Réf. : Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-43.290, M. Pierre Verk c/ Société Suez Lyonnaise des eaux, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5088DLZ) ; Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-45.774, M. Jean-Michel Amestoy c/ Société Suez Lyonnaise des eaux, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5104DLM)
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le 07 Octobre 2010
Décisions
Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-43.290, M. Pierre Verk c/ Société Suez Lyonnaise des eaux, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5088DLZ) Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-45.774, M. Jean-Michel Amestoy c/ Société Suez Lyonnaise des eaux, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5104DLM) Cassation (CA Montpellier, chambre sociale, 12 mars 2003 et CA Paris, 21e chambre B, 19 juin 2003) Texte visé : C. trav., art. L. 132-8 (N° Lexbase : L5688ACN) Mots-clefs : convention et accord collectif de travail ; dénonciation ; accord de substitution ; nullité ; absence d'accord de substitution ; maintien des avantages individuels acquis. Lien bases : |
Résumé
L'annulation d'un accord conclu en vue de remplacer un accord dénoncé équivaut à une absence d'accord de substitution. Par suite, les salariés des entreprises concernées conservent les avantages individuels qu'ils ont acquis en application de l'accord dénoncé. |
Faits
1. Le 19 janvier 2003, la société Suez Lyonnaise des eaux a dénoncé un accord du 22 juin 1947 portant statut du personnel et reconnaissant aux salariés des avantages particuliers consistant, notamment, en un sursalaire familial, une indemnité d'échelon d'ancienneté et une indemnité de congé parental. Le 20 janvier 2003, a été conclu un accord de substitution, qui a toutefois été déclaré nul par la Cour de cassation dans un arrêt en date du 9 février 2000. A la suite de cette décision, la société a conclu, le 7 mars 2000, un accord dit "de sauvegarde" et, le 22 juin 2000, un accord définitif reprenant, pour l'essentiel, les dispositions de l'accord annulé. Invoquant la nullité de l'accord de substitution du 20 janvier 1993, plusieurs salariés ont alors demandé le paiement de sommes correspondant aux avantages précités résultant de l'accord de 1947 dont ils avaient été privés à la suite de la fusion. 2. Les salariés ont été déboutés de leurs demandes aussi bien par la cour d'appel de Montpellier que par celle de Paris, qui ont adopté une motivation similaire. Selon les juges d'appel, l'accord de substitution constituant un contrat à exécution successive ayant produit des effets irréversibles, la nullité ne peut jouer que pour l'avenir, sauf, précise en outre la cour d'appel de Paris, à faire bénéficier les salariés à la fois des avantages de l'ancien accord et de ceux de l'accord annulé. |
Solution
1. Cassation des arrêts des cours d'appels de Paris et de Montpellier au visa de l'article L. 132-8 du Code du travail. 2. "Attendu, cependant, que l'annulation de l'accord conclu en vue de remplacer l'accord dénoncé équivaut à une absence d'accord de substitution et que lorsque la convention ou l'accord qui a été dénoncé n'a pas été remplacé par une nouvelle convention ou un nouvel accord dans les délais précisés au troisième alinéa de l'article L. 132-8 du Code du travail, les salariés des entreprises concernés conservent les avantages individuels qu'ils ont acquis en application de la convention ou de l'accord dénoncé à l'expiration de ces délais". |
Commentaire
1. De l'intérêt de négocier un accord de substitution
Les règles légales relatives à la dénonciation des conventions et accords collectifs de travail sont suffisamment connues pour qu'il ne soit pas nécessaire d'y revenir en détails. On se bornera simplement à rappeler qu'en application de l'article L. 132-8 du Code du travail, lorsque la dénonciation émane de la totalité des signataires employeurs ou salariés, la norme conventionnelle continue de produire effet jusqu'à l'entrée en vigueur de la convention ou de l'accord qui lui est substitué ou, à défaut, pendant une durée d'un an à compter de l'expiration du délai de préavis. En s'en tenant là, on pourrait avancer que l'employeur n'a aucun intérêt à signer un accord de substitution. Ce serait oublier les prescriptions de l'alinéa 6 de l'article précité, qui indiquent que "lorsque la convention ou l'accord qui a été dénoncé n'a pas été remplacé par une nouvelle convention ou un nouvel accord dans les délais précisés au troisième alinéa [...], les salariés des entreprises concernées conservent les avantages individuels qu'ils ont acquis, en application de la convention ou de l'accord, à l'expiration de ces délais". Le maintien des avantages individuels acquis constitue ainsi, pour l'employeur, une incitation très forte à conclure un accord de substitution. Dit autrement, "la conclusion d'une telle convention ou d'un tel accord de substitution est la solution normale, souhaitée, des problèmes posés par une dénonciation ; et ses effets constituent une incitation à conclure, notamment pour la partie patronale, aussi rapidement que possible" (Y. Chalaron, Négociations, conventions et accords collectifs. Fin d'application. Révision, J.-Cl. Travail Traité, Fasc. 1-38, spéc. § 25).
Il convient de souligner que ne saurait recevoir la qualification d'accord de substitution n'importe quel accord intervenant durant la période de survie de la norme conventionnelle dénoncée. Ainsi que le note le Professeur Chalaron à juste titre, "la négociation de substitution doit être spécifique et adéquate et aucune équivoque ne doit régner sur sa finalité de substitution et sur la volonté des négociateurs de chercher à régler spécifiquement les problèmes soulevés par la dénonciation" (Y. Chalaron, Etude préc., § 27). Cela étant, la Cour de cassation a pu considérer que des discussions en vue du remplacement par un nouvel accord d'un accord collectif existant peuvent être engagées avant toute dénonciation de cet accord. Toutefois, la nouvelle négociation qui doit s'engager en cas de dénonciation d'un accord par la totalité des signataires employeurs ou des signataires salariés, en vue de la signature éventuelle d'un accord de substitution, ne peut avoir lieu qu'après la dénonciation. En outre, toutes les organisations syndicales de salariés représentatives doivent être invitées à cette nouvelle négociation (1) (Cass. soc., 9 février 2000, n° 97-22.619, Union syndicale des personnels de la société Lyonnaise des eaux Dumez c/ Société Lyonnaise des eaux et autres, publié N° Lexbase : A4721AGX). Il nous sera donné de revenir sur cet arrêt plus avant dans la mesure où, très précisément, il se trouve à l'origine de l'affaire commentée. Pour l'heure, et pour en terminer avec l'accord de substitution, il faut encore préciser qu'il reste valable même s'il ne reprend pas l'ensemble des questions abordées dans l'accord dénoncé, ou encore s'il est moins favorable que ce dernier (Cass. soc., 3 mars 1998, n° 96-11.115, Syndicat du livre du papier et de la communication CGT Moselle c/ Société Sollac, publié N° Lexbase : A2616ACU). En outre, il convient de ne pas oublier que l'accord de substitution est, d'abord et avant tout, un accord collectif. Par suite, et pour ce qui est de ses conditions de validité, l'accord est évidemment et notamment soumis au fameux principe majoritaire. 2. Les conséquences de la nullité de l'accord de substitution
Il va de soi que la nullité de l'accord de substitution peut être prononcée pour différentes causes. Il pourra en aller ainsi en cas de vice du consentement ou encore en l'absence d'écrit (C. trav., art. L. 132-2, al. 1er N° Lexbase : L5680ACD). De même, et en application de l'article L. 132-2-2, § V du même Code (N° Lexbase : L4693DZT), "les textes frappés d'opposition majoritaire et les textes n'ayant pas obtenu l'approbation de la majorité des salariés sont réputés non écrits". S'agissant de l'arrêt commenté, la Cour de cassation avait déclaré nul l'accord de substitution parce qu'il avait été conclu sans que l'ensemble des organisations syndicales représentatives de salariés ait été invité à la nouvelle négociation qui s'était engagée après la dénonciation de l'accord de 1947. Plus précisément, des négociations avaient été engagées en 1990 par la société Suez Lyonnaise des eaux en vue de réviser le statut du personnel issu d'un accord de 1947. Le 19 janvier 1993, lors d'une réunion avec les organisations syndicales, constatant le blocage des négociations, l'entreprise avait dénoncé l'accord de 1947 et notifié la dénonciation aux syndicats à 22 heures. Les délégués CGT et CFDT avaient alors quitté la réunion. Les discussions s'étaient cependant poursuivies avec les représentants des organisations syndicales CGT-FO et CFE-CGC et avaient abouti à la signature d'un accord le 20 janvier 1993, à une heure du matin. C'est cet accord que la Chambre sociale avait à juste titre déclaré nul pour les motifs évoqués précédemment (Cass. soc., 7 février 2000, préc.).
Lorsque la convention ou l'accord dénoncé n'a pas été remplacé par une nouvelle convention ou un nouvel accord dans le délai de 12 mois courant à compter de l'expiration du préavis, les salariés conservent les avantages individuels qu'ils ont acquis en application de la convention ou de l'accord dénoncé (C. trav., art. L. 132-8, al. 6). La règle du maintien des avantages individuels acquis a d'abord vocation à jouer lorsque aucun accord de substitution n'a pu être conclu dans le délai imparti. Mais, et c'est là tout l'apport de la décision commentée, il en va également ainsi lorsqu'un accord de substitution ayant été conclu, il est postérieurement annulé. Pour reprendre les termes de la Cour de cassation, "l'annulation d'un accord conclu en vue de remplacer un accord dénoncé équivaut à une absence d'accord de substitution". D'un point de vue strictement juridique, cette solution est difficilement contestable dès lors qu'un acte nul est réputé n'avoir jamais existé. Il en va différemment en opportunité, dans la mesure où cette nullité a, en quelque sorte, pour effet d'entraîner la résurrection de la règle du maintien des avantages individuels acquis. Ce qui conduit à mettre à la charge de l'employeur le paiement de sommes pour le moins importantes, ainsi qu'en témoigne l'arrêt commenté. Cela explique, sans doute, la solution retenue par les juges du fond en l'espèce, lesquels, et spécialement la cour d'appel de Paris, avaient considéré que s'agissant d'un contrat à exécution successive ayant produit des effets irréversibles, la nullité ne pouvait jouer que pour l'avenir, sauf à faire bénéficier les salariés à la fois des avantages de l'ancien accord et de ceux de l'accord annulé. Réponse de la Cour de cassation, "en statuant comme elle l'a fait alors, d'une part, que l'accord nul du 20 janvier 1993 n'avait pu produire aucun effet et, d'autre part, qu'il résultait de ses constatations que les accords des 7 mars 2000 et 22 juin 2000 n'avaient pas été conclu dans les délais du troisième alinéa de l'article L. 132-8 du Code du travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés". Les salariés étaient donc en droit de prétendre aux avantages individuels acquis en application de l'accord de 1947.
Gilles Auzero (1) Soulignons que l'organisation syndicale qui conclut l'accord de substitution n'est pas nécessairement signataire ou adhérente de l'accord dénoncé. Il s'agit de ne pas confondre dénonciation et révision. |
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