La lettre juridique n°192 du 1 décembre 2005 : Sociétés

[Jurisprudence] Capital investissement : encore les clauses de prix plancher

Réf. : Cass. com., 27 septembre 2005, n° 02-14.009, Société BSA Bourgoin c/ Société CDR Participations, F-D N° Lexbase : A5749DK7

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le 07 Octobre 2010

Les questions posées à la Cour de cassation sont récurrentes ces derniers temps. Ainsi, la question, très controversée, de la répartition du droit de vote entre l'usufruitier et le nu-propriétaire d'actions (1), a donné lieu à trois décisions en une année. De la même manière, la question de la validité de la clause dite de prix plancher au regard de la prohibition des clauses léonines, édictée à l'article 1844-1 du Code civil (N° Lexbase : L2021ABH), a été abordée à quatre reprises au cours de la même période. La Chambre commerciale vient ainsi de rendre un arrêt très intéressant sur cette matière, le 27 septembre 2005. Les faits de l'espèce étaient on ne peut plus classiques. Un fonds d'investissement accepte de prendre une participation minoritaire, via une augmentation de capital. Parallèlement, l'actionnaire majoritaire de la société s'engage, par une promesse unilatérale d'achat, à lui racheter les titres acquis, au prix de souscription majoré d'un intérêt. La promesse pouvait être exercée à l'intérieur d'un certain délai, conventionnellement fixé entre le 1er janvier et le 31 mars 1998. La stipulation d'un prix minimum contrevient-elle à la prohibition des clauses léonines, dans la mesure où, entre la souscription et l'exercice de la promesse, le bénéficiaire de la promesse, associé, se voit garanti contre un risque de perte ?

La Cour de cassation répond par la négative, en ces termes : "la promesse litigieuse tendait à assurer [au fonds d'investissement] qui est avant tout un bailleur de fonds, le remboursement de l'investissement auquel [il] n'aurait pas consenti sans ce désengagement déterminant [...] ; cette promesse avait ainsi pour objet d'assurer l'équilibre des conventions conclues entre les parties, c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé que la fixation au jour de la promesse d'un prix minimum de cession ne contrevenait pas aux dispositions de l'article 1844-1 du Code civil, peu important à cet égard qu'il s'agisse d'un engagement unilatéral de rachat" (2).

La Chambre commerciale réaffirme ainsi très nettement la validité sans conditions de la clause de prix plancher au regard de la prohibition des clauses léonines (3). Un doute avait pu surgir au lendemain d'un arrêt que la Haute juridiction avait rendu le 22 février 2005 (4) dans lequel il était affirmé, sous le visa de l'article 1844-1 du Code civil (N° Lexbase : L2021ABH), qu'"en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que M. Z ne pouvait lever l'option qu'à l'expiration d'un certain délai et pendant un temps limité, ce dont il résulte qu'il restait en dehors de cette période, soumis au risque de disparition et de dépréciation des actions, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations". La Chambre commerciale semblait soumettre la validité de la clause de prix plancher insérée dans une promesse unilatérale d'achat à une condition tenant au maintien de la vocation du bénéficiaire à contribuer aux pertes, en dehors du délai d'option. Ce doute est levé au lendemain de l'arrêt commenté et la jurisprudence traditionnelle confirmée (I).

Cependant, il apparaît que le bénéficiaire de la promesse, dans l'arrêt rendu le 22 février 2005, était un associé actif de la société, par ailleurs président de son conseil de surveillance. En revanche, dans l'arrêt du 27 septembre 2005, comme dans celui du 16 novembre 2004, il s'agissait d'un investisseur professionnel, tiers à la société avant une opération de capital investissement. On pourrait dès lors voir l'ébauche d'une distinction en fonction du montage dont la promesse est un élément (II).

I - La confirmation de la jurisprudence traditionnelle

Depuis 1986, la Chambre commerciale affirme sans ambages la validité de la clause de prix plancher au regard de la prohibition des clauses léonines. Ainsi, dans un arrêt "Bowater", rendu le 20 mai 1986 (5), les Hauts magistrats considèrent-ils "qu'en effet est prohibée par l'article 1844-1 du Code civil la seule clause qui porte atteinte au pacte social dans les termes de cette disposition légale ; qu'il ne pouvait en être ainsi s'agissant d'une convention, même entre associés, dont l'objet n'était autre, sauf fraude, que d'assurer, moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux". Pour la Haute juridiction, dans sa formation commerciale tout du moins (6), du moment que la clause litigieuse n'a pas pour objet d'organiser les rapports sociaux, domaine d'élection de la répartition des bénéfices et des pertes, mais uniquement d'assurer la transmission des actions, elle échappe à la prohibition des clauses léonines. Cette solution a été confirmée plusieurs fois (7). L'arrêt commenté n'est donc pas particulièrement novateur sur ce point.

En revanche, il réaffirme, après l'arrêt rendu le 16 novembre 2004, l'indifférence de l'existence de promesses croisées sur la validité de la clause de prix plancher. Le doute avait été introduit par la Cour de cassation dans son arrêt rendu le 24 mai 1994 (8), au sujet d'une convention de portage. En l'espèce, on s'en souvient, la Chambre commerciale avait estimé, sous le visa de l'article 1844-1, "qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la cession initiale avait été complétée par des promesses croisées de rachat et de vente des mêmes actions libellées en des termes identiques au profit de chacune des parties contractantes, ce dont il résultait que celles-ci avaient organisé, moyennant un prix librement débattu, la rétrocession des actions litigieuses sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux, la cour d'appel a violé le texte susvisé" (souligné par nous). Certains auteurs en avaient déduit que seules les promesses croisées d'achat et de vente échappaient à la prohibition des clauses léonines posée à l'article 1844-1 du Code civil (9). Le doute est désormais levé, après les arrêts du 16 novembre 2004 et du 27 septembre 2005. Le caractère croisé des promesses n'est en aucune façon une condition de validité de la clause de prix plancher. Il y a lieu de se féliciter de la solution adoptée par la Cour de cassation. En effet, l'objet de la convention est toujours d'assurer une liquidité suffisante des actions détenues par l'associé bénéficiaire de la promesse d'achat. Dans ces conditions, l'existence d'une promesse de vente doit demeurer sans effet sur l'appréciation du caractère léonin de la clause de prix plancher.

Le caractère temporaire de l'option de rachat est également indifférent. En effet, en l'espèce, celle-ci ne pouvait être levée qu'entre le 1er janvier et le 31 mars 1998. En dehors de cette période, le fonds d'investissement ne pouvait plus exiger le rachat de ses actions au prix de leur souscription. Pourtant, comme dans l'arrêt rendu le 16 novembre 2004, la Cour de cassation ne relève pas l'argument tiré du constat que l'engagement de rachat ne pouvait être mis en oeuvre qu'à l'intérieur d'un certain délai. Bien au contraire, elle affirme la validité de la clause de prix plancher, sans distinguer en fonction de la faculté du bénéficiaire de lever l'option à tout moment ou, à l'inverse, uniquement à l'intérieur d'un certain délai. Il y a lieu d'en conclure que la solution serait similaire même si la promesse n'était assortie d'aucun délai d'option.

Pourtant, cet argument avait été retenu par la Cour de cassation dans son arrêt "Z" du 22 février 2005 (10). En l'occurrence, on l'a vu, la Chambre commerciale semble adopter une conception plus restrictive et subordonner la validité de la clause de prix plancher contenue dans une promesse unilatérale d'achat à l'existence d'un délai d'option, en dehors duquel le bénéficiaire voit sa vocation à contribuer aux pertes maintenue.

Faut-il en conclure que la solution rendue dans l'arrêt "Z" n'est qu'un banal "accident de parcours" jurisprudentiel ? Ce serait faire montre de peu de respect pour les décisions de la Cour de cassation, publiées au Bulletin civil de surcroît... Ne faut-il pas plutôt voir dans la réaffirmation du principe posé par l'arrêt du 16 novembre 2004 l'ébauche d'une distinction selon l'objet du montage, que certains auteurs avaient suggérée (11) ?

II - Vers une distinction selon l'objet du montage ?

Les contextes factuels à l'origine des arrêts du 22 février 2005 et du 27 septembre 2005 étaient bien différents.

En effet, dans un cas, l'actionnaire ayant souscrit à l'augmentation de capital avait déjà cette qualité avant l'opération. Il était, par ailleurs, membre du conseil de surveillance de la société. Il était véritablement animé de l'affectio societatis (12). Dans ces conditions, il était logique que la validité de la clause, ayant pour effet de le soustraire à son obligation fondamentale de contribution aux pertes, soit subordonnée au respect de certaines conditions, tenant à l'existence d'un délai d'exercice limité de l'option de rachat.

En revanche, dans l'autre cas (ainsi que dans l'arrêt du 16 novembre 2004), il s'agit d'une opération classique de capital développement. Un fonds d'investissement avait souscrit à une augmentation de capital, à un prix de souscription de 100 francs (15,24 euros) par action, majoré d'une prime d'émission de 183 francs (27,90 euros) par action afin de ne pas provoquer une trop forte dilution des actionnaires en place. En contrepartie, l'un d'entre eux s'engageait à lui racheter ses titres, au prix de souscription, s'il levait l'option d'achat dans un certain délai. On le voit, même si en apparence, les faits sont similaires à ceux de l'arrêt "Z", la logique du montage est profondément différente. Dans un cas, la société fait appel à ses actionnaires, afin de renforcer ses fonds propres, conformément à la logique classique du droit des sociétés. Dans l'autre, il est fait appel à un fonds, professionnel de l'investissement, étranger à la société et non animé de l'affectio societatis. Le montage est empreint d'une logique financière, et non sociétaire. L'esprit du bénéficiaire de la clause de rachat est celui d'un investisseur, et non d'un véritable associé. La Cour de cassation ne s'y trompe pas, qui souligne dans l'arrêt commenté, à l'appui de sa motivation, que le bénéficiaire de la promesse est "avant tout un bailleur de fonds" (13).

De surcroît, la solution issue de l'arrêt du 22 février 2005 nous semble peu au fait de la réalité du capital investissement. Si l'on considère que la promesse unilatérale n'est valable uniquement parce qu'à l'extérieur du délai d'option, le fonds de capital risque serait exposé au risque de pertes (arrêt du 22 février 2005), il suffira au fonds, professionnel de l'investissement, de lever l'option si la société rencontre des difficultés pour faire échapper la clause de prix à la qualification de clause léonine, même si le fonds est de ce fait exonéré de toute contribution aux pertes. Dans ces conditions, il est plus simple, en matière de montage de capital investissement, de considérer que la clause de prix plancher est en tout état de cause valable au regard de la prohibition des pactes léonins posée à l'article 1844-1 du Code civil.

En définitive, il résulte selon nous de la jurisprudence de la Cour de cassation que :

- la clause de prix plancher contenue dans une promesse unilatérale est toujours valable au regard de la prohibition des clauses léonines dès lors que ladite promesse s'insère dans un montage de capital investissement (arrêts du 16 novembre 2004 et du 27 septembre 2005) ;

- la même clause contenue dans une promesse unilatérale est valable, uniquement, si un délai d'exercice de l'option de rachat est prévu, dès lors que la promesse s'insère dans une opération de renforcement des fonds propres auprès des actionnaires de la société (arrêt du 22 février 2005).

Renee Kaddouch
Docteur en droit
Centre de droit financier de l'Université Paris I, Panthéon Sorbonne
Avocat à la Cour, JeantetAssociés


(1) R. Kaddouch, De la répartition du droit de vote entre usufruitier et nu-propriétaire : suite et fin ?, Lexbase Hebdo n° 186 du 20 octobre 2005 - édition affaires N° Lexbase : N9721AIU  ;
(2) La Chambre commerciale décide, également, en l'espèce que la stipulation d'un intérêt dans la promesse de rachat ne contrevient pas à la prohibition des clauses d'intérêt fixe, posée à l'article L. 232-15 du Code de commerce (N° Lexbase : L6295AIY) ;
(3) V. en dernier lieu, Cass. com., 16 novembre 2004, n° 00-22.713, M. Jean-Claude Belkhelfa c/ M. Max Rossler, F-P+B N° Lexbase : A9264DDH ; Bull. IV n° 197 ; Rev. Sociétés 2005 p. 593, note H. Le Nabasque ; RD bancaire et financier janv. févr. 2005 p. 32, obs. A. Couret ; Bull. Joly 2005 p. 270, note H. Mathey ; adde, F.-X. Lucas, Du contrat de société au contrat d'investissement, RD bancaire et financier, mars-avril 2005 p. 50 ;
(4) Cass. com., 22 février 2005, n° 02-14.392, M. Jacques Gontard c/ M. Jean Papelier, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A7487DGE ; Bull. IV n° 37 ; D. 2005 p. 973, note G. Kessler ; Rev. Sociétés 2005 p. 593, note H. Le Nabasque ; Dr. Sociétés 2005 n° 107 ; Bull. Joly 2005 p. 961, note F.-X. Lucas ;
(5) Cass. com., 20 mai 1986, n° 85-16.716, Société Bowater corporation limited c/ du Vivier, publié N° Lexbase : A5091AAS ; Bull. IV n° 95 ;
(6) La première chambre civile retient, en effet, une solution contraire (Cass. civ. 1, 7 avril 1987, n° 85 -11.774, M. Levêque-Houist N° Lexbase : A1662AGN ; Rev. Sociétés 1987 p. 395, note D. Randoux ; Cass. civ. 1, 29 octobre 1990, n° 87-16.605, Consorts Merenda et autre c/ Mme Léonelli, publié N° Lexbase : A1674ABM Bull. I n° 125 ; Bull. Joly 1990 p. 1052, note P. Le Cannu). Cette opposition au sein de la Cour de cassation nous paraît, cependant, plus académique qu'autre chose. En effet, comme le fait remarquer à juste titre un auteur (H. Le Nabasque, note sous Cass. com. 16 novembre 2004, précité, spéc. n° 1), les pourvois sont systématiquement portés devant la Chambre commerciale, même si les arrêts attaqués ont été rendus par les chambres civiles des cours d'appel ;
(7) Cass. com., 24 mai 1994, n° 92-14.380, Société de Banque occidentale c/ Consorts Chicot, publié N° Lexbase : A6947ABW ; Bull. IV n° 189 ; D. 1994 p. 503, note A. Couret (à propos d'une convention de portage) ; Cass. com., 19 octobre 1999, n° 97-12.705, M. de Fontagalland c/ Consorts Hale et autre N° Lexbase : A8109AGG ; JCP éd. E. 1999 p. 2066, note Y. Guyon ;
(8) Précité ;
(9) F.-X. Lucas, Promesses d'achat de droits sociaux à prix garanti et prohibition des clauses léonines. A la recherche de la cohérence perdue..., JCP éd. E. 2000 p. 168 ; E. Claudel, Clauses léonines extra-statutaires, les voies d'un compromis, in Mélanges Michel Jeantin, 1999, p. 183 ;
(10) Précité ;
(11) H. Le Nabasque, note sous Cass. com. 22 février 2005, précité, spéc. n° 4 ;
(12) Rappelons que l'affectio societatis est défini par la jurisprudence comme une collaboration effective à l'exploitation dans un intérêt commun et sur un pied d'égalité avec ses associés, pour participer aux bénéfices comme aux pertes : Cass. com., 3 juin 1986, n° 85-12.118, Epoux Roth c/ M. Reynaud N° Lexbase : A5073AA7 ; Rev. Sociétés 1986 p. 585, note Y. Guyon ; sur l'ensemble de la question, V. not. R. Kaddouch, Au coeur du contrat de société : l'affectio societatis, Journ. Sociétés mai 2004 p. 10 et les réf. citées ;
(13) Monsieur le Professeur Lucas voit dans l'arrêt du 16 novembre 2004 la consécration de la distinction entre actionnaires : associés, animés de l'affectio societatis, et bailleurs de fonds, qui en sont dépourvus (F.-X. Lucas, Du contrat de société au contrat d'investissement, précité). Selon nous, cette distinction, qui repose sur les mobiles, est pratiquement impossibles à mettre en oeuvre (V. sur ce point, R. Kaddouch, Le droit de vote de l'associé, thèse Aix en Provence, 2001, éd. de l'ANRT, 2003, p. 401 et s.).

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