Réf. : Chbre mixte, 10 juin 2005, n° 02-21.296, Banque Hervet c/ M. Louis X..., et autres, publié (N° Lexbase : A6758DI7)
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par Marie-Elisabeth Mathieu, Jeantet Associés, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val d'Essonne
le 07 Octobre 2010
I - Le difficile compromis entre les intérêts du créancier et ceux de la caution
Deux conceptions se sont opposées jusqu'à la date de la présente décision.
a) La conception civiliste qui, à l'appui d'une lecture exégétique de l'article 2078 du Code civil (N° Lexbase : L2316ABE), voit dans l'attribution judiciaire du gage une simple faculté. L'alinéa premier de l'article 2078 du Code civil propose, donc, au créancier une alternative : vente aux enchères du bien gagé ou attribution judiciaire à dire d'expert. Le législateur permet, alors, au créancier, détenteur d'un gage de peu de valeur ou susceptible de dépréciation, de le réaliser rapidement dans des conditions plus avantageuses que celles d'une vente judiciaire. Cette option qui lui est offerte est aussi une contrepartie de l'interdiction qui lui est faite de conclure avec le débiteur un pacte commissoire ou une clause de voie parée.
Le créancier peut donc appeler la caution en garantie sans avoir au préalable réaliser son gage et sans y être tenu (Cass. civ. 1, 8 juillet 2003, n° 01-03.177, M. Dominique Stal c/ Société Crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises (CEPME), F-D N° Lexbase : A0973C9W). Cette conception interdit, en conséquence, la décharge de la caution au moyen de l'article 2037 du Code civil. Dans cette décision du 8 juillet 2003, la caution qui entendait se décharger, sur ce fondement, de son obligation de règlement, s'est donc vue déboutée de son action en responsabilité contre le créancier gagiste, auquel elle reprochait de ne pas avoir demandé l'attribution judiciaire de son gage.
Par cette analyse, c'est le caractère unilatéral du contrat de cautionnement qui prévaut. Un tel engagement unilatéral est conclu, d'abord, au bénéfice du créancier. Il est donc logique que celui-ci demeure libre de demander ou non l'attribution judiciaire du gage sans que son attitude soit constitutif d'une faute. Il est, en effet, nécessaire que le créancier ait eu une obligation d'agir -obligation de faire au sens de l'article 1142 du Code civil (N° Lexbase : L1242ABM)- pour que son abstention soit fautive.
b) La conception de la Chambre commerciale est autre ; bien qu'en son temps, elle ait rejoint celle de la première chambre civile (Cass. com., 3 novembre 1983, n° 82-10.294, Dame Petit, Paquien c/ Estruch, publié au bulletin N° Lexbase : A9348CEX, JCP éd. G. 1984, II, 20234).
Ainsi, "si l'attribution judiciaire du gage ne constitue qu'une faculté pour le créancier, ce dernier, lorsqu'il est par ailleurs garanti par un cautionnement commet une faute au sens de l'article 2037 du Code civil si, en s'abstenant de demander cette attribution, il prive la caution d'un droit pouvant lui profiter" (Cass. com., 13 mai 2003, n° 00-15.404, FS-P N° Lexbase : A0109B78, Bull. civ. IV n° 73, p.83).
Protectrice des intérêts de la caution, la Chambre commerciale pose comme principe que le créancier bénéficiaire d'un gage et d'un contrat de cautionnement doit solliciter l'attribution judiciaire du gage -même si en son principe, cette attribution judiciaire est une simple faculté- avant d'appeler la caution en garantie. Le gage doit donc profiter à la caution.
Cette conception protège le recours de la caution contre le débiteur. En revanche, le créancier risque de se retrouver dépourvu de toutes garanties : tel sera le cas -comme en l'espèce- de celui qui, renonçant à la réalisation du gage, ne peut de ce fait appeler la caution en paiement, celle-ci ayant été déchargée -sur le fondement de l'article 2037 du Code civil- de son obligation.
Soit.
Mais l'excès de sûreté aura alors tué toute sûreté.
Il est vrai, cependant, que le créancier, dans la mesure où il s'est abstenu de solliciter l'attribution du gage, prive la caution d'un avantage non négligeable pour elle. Mais il est tout aussi important de protéger le créancier d'un débiteur négligeant en l'autorisant à réaliser ses garanties.
Il existe donc un conflit d'intérêt bien réel entre le garant, "tiers" à la créance et le créancier détenteur de cette créance envers son débiteur.
En l'état, c'est justement ce conflit d'intérêt qui opposait les chambres civiles et la Chambre commerciale de la Cour de cassation. Et, c'est la raison pour laquelle la saisine d'une Chambre mixte s'imposait sur une question aussi conflictuelle.
II - La faute du créancier gagiste
Solliciter l'attribution judiciaire du gage est, dans les textes, pure faculté. Cette règle semble recevoir une exception pour la Chambre commerciale : le créancier ne doit pas, par négligence dans l'exercice de ses prérogatives, nuire à la caution.
Une telle exigence va-t-elle jusqu'à imposer au créancier gagiste une hiérarchie dans la réalisation de ses garanties ? Rien n'est moins sûr pour la première chambre civile (V. en ce sens ; Cabrillac et Mouly, Droit des sûretés, 7ème éd. Litec, n° 277-3) et pourtant, c'est une réponse positive qui est apportée par la Chambre mixte.
En retenant "que la banque avait renoncé au bénéfice du gage, la cour d'appel en a exactement déduit que la caution était déchargée de son obligation".
Comment peut-on imposer au créancier gagiste d'acquérir en propriété le bien gagé, par l'exercice de son droit de préférence, alors qu'il dispose d'une autre sûreté lui permettant d'éviter les aléas de la vente et éventuellement ceux de la revente du bien gagé ? En relevant, au moyen de l'article 2037 du Code civil, une faute du créancier et donc un fait exclusif de la banque créancière qui "fait perdre un droit conférant un avantage particulier à la caution" (Cass. com., 2 avril 1996, n° 93-19.074, Epoux Philibert et autre N° Lexbase : A9424ABN).
En réalité, dans la décision du 14 juin 2005, ce qui est reproché à la banque créancière, c'est le fait d'avoir consenti à la mainlevée de son privilège alors que le gage aurait du profiter à la caution. Au surplus, celle-ci n'a pas été informée de cette mainlevée.
La banque a commis une faute : car elle a laissé périr l'efficacité du gage en privant la caution de son droit préférentiel sur celui-ci. Le matériel gagé a probablement été cédé à un prix dérisoire et la banque créancière n'a pas tenté de se le faire judiciairement attribuer à un meilleur prix.
Le raisonnement de la cour d'appel, confirmée par la Chambre mixte, est des plus subtil : la faute imputable à la banque créancière n'est pas stricto sensu le fait d'avoir renoncé à l'attribution judiciaire du gage. C'est le fait d'avoir donné mainlevée de son nantissement sans en informer la caution qui est fautif. Le créancier a donc préféré, peu important le préjudice subi par la caution, consentir à la mainlevée de son privilège plutôt que d'en solliciter l'attribution judiciaire et primer ainsi, les créanciers privilégiés.
Telle est la négligence de la banque créancière.
En l'espèce, le débiteur était, de plus, en état de cessation des paiements.
En toute probabilité, si la banque avait d'abord sollicité l'attribution judiciaire du matériel nanti, elle aurait réalisé cet actif et il lui aurait été affecté. Elle aurait, alors, échappé au concours d'autres créanciers privilégiés titulaires d'un meilleur rang. Le créancier gagiste détient, en effet, un avantage significatif lors d'une liquidation judiciaire de son débiteur : l'attribution du gage l'autorise à échapper au concours des autres créanciers. Un tel avantage rejaillit sur la caution : le créancier gagiste, totalement désintéressé par la vente du ou des biens gagés, n'appellera pas la caution en garantie. S'il ne l'est que partiellement, il l'appellera pour qu'elle exécute son obligation de règlement à proportion de la créance restante.
Cette attitude du créancier préserve, au bénéfice de la caution, les sûretés dont il est bénéficiaire.
Par cette décision, les contours de la faute du créancier au sens de l'article 2037 du Code civil sont définis. Une précision est donc apportée sur le juste équilibre à établir entre le créancier garanti et la caution : le premier ne peut se désintéresser de la seconde et doit l'actionner à sa juste mesure, ne pouvant s'abstenir d'un quelconque fait qui lui serait préjudiciable.
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