Réf. : Loi du 26 juillet 2005, n° 2005-842, pour la confiance et la modernisation de l'économie, art. 15-I et II (N° Lexbase : L8800G9S)
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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau de Paris, Landwell & Associés
le 07 Octobre 2010
En second lieu, ces mêmes dispositions ont ajouté un alinéa complémentaire à l'article L. 267 du LPF relatif à la circonstance suivant laquelle "les voies de recours qui peuvent être exercées contre la décision du président du tribunal de grande instance ne font pas obstacle à ce que le comptable prenne à leur encontre des mesures conservatoires en vue de préserver le recouvrement de la créance du Trésor".
Il s'ensuit que l'article L. 267 du LPF constitue, désormais, le droit commun de la solidarité des dirigeants sociaux.
Ces modifications font, ainsi, disparaître la distinction entre gérants majoritaires de SARL et les autres dirigeants de sociétés, personnes morales ou tous autres groupements, qui conduisait à ce que la responsabilité des premiers au regard d'une même situation était plus facilement engagée que pour les seconds.
Cette différence de traitement dans les conditions d'engagement de la solidarité des gérants majoritaires des SARL par rapport aux autres dirigeants visés à l'article L. 267 du LPF se caractérisait au niveau de l'appréciation de l'inobservation des obligations fiscales et de l'exercice des fonctions.
En effet, la solidarité des dirigeants de SARL se trouvait engagée sur des manquements seulement "répétés", alors que, pour les autres dirigeants, ces manquements "répétés" devaient revêtir le caractère d'une certaine gravité.
De même, au niveau de l'exercice des fonctions de dirigeant, leur effectivité était regardée comme une des conditions susceptibles d'engager la solidarité des dirigeants de SARL, alors qu'elle ne l'était pas pour les autres dirigeants qui pouvaient faire valoir qu'ils ne dirigeaient pas.
On pouvait, dès lors, valablement s'interroger sur le point de savoir si cette différenciation manifeste ne contrevenait pas aux dispositions de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4747AQU) qui précisent que "la jouissance des droits et libertés reconnus dans la [...] convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée sur [...] la fortune [...] ou toute autre situation", combinées avec celles de l'article 1 de son Premier Protocole, pour soutenir que ces dispositions seraient à l'origine de discriminations injustifiées entre dirigeants (voir, pour exemple, en ce sens au regard des conditions de détermination de la taxe foncière : TA Pau, 6 mai 2003, n° 01-1063, DSF des Landes).
Désormais, les conditions de mise en oeuvre de la solidarité des gérants de SARL sont alignées sur celles applicables aux autres dirigeants et, de ce fait, assouplies.
Toutefois, il n'en demeure pas moins que les conditions d'application de l'article L. 267 du LPF demeurent strictes et ce, dans la mesure où ces dernières sont réunies, il n'est laissé au juge aucune marge d'appréciation tant sur l'opportunité de la déclaration de solidarité engagée par le comptable public que sur ses incidences sur le patrimoine du dirigeant. C'est toute la question de la proportionnalité du prononcé de la solidarité entre la gravité et l'étendue des manquements des dirigeants et le niveau d'engagement de leur capacité financière.
Il est rappelé que l'engagement de la solidarité du dirigeant, "s'il n'est pas déjà tenu, au paiement des dettes sociales en application d'une autre disposition", est subordonné, aux termes de ces dispositions, aux principales conditions qui suivent :
- la preuve d'une faute soit par des manoeuvres frauduleuses qui supposent un élément moral résidant dans l'intentionnalité de leur auteur soit par l'inobservation grave et répétée des obligations fiscales du dirigeant impliquant une négligence de ce dernier, telle par exemple en matière de TVA, l'absence de reversement au Trésor public des fonds collectés auprès des clients (Cass. com., 19 décembre 2000, n° 98-11.969, Receveur principal des impôts de Grenoble Vercors c/ M. Robert Bonnard, Cassation N° Lexbase : A4052DKB), ou encore pour l'impôt sur les sociétés, le montant des créances fiscales non recouvrées ;
- les manoeuvres ou l'inobservation des obligations fiscales rendant impossible le recouvrement des impositions et des pénalités dues par la société (Cass. com., 10 mars 1998, n° 95-22.216, M. Henry Mestrallet c/ Receveur des impôts de Pont-l'Evêque, inédit au bulletin, Cassation N° Lexbase : A7382CQH) ;
- l'exercice par le dirigeant en droit ou en fait, directement ou indirectement, de la direction effective de la société (CA Paris, 1ère ch., 6 mars 1987 ; Cass. com., 3 octobre 1989, n° 87-15.723, Mme Ravard c/ Receveur des impôts du 10ème arrondissement N° Lexbase : A4031AGE ; Cass. com., 5 novembre 1991, n° 89-19.064, M Chevreux et autre c/ Receveur divisionnaire des impôts d'Albi N° Lexbase : A3980ABZ ; Cass. com., 12 juillet 1993, n° 91-16.977, M. Gérard Dumont c/ M. le receveur principal des impôts de Vanves et autres, inédit, Rejet N° Lexbase : A0652CSX).
La mise en oeuvre de la solidarité conduit le juge à procéder, au regard des situations de faits qui lui sont soumises, à une appréciation in concreto des seules conditions d'application du texte en sorte que selon ce dernier "ni la situation économique de la personne morale, ni la bonne foi du dirigeant ne sont de nature à diminuer la gravité des manquements constatés" (Cass. com., 16 juillet 1991, n° 89-19.792, M Dagut c/ Receveur principal des impôts de Morcenx N° Lexbase : A3993ABI ; Cass. com., 8 juillet 1997, n° 95-14.537, Epoux Barbonchielli c/ Receveur des impôts de Gardanne, inédit au bulletin, Cassation N° Lexbase : A8004CP7 ; Cass. com., 12 juillet 1993, n° 91-13.936, Chabirand c/ M. le receveur principal des impôts des Sables d'Olonne, inédit au bulletin N° Lexbase : A0641CSK).
C'est, donc, sous le contrôle du juge que les comptables doivent, en conséquence, prouver l'existence d'une faute et d'un préjudice, ainsi que du lien de causalité.
En ce qui concerne le préjudice de l'administration, cette dernière doit démontrer l'impossibilité dans laquelle elle se trouve pour assurer le recouvrement de sa créance (Cass. com., 3 mars 2004, n° 02-16.547, F-D N° Lexbase : A4068DBB).
Elle doit, en effet, justifier avoir agit avec diligence, c'est-à-dire avoir intenté toutes les poursuites offertes par les textes et révélées inefficaces ou insuffisantes (Cass. com., 3 octobre 1995, n° 94-10.108... [LXB=] ; Cass. com., 3 juin 2003, n° 00-13.734, F-D N° Lexbase : A9295C7E ; CA Versailles, 1ère, A, 18 novembre 2004, n° 2003-07159, Marc Gurnaud c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A7170DGN) dans les délais de prescription (déchéance quadriennale : LPF, art. L. 274 N° Lexbase : L3884ALG et L. 275 N° Lexbase : L3942ALL).
Les comptables, enfin, se doivent d'apprécier eux-mêmes les perspectives de recouvrement, et ne doivent pas différer les poursuites si l'impossibilité du recouvrement est avérée (Cass. com., 26 mai 2004, n° 01-02.838, F-D N° Lexbase : A2627DCB). Le comptable doit, en conséquence, engager son action sans délai pour autant que les conditions des dispositions des articles L. 267 du LPF soient réunies (instruction du 6 septembre 1988, BOI n° 12 C-20-88 N° Lexbase : X0670AA3).
L'application de l'article L. 267 du LPF requiert, donc, un contrôle précis dans l'appréciation du manquement du dirigeant et la preuve de sa causalité dans le non recouvrement des dettes fiscales de l'entreprise (Cass. com., 19 décembre 2000, n° 98-11.969, F-D N° Lexbase : A4687DDX ; Cass. com., 11 janvier 2005, n° 02-16.597, F-P+B N° Lexbase : A0122DGM).
Le manquement justifie à lui seul la déclaration de responsabilité engagée par l'administration lui donnant, ainsi, un caractère automatique interdisant toute appréciation au cas par cas de l'étendue des manquements des dirigeants.
Par deux récents arrêts, la chambre commerciale de la Cour de cassation illustre ces difficultés dans l'appréciation de la rigueur des conditions de mise en oeuvre de la responsabilité solidaire du dirigeant de société, lorsque cette dernière a fait l'objet d'une liquidation judiciaire (Cass. com., 28 septembre 2004, n° 02-18.394, M. Pironneau c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie F-D, précité ; Cass. com., 11 janvier 2005, n° 02-16.597, Receveur principal des impôts de Rochefort-sur-Mer c/ M. François Rivallain, précité)
Ainsi, la Cour de cassation rappelle que "le juge saisi sur le fondement de l'article L. 267 du LPF n'a pas compétence pour se substituer au juge de la procédure collective dans l'appréciation du bien-fondé de l'admission d'une créance" (Cass. com., 28 septembre 2004, n° 02-18.394, M. Pironneau c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie F-D, précité).
La Haute cour considère en effet, à cet égard, que "le juge, saisi sur l'article L. 267 du LPF, qui estime que les conditions d'application de ce texte sont remplies pour la totalité de la somme restant due par la société, ne dispose pas du pouvoir de limiter le montant de la condamnation à prononcer" (Cass. com., 11 janvier 2005, n° 02-16.597, Receveur principal des impôts de Rochefort-sur-Mer c/ M. François Rivallain, précité)
Cette position est, également, celle de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, pour laquelle le juge pénal "n'a pas le pouvoir de se prononcer, fût-ce de façon incidente ou indirecte sur l'existence et le quantum de la dette fiscale" (Cass. crim., 4 novembre 2004, n° 03-87.503, Eric Bellucci c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A0434DES) eu égard au principe de l'indépendance des poursuites du chef de fraude fiscale et du contentieux relatif à l'établissement de l'impôt.
En effet, comme le soulignait le rapport de Philippe Marini fait au nom de la Commission des finances du Sénat (rapport n° 438 du 29 juin 2005), il n'est laissé au juge "aucune marge d'appréciation quant à l'opportunité de la déclaration de solidarité qui lui est demandé de prononcer, ni de la possibilité de moduler la solidarité en fonction du niveau de gravité des manquements constatés , ni même d'aucune prise sur l'ampleur des conséquences patrimoniales que cette déclaration est susceptible d'entraîner envers le dirigeant" (Cass. com., 11 janvier 2005, n° 02-16.597, Receveur principal des impôts de Rochefort-sur-Mer c/ M. François Rivallain, précité).
La mise en oeuvre d'une manière indifférenciée de l'article L. 267 du LPF d'un dirigeant à l'autre lorsque se trouvent plus particulièrement en cause des pénalités fiscales, conduit à s'interroger sur sa compatibilité avec le principe de proportionnalité des peines.
Cette incompatibilité serait, en effet, susceptible d'être déclarée à l'appui la jurisprudence combinée du Conseil constitutionnel (C. const., 29 décembre 1989, n° 89-268 DC N° Lexbase : A8205ACU) et de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, 24 février 1994, req. 00012547/86, Bendedoun c/ France N° Lexbase : A2994AUG), ainsi que du Conseil d'Etat (CE, Contentieux, 31 mars 1995, n° 164008, Ministre du Budget c/ Auto-Industrie Méric N° Lexbase : A3250ANP) qui considèrent qu'entrent dans le champ d'application de ce principe fondamental les sanctions fiscales par application des dispositions des articles 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1372A9P) et de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (N° Lexbase : L7558AIR).
C'est, ainsi, que le Sénat a proposé, lors de la discussion du projet d'abrogation de l'article L. 266 du LPF et de modification de l'article L. 267 du LPF, un article additionnel proposant un assouplissement des conditions "du prononcé de la solidarité fiscale" des dirigeants, devant "permettre au juge de ne déclarer une solidarité fiscale des dirigeants que partielle", alors même que les conditions du texte se trouveraient remplies, "en considération de l'étendue des manquements commis eu égard, par exemple, à la situation économique de l'entreprise et à due proportion du patrimoine personnel du dirigeant".
Cette proposition n'a pas été retenue et le texte sur le sujet est resté en l'état jusqu'à une prochaine discussion de loi de finances et, à défaut, l'intervention d'une décision de jurisprudence d'une Haute cour.
Lire également sur le sujet de la responsabilité solidaire des dirigeants :
- Sabine Dubost, "L' exigence de célérité dans la mise en oeuvre de la procédure", Lexbase Hebdo n° 160, du 24 mars 2005 - édition fiscale ([LXB=N 2210AIP]) ;
- Sabine Dubost, "N'établit pas l'impossibilité de recouvrir sa créance, l'administration qui prend une hypothèque sur un bien dont la société vient faire l'acquisition", Lexbase Hebdo n° 159, du 17 mars 2005 - édition fiscale ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 3165507, "corpus": "reviews"}, "_target": "_blank", "_class": "color-reviews", "_title": "[Jurisprudence] Responsabilit\u00e9 solidaire des dirigeants : n'\u00e9tablit pas l'impossibilit\u00e9 de recouvrir sa cr\u00e9ance, l'administration qui prend une hypoth\u00e8que sur un bien, dont la soci\u00e9t\u00e9 vient de faire l'acquisition", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: N2064AIB"}}).
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