La lettre juridique n°180 du 8 septembre 2005 : Sociétés

[Textes] Le nouveau dispositif légal relatif à la transparence des rémunérations

Réf. : Loi du 26 juillet 2005, n° 2005-842, pour la confiance et la modernisation de l'économie (N° Lexbase : L8800G9S)

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le 07 Octobre 2010

La loi du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l'économie publiée au Journal officiel du 27 juillet 2005 (loi "Breton") renforce le dispositif légal relatif à la transparence des rémunérations. Cette réforme a été accomplie dans un contexte médiatique houleux (1). Il est étonnant de voir à quel point les politiques de rémunération dans les sociétés ou les groupes ont évolué. Avant la réforme, sur fond de transparence des rémunérations, l'anathème a pu être jeté, non sans une certaine "hypocrisie", sur les augmentations de rémunération sans corrélation avec les résultats sociaux (2). Si certains abus existent, les raisons de ces augmentations peuvent, aussi, être recherchées dans la multiplication des risques inhérents à la fonction de dirigeant. Ces explications semblent, cependant, insuffisantes : en matière de rémunération, les litiges ont été de plus en plus nombreux. Ainsi, Pierre Bilger a renoncé à son indemnité de départ de la présidence de la société Altsom et "s'est vu confisquer ses stocks-options" (3). Par ailleurs, Jean-Marie Messier, l'ancien président directeur général de Vivendi Universal avait signé, en juillet 2002, un contrat de départ prévoyant le versement de près de 21 millions d'euros. La justice française avait ordonné la mise sous séquestre de cette indemnité de départ. Le 23 décembre 2003, à l'issue d'un accord entre Vivendi Universal et la Securities and Exchange Commission (l'homologue de l'Autorité des Marchés Financiers aux Etats-Unis), l'intéressé a renoncé à ce "golden parachute" (4). La loi NRE (loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques N° Lexbase : L8295ASZ) avait été trop loin dans ses dispositions relatives à la transparence des rémunérations, en visant indistinctement toutes les sociétés anonymes, qu'elles soient cotées ou non. Utile et nécessaire dans les sociétés cotées (où l'obligation pouvait, à l'époque, être stigmatisée par la Commission des opérations de bourse), la publication dans le rapport annuel de la rémunération des mandataires sociaux des entreprises non-cotées se justifiait difficilement. La sanction prévue pour ces dernières, en cas de non-respect de la transparence des rémunérations (engagement de la responsabilité des membres du conseil d'administration) n'était pas précisée. La loi de sécurité financière (loi n° 2003-706, du 1er août 2003 N° Lexbase : L3556BLB) et l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004, portant réforme du régime des valeurs mobilières (N° Lexbase : L5052DZ7) ont, donc, limité le dispositif légal aux seuls mandataires détenant un mandat dans une société cotée et percevant des rémunérations de la société cotée, de la société contrôlante ou des sociétés contrôlées par cette société cotée.

En substance, en vertu de ces réformes successives :

  • si la personne rémunérée n'a pas de mandat dans une société cotée, elle n'est pas soumise à l'obligation de transparence ;
  • si la personne rémunérée a un mandat dans une société cotée, elle doit déclarer :

    - les rémunérations qu'elle perçoit de la société cotée ;
    - celles qu'elle reçoit des sociétés qui contrôlent la société cotée ;
    - celles qu'elle reçoit des sociétés contrôlées par la société cotée.

Le rapport annuel de gestion de la société cotée doit faire état du montant des rémunérations et des avantages de toute nature ainsi reçus.

La réforme opérée par la loi "Breton" alourdit le dispositif en place, d'une part, en exigeant des précisions quant aux éléments de rémunération et, d'autre part, en renforçant le caractère contraignant du dispositif.

I - Les éléments de rémunérations

Avec la loi "Breton", outre les rémunérations et avantages de toutes natures, la transparence concerne, également, les politiques de rémunérations et les engagements pris par la société.

A - La transparence des politiques de rémunération

Suivant le nouvel alinéa 3 de l'article L. 225-102-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3957HB8), le rapport de gestion doit décrire "en les distinguant les éléments fixes, variables et exceptionnels composant ces rémunérations et avantages ainsi que les critères en application desquels ils ont été calculés ou les circonstances en vertu desquelles ils ont été établis". Non seulement la rémunération, mais aussi les politiques de rémunération de la société cotée doivent, dorénavant, être transparentes.

S'il est question de critères, ceux-ci peuvent, en premier lieu, être objectifs, il faut alors se référer, par exemple, à des chiffres moyens par catégories d'entreprises des rémunérations de dirigeant. Les critères peuvent, en second lieu, être subjectifs, en se référant, notamment, à une grille de rémunérations concernant le groupe de sociétés ou encore en se référant, par exemple, pour la partie variable, aux résultats de la société ou du groupe.

Dans la mesure où des risques de nullité existent (v. infra), doit être souligné le caractère alternatif de la référence qui peut être faite, tantôt aux critères permettant de calculer les éléments fixes, variables et exceptionnels composant la rémunération et les avantages, tantôt aux circonstances en vertu desquelles ils ont établis.

Ces circonstances concerneront probablement, au cas le plus fréquent, les rémunérations exceptionnelles. L'arrivée du mandataire, son départ, des actions ou des résultats remarquables, la volonté de fidéliser une personnalité à un poste de direction permettront, entre autres, de justifier ces rémunérations.

B - La transparence des engagements pris par la société

Dans le prolongement de la transparence de ces rémunérations ou avantages exceptionnels, l'article L. 225-102-1, alinéa 3, du Code de commerce ajoute que le rapport doit, également, indiquer "les engagements de toutes natures, pris par la société au bénéfice de ses mandataires sociaux, correspondant à des éléments de rémunération, des indemnités ou des avantages dus ou susceptibles d'être dus à raison de la prise, de la cession ou du changement de ces fonctions ou postérieurement à celles-ci".

L'ensemble du dispositif signifie, donc, que la transparence peut, dorénavant, être à trois vitesses. Doivent être indiqués dans le rapport annuel :

  • le montant des rémunérations et avantages de toute nature ;
  • les critères ou les circonstances permettant de justifier ce montant ;
  • les engagements de toutes natures pris par la société au bénéfice de ses mandataires sociaux.

Les engagements concernés sont de toutes natures. Toujours contractuels, ils peuvent être statutaires ou extrastatutaires.

Ils doivent être "pris par la société au bénéfice de ses mandataires sociaux". La nullité qui sanctionne le manquement à cette obligation (v. infra) laisse penser qu'une lecture restrictive du texte est envisageable. Suivant celle-ci, les engagements pris par la société cotée envers ses mandataires sont seuls concernés par cette obligation ; cela paraît exclure la transparence des engagements pris par les sociétés contrôlantes ou contrôlées.

Enfin, les engagements correspondent "à des éléments de rémunération, des indemnités ou des avantages dus ou susceptibles d'être dus à raison de la prise, de la cession ou du changement de ces fonctions ou postérieurement à celles-ci". Cette définition est des plus larges. Rémunérations, indemnités et avantages couvrent globalement toutes les techniques permettant d'offrir une contrepartie financière aux services des mandataires sociaux. Quant aux engagements pris "à raison de la prise, de la cessation ou du changement des fonctions ou postérieurement à celles-ci", on comprend que, dès lors que la personne est mandataire d'une société cotée, tous les engagements le concernant sont concernés.

Ces engagements doivent être indiqués. Cela signifie que leur publication intégrale n'est pas exigée. En revanche, de façon beaucoup plus sibylline, la loi exige que l'information donnée à ce titre précise "les modalités de détermination de ces engagements". On pourrait en déduire qu'il suffit, par exemple, d'indiquer que, à l'occasion de l'entrée des dirigeants, un golden hello peut être prévu et que, par voie de conséquence, Monsieur X. a bénéficié d'un engagement en ce sens. Seraient, également, concernés, les golden parachutes et les retraites chapeaux.

II - Le caractère contraignant du dispositif

Le dispositif légal devient plus contraignant en ce que de l'intervention du commissaire aux comptes jusqu'à la nullité, il oblige les sociétés à respecter leurs obligations déclaratives.

En premier lieu, les commissaires aux comptes attestent l'exactitude et la sincérité des informations relatives à la transparence des rémunérations et avantages, à la politique de rémunération et aux engagements de rémunérer (C. com., art. L. 225-235 modifié N° Lexbase : L3895HBU).

En deuxième lieu, les injonctions de faire spécialement dédiées au rapport annuel de gestion s'étendent dorénavant à l'ensemble de l'article L. 225-102-1 et, par conséquent, à la transparence des rémunérations (C. com., art. L. 225-102-1, avant dernier alinéa).

En troisième lieu, suivant le nouvel article L. 225-42-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L4054HBR), dans les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, les engagements pris au bénéfice de leurs présidents, directeurs généraux ou directeurs généraux délégués, par la société elle-même ou par toute société contrôlée ou qui la contrôle au sens des II et III de l'article L. 233-16 du Code de commerce (N° Lexbase : L6319AIU), et correspondant à des éléments de rémunération, des indemnités ou des avantages dus ou susceptibles d'être dus à raison de la cessation ou du changement de ces fonctions, ou postérieurement à celles-ci, sont soumis à la procédure des conventions réglementées (C. com., art. L. 225-38 et suivants N° Lexbase : L5909AIP).

En quatrième et dernier lieu, de façon encore plus prophylactique, "hormis les cas de bonne foi, les versements effectués et les engagements pris en méconnaissance des dispositions relatives à la transparence des engagements [v. supra] peuvent être annulés". La nullité n'est donc que facultative. En outre, le demandeur devra, bien entendu, pouvoir démontrer qu'il dispose d'une qualité et d'un intérêt à agir.

En conclusion, l'arsenal législatif paraît complet. On peut, cependant, déplorer que certaines lacunes persistent. D'une part, à la lettre des textes, la transparence ne concerne pas les rémunérations et avantages offerts par une société soeur au mandataire social d'une société cotée. D'autre part, la transparence des engagements de rémunération ne concerne, quant à elle, que la société cotée. Enfin, une réponse ministérielle récente (5) met en évidence les difficultés que l'on peut rencontrer dans les groupes internationaux de sociétés.

Jean-Philippe Dom
Maître de conférences à l'Université de Caen


(1) Voir, également, F. Girard de Barros, "Rémunération des dirigeants : le bébé et l'eau du bain", N° Lexbase : N5263AIR ;
(2) Y. de Kerdrel, "Argent des patrons : l'hypocrisie française", Les Echos, 29 décembre 2003, spéc. p. 12 ;
(3) M.-J. Pasquette, "Les conseils d'administration sur la brêche", Investir Hebdo, 2 janvier 2004 ;
(4) Voir, "Vivendi : le sacrifice de Messier", Le Progrès, 25 décembre 2003, p. 3 ;
(5) QE n° 26438 de M. Falala Francis, JOANQ 13 octobre 2003 p. 7761, min. éco., réponse publ. 2 août 2005 p. 7575, 12e législature, N° Lexbase : L8528HBH.

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