La lettre juridique n°191 du 24 novembre 2005 : Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Liquidation des régimes matrimoniaux : justification des récompenses

Réf. : Cass. com., 8 novembre 2005, n° 03-19.570, Mme Jocelyne Courchevel, épouse Bordes c/ Directeur des services fiscaux d'Eure et Loir, FS-P+B (N° Lexbase : A5077DLM)

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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris

le 07 Octobre 2010

L'encaissement de deniers propres par la communauté suffit, sauf preuve contraire, à justifier un droit à récompense. La Chambre commerciale de la Cour de cassation vient, ainsi, de simplifier l'établissement d'un droit à récompense lorsque, durant le régime de communauté, un des deux époux a cédé des biens qui lui étaient propres et que le prix a été encaissé par la communauté, sans que l'époux ne l'ai employé dans l'acquisition d'un nouveau bien propre. On sait que le fonctionnement d'un régime de communauté fait naître des créances et des dettes entre ladite communauté et chaque époux. Ces dettes sont liquidées au moyen du procédé des "récompenses". Les causes de récompenses sont au nombre de deux, l'une consistant dans le cas où la communauté a tiré profit de biens propres (C. civ., art. 1433 N° Lexbase : L1561ABG), l'autre consistant dans le cas où c'est l'un des époux qui a tiré profit d'un bien commun (C. civ., art. 1437 N° Lexbase : L1565ABL). En principe, l'époux qui invoque une récompense doit démontrer qu'il est créancier. C'est dans l'établissement de cette preuve que la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient de parachever un revirement de jurisprudence initié par la Chambre civile. 1. Sévérité dans l'exigence de la preuve : jurisprudence antérieure

Dans le dernier état de sa doctrine (réponse Perrut, JOAN, 11 janvier 1999, p. 201), l'administration fiscale a précisé que la jurisprudence de la Cour de cassation consacrait le principe qu'en cas d'encaissement de deniers propres ou provenant de la vente d'un bien propre par la communauté sans qu'il y ait eu emploi ou remploi, celui qui allègue la récompense, et notamment l'administration, doit rapporter la preuve du profit retiré par la communauté par tout moyen, y compris par présomption. En effet, le juge exigeait "la preuve dès la notification de redressement de la réalisation et de l'étendue du profit tiré par la communauté de l'utilisation des deniers propres" (Cass. com., 11 février 1992, n° 89-14.079, Mme Treanton c/ Directeur général des impôts N° Lexbase : A3943ABN). Autrement dit, la preuve de l'encaissement de fonds propres par l'un des époux, en raison, par exemple, de la cession d'un bien qu'il avait reçu par succession, ne suffisait pas pour exiger, lors de la liquidation du régime matrimonial, une récompense. Pour qu'il y ait droit à récompense, l'époux devait établir un profit réel et positif de la communauté, c'est-à-dire son enrichissement. Tel est le cas lorsqu'il est constaté que peu de temps après la cession d'un propre à un époux, la communauté a procédé à l'acquisition d'un immeuble (TGI Bordeaux 30 juillet 1996, n° 94-8795). La Chambre civile de la Haute juridiction décidait dans le même sens : elle refusait, ainsi, tout droit à récompense en cas d'utilisation de capitaux propres pour les besoins du ménage lorsque ces paiements ne laissaient subsister aucun profit pour le patrimoine commun (Cass. civ., 26 juin 1990, Gonod c/ Poulain, inédit). Cette preuve du profit réel de la communauté était, donc, à juste titre, considérée comme une preuve difficile à rapporter.

2. La récompense se déduit de l'encaissement : revirement de jurisprudence

Dans une décision datant de 2003, la Chambre civile a infléchi sa position en exigeant seulement l'emploi des fonds propres "dans l'intérêt de la communauté" (Cass. civ. 1, 14 janvier 2003, n° 00-21.108, F-P+B N° Lexbase : A6887A4T). Autrement dit, l'exigence d'un profit réel disparaissait pour être remplacé par la preuve que les fonds avaient été utilisés pour les besoins de la communauté, comme par exemple les dépense courantes. Le droit à récompense n'était, donc, écarté que dans l'hypothèse où il aurait été démontré que l'époux ayant cédé un bien propre avait dépensé égoïstement le produit de cette cession. Cependant, c'est un revirement indiscutable qui a, ensuite, été opéré en février 2005 (Cass. civ. 1, 8 février 2005, n° 03-13.456, FS-P+B+R N° Lexbase : A6901DGP). En effet, la Cour énonce clairement qu'il incombe à celui qui demande récompense à la communauté d'établir que les deniers provenant de son patrimoine propre ont profité à celle-ci ; que, sauf preuve contraire, le profit résulte, notamment, de l'encaissement de deniers propres par la communauté, à défaut d'emploi ou de remploi. La Cour établit, ainsi, une présomption simple selon laquelle le profit se déduit de l'encaissement des fonds propres par la communauté. L'époux défendeur devra, quant à lui, démontrer, si cette preuve peut être établie, que le demandeur a, en réalité, utilisé les fonds en cause dans son seul intérêt personnel au lieu d'avoir été consommés pour les besoins de la communauté. C'est ce revirement, opéré en premier lieu par la Chambre civile qui a été parachevé par la Chambre commerciale. Dans un attendu identique, elle précise que l'administration, lorsqu'elle fonde un redressement de droits de mutation par décès sur l'existence d'une récompense due à la succession par la communauté, doit établir que les deniers provenant du patrimoine propre du défunt ont profité à celle ci ; que, sauf preuve contraire, le profit résulte notamment de l'encaissement de deniers propres par la communauté, à défaut d'emploi ou de remploi. Au cas particulier, à la suite du contrôle d'une déclaration de succession, des héritiers avaient reçu une notification de redressement fondé sur l'existence d'une récompense due à la succession par la communauté en raison de l'encaissement par celle ci du prix de vente de biens immobiliers appartenant en propre au défunt et de liquidités, le tout lui provenant des successions de ses parents ouvertes après son mariage.

3. Conséquences au regard du contrôle des successions

La décision du 8 novembre 2005, en facilitant la preuve des récompenses, va permettre à l'administration fiscale de rétablir plus aisément une plus grande transparence dans les déclarations de successions. Dans la mesure où l'encaissement conduit à une présomption de profit pour la communauté, point ne sera besoin de rapporter la preuve, pour justifier l'omission de la récompense, que, peu de temps après cet encaissement, la communauté a, par exemple, acquis un bien immobilier ou investi des liquidités dans un portefeuille de valeurs mobilières. Certes, cette présomption reste simple et les héritiers seront toujours en droit de démontrer que les fonds en cause n'ont, en définitive, pas profité à la communauté.

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