeurs de plus de 50 ans restent particulièrement touchés par le chômage de longue durée.

De la même manière, le Conseil d'Orientation des Retraites, dans une fiche préparée pour sa réunion du 11 juin 2002, s'interrogeait sur l'impact de cette contribution et regrettait l'absence de toute évaluation sérieuse de celui-ci : "L'impact positif ou négatif de la contribution Delalande sur l'emploi des salariés âgés est très discuté. On peut, en effet, penser que si le caractère dissuasif pour le licenciement paraît peu contestable, cet impact est peut-être compensé ou dépassé par une dissuasion à l'embauche. Cependant, aucune étude d'évaluation sur les entreprises ayant versé cette cotisation à l'Unédic ou auprès des directeurs des ressources humaines n'a été effectuée à ce jour".

En juin 2005, des parlementaires ont déposé des propositions de loi en vue de sa suppression. Cette mesure s'étant avérée désincitative en ce qui concerne l'embauche des salariés seniors, la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites a introduit un principe d'exonération concernant les salariés embauchés après 45 ans. Selon ces parlementaires, il conviendrait d'aller plus loin et de rompre totalement avec cette mesure qui constitue toujours un frein à l'emploi des salariés concernés et les pénalise lourdement dans la perspective d'une réinsertion professionnelle.

L'Assemblée générale de la Chambre de commerce de Paris a adopté un rapport présenté par P. Gassmann le 12 avril 2001, dont l'intitulé -Pour la suppression de la Contribution Delalande- ne porte pas à confusion. La contribution Delalande, qui répondait à un double objectif, dissuader les entreprises de se séparer des salariés âgés et, lorsque aucune alternative au licenciement n'était envisageable, inciter les entreprises à recourir aux préretraites FNE, au risque de supporter une lourde pénalité, aurait échoué.

A l'origine, l'objectif du dispositif était de faire obstacle aux licenciements des salariés âgés qui, compte tenu des difficultés particulières de reclassement dont ils sont victimes, se retrouvent en chômage de longue durée et dont le coût élevé de la prise en charge est assuré par l'Unédic. Le rapport P. Gassmann estime que l'instauration de la contribution Delalande n'a pas eu le caractère dissuasif que ses promoteurs espéraient. Le système aurait généré des effets pervers, en ce que les entreprises, dans la crainte d'être pénalisées si elles doivent se séparer de leur salariés âgés, ont cessé en majorité de recruter des chômeurs âgés : la contribution Delalande aurait constitué un véritable frein à l'emploi, notamment pour les salariés âgés de 45 à 50 ans.

Le second objectif, inciter les entreprises à recourir aux préretraites du FNE afin de préserver les finances de l'Unédic (assurer la prise en charge des demandeurs d'emploi âgés jusqu'à leur retraite), aurait lui aussi été un échec. Depuis la loi de finances pour 2001, l'Etat prélève sur les sommes qu'il avance à l'Unédic (au titre des préretraites FNE), en remboursement des allocations AS-FNE versées par le régime d'assurance chômage, pour le compte de l'Etat, une somme égale à 50 % des recettes annuelles.

Les partenaires sociaux, visiblement très divisés sur cette question, ne sont parvenus à rien d'autre, dans l'ANI du 13 octobre 2005 relatif à l'emploi des seniors, qu'à demander au législateur et au pouvoir réglementaire, sur la base d'une étude des effets de la contribution Delalande sur l'emploi des seniors, d'apporter à cette contribution, après consultation des partenaires sociaux, les correctifs éventuels qui pourraient favoriser l'emploi des seniors (ANI 13 octobre 2005, art. 23).

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