Réf. : Cass. soc., 15 juin 2005, n° 03-48.094, Philippe Regnaut c/ Société Wolber, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6829DIR)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Décision
Cass. soc., 15 juin 2005, n° 03-48.094, Philippe Regnaut c/ Société Wolber, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6829DIR) Rejet (cour d'appel d'Amiens, 7 octobre 2003, 5ème chambre sociale, cabinet A) Textes concernés : NCPC, art. 5 (N° Lexbase : L2632ADT) ; C. trav., art. L. 321-4-1 (N° Lexbase : L8926G7Q) Mots-clefs : plan de sauvegarde de l'emploi ; nullité ; réintégration des salariés ; impossibilité. Lien bases : |
Résumé de la décision
La société ayant cessé définitivement son activité et vendu ses actifs industriels et l'entreprise ayant disparu, la réintégration, demandée dans les seuls emplois que les salariés occupaient dans cette entreprise avant leurs licenciements, était devenue matériellement impossible. |
Faits
1. La société Wolber, qui exploitait à Soissons une usine de fabrication de pneumatiques, a décidé en 1999 de cesser son activité et de fermer son usine en raison de difficultés économiques et à la suite de la résiliation d'un contrat de sous-traitance conclu avec la société Manufacture française de pneumatiques Michelin (MFPM). Elle a présenté au comité d'entreprise un plan social, puis notifié aux salariés leurs licenciements pour motif économique. 2. La cour d'appel d'Amiens a annulé le plan social établi par la société Wolber en raison de son insuffisance ainsi que, par voie de conséquence, la procédure de licenciement collectif et les licenciements économiques prononcés par l'employeur, mais a rejeté les demandes des salariés tendant à obtenir leur réintégration dans les emplois qu'ils occupaient avant leurs licenciements. |
Solution
1. "La cour d'appel a constaté que la société Wolber avait cessé définitivement son activité et que ses actifs industriels avaient été vendus ; ayant ainsi fait ressortir que l'entreprise avait disparu, elle a pu en déduire que la réintégration, demandée dans les seuls emplois que les salariés occupaient dans cette entreprise avant leurs licenciements, était devenue matériellement impossible". 2. Rejet |
Commentaire
1. L'impossibilité matérielle comme obstacle à la réintégration 1.1. Les dispositions légales applicables L'article L. 122-14-4, alinéa 1er, du Code du travail (N° Lexbase : L5569ACA), dans sa version issue de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (N° Lexbase : L1304AW9), dispose que "lorsque le tribunal constate que le licenciement est intervenu alors que la procédure de licenciement est nulle et de nul effet, conformément aux dispositions du cinquième alinéa de l'article L. 321-4-1, il peut prononcer la nullité du licenciement et ordonner, à la demande du salarié, la poursuite de son contrat de travail, sauf si la réintégration est devenue impossible, notamment du fait de la fermeture de l'établissement ou du site ou de l'absence d'emploi disponible de nature à permettre la réintégration du salarié. Lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de son contrat de travail ou lorsque la réintégration est impossible, le tribunal octroie au salarié une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des douze derniers mois". Même si le texte ne le précise pas, la réintégration peut se heurter à un obstacle insurmontable. Reste à déterminer quels sont les éléments qui peuvent s'opposer à la réintégration des salariés. La Cour de cassation considère traditionnellement que "seule une impossibilité matérielle" est de nature à s'opposer à la réintégration des salariés, qu'il s'agisse ici de salariés protégés licenciés sans autorisation administrative (Cass. soc., 24 juin 1998, n° 95-44.757, Monsieur Vanderghote c/ Entrepose Montalev, publié N° Lexbase : A5384ACE : "impossibilité absolue" ; Cass. soc., 30 juin 2004, n° 02-41.686, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8129DC3, lire Gilles Auzero, La mise en disponibilité d'un salarié protégé ne vaut pas réintégration, Lexbase Hebdo n° 129 du 15 juillet 2004 - édition sociale N° Lexbase : N2300ABS), de grévistes (Cass. soc., 2 février 2005, n° 02-45.085, F-P+B N° Lexbase : A6210DG4, lire Christophe Radé, Seule une impossibilité matérielle peut s'opposer à la réintégration d'un gréviste illégalement licencié, Lexbase Hebdo n° 155 du 17 février 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4618ABN) ou de salariés lorsque le plan social a été annulé (Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-43.717, Société SEPR (Société les éditions de la prévention routière) c/ M. Michel Michelon, FS-P N° Lexbase : A9819C88, lire Stéphanie Martin Cuenot, L'annulation du plan social, Lexbase Hebdo n° 79 du 10 juillet 2003 - édition sociale N° Lexbase : N8080AAI).
A plusieurs reprises, la Cour de cassation avait été amenée à préciser ce qu'il convenait d'entendre concrètement par "impossibilité matérielle" de réintégrer. Ainsi, dans un arrêt en date du 13 décembre 1994, la Haute juridiction avait affirmé que le fait que l'entreprise ait "pratiquement cessé son activité sur le site en cause et qu'il n'existait aucun emploi correspondant à [la] qualification" du salarié ne caractérisait pas une telle impossibilité (Cass. soc., 13 décembre 1994, n° 92-42.454. M. Vanderghote c/ Société Entrepose Montalev, publié N° Lexbase : A3909AAZ, Dr. soc. 1995. 513, obs. Cohen), ni le fait que l'entreprise avait procédé à de nombreux licenciements économiques (Cass. soc., 24 juin 1998, n° 95-44.757, Monsieur Vanderghote c/ Entrepose Montalev, publié N° Lexbase : A5384ACE). Constitue, en revanche, une impossibilité matérielle le fait pour les salariés de s'être rendus coupables de concurrence déloyale (Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-46.479, FS-P N° Lexbase : A9827C8H, Dr. soc. 2003, p. 1024, obs. P. Waquet).
A la suite du jugement rendu dans cette même affaire par le conseil de prud'hommes de Soisson, le Parlement s'était emparé de la question et avait décidé de modifier les termes de l'article L. 122-14-4 du Code du travail afin d'assouplir ce critère de l'impossibilité de réintégrer. La nouvelle version, issue de la loi du 18 janvier 2005 (loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, de programmation pour la cohésion sociale N° Lexbase : L6384G49), dispose désormais que "lorsque le tribunal constate que le licenciement est intervenu alors que la procédure de licenciement est nulle et de nul effet, conformément aux dispositions du cinquième alinéa de l'article L. 321-4-1, il peut prononcer la nullité du licenciement et ordonner, à la demande du salarié, la poursuite de son contrat de travail, sauf si la réintégration est devenue impossible, notamment du fait de la fermeture de l'établissement ou du site ou de l'absence d'emploi disponible de nature à permettre la réintégration du salarié" (lire notre chronique Le droit du travail après la loi du 18 janvier 2005 : la cohésion sociale comme affichage, la flexibilité comme objectif, Lexbase Hebdo n° 152 du 27 janvier 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4353ABT). Au-delà de la discussion sur la portée exacte de la formule (pouvoirs du juge d'apprécier en opportunité la nécessité de prononcer la réintégration, sauf impossibilité de réintégrer), la volonté du Parlement était manifestement d'assouplir les hypothèses dans lesquelles la réintégration est impossible en consacrant des obstacles légaux, dont la liste n'est pas limitative ("notamment") et au titre desquels figurent, désormais, "la fermeture de l'établissement ou du site" et "l'absence d'emploi disponible de nature à permettre la réintégration du salarié". Il était, par conséquent, intéressant de voir comment allait régir la Cour de cassation face à cette loi nouvelle. 1.2. Le dénouement judiciaire de l'affaire "Wolber" Dans cette affaire, les nouvelles dispositions de l'article L. 122-14-4, alinéa 1er, du Code du travail (N° Lexbase : L8990G74), n'étaient pas applicables aux faits de l'espèce, puisque les nouveaux principes issus de la loi du 18 janvier 2005 "sont applicables aux procédures de licenciement engagées à compter de la date de promulgation de la présente loi" (art. 78). Il était intéressant de déterminer si la Cour allait faire une application anticipée de ces dispositions. En l'espèce, c'était bien la fermeture de l'usine qui était en cause, fermeture qui s'était accompagnée du démantèlement du site (notamment la vente du matériel). Si cette fermeture n'avait pas empêché le conseil de prud'hommes de Soisson d'ordonner la réintégration des salariés et donc d'envisager la réimplantation de l'entreprise, la cour d'appel de d'Amiens s'y était refusée. Cet arrêt est ici logiquement confirmé par le rejet du pourvoi, la cour d'appel ayant "fait ressortir que l'entreprise avait disparu" et "pu en déduire que la réintégration, demandée dans les seuls emplois que les salariés occupaient dans cette entreprise avant leurs licenciements, était devenue matériellement impossible". Sans modifier les termes de sa jurisprudence antérieure qui recherchait le caractère "matériellement impossible" de la réintégration, la Chambre sociale semble donc faire implicitement application des nouvelles dispositions législatives qui visent, notamment, "la fermeture de l'établissement ou du site" parmi les circonstances qui font désormais obstacle à la réintégration. Cette similitude n'est toutefois qu'apparente dans la mesure où la solution suggérée par la Chambre sociale de la Cour de cassation semble aller au-delà des nouvelles dispositions légales. 2. Les possibilités de réintégration suggérées 2.1. La détermination du périmètre de l'obligation de réintégration Le nouvel article L. 122-14-4, alinéa 1er, du Code du travail, dispose, rappelons-le, que la réintégration est prononcée " sauf si [elle] est devenue impossible, notamment du fait de la fermeture de l'établissement ou du site ou de l'absence d'emploi disponible de nature à permettre la réintégration du salarié". Selon ce texte, la fermeture de l'établissement ou du site fait obstacle à la réintégration, sans qu'il soit ici question de vérifier si celle-ci serait envisageable dans un autre établissement de l'entreprise ou dans une autre entreprise du groupe et de l'UES. Or, jusqu'à présent, la Chambre sociale de la Cour de cassation a toujours considéré que l'impossibilité matérielle de réintégrer les salariés dans leur emploi n'interdisait pas de rechercher les possibilités de réintégration soit dans l'établissement (Cass. soc., 30 mars 1999, n° 97-41.013, Association laïque pour l'Education et la formation professionnelle c/ Mme Berthelin et autres, publié N° Lexbase : A4729AGA), soit en dehors de l'établissement, "lorsqu'il existe un groupe de personnes morales ou physiques constitutif d'une seule entreprise, ce qui est le cas lorsqu'une unité économique et sociale est reconnue", le périmètre de réintégration s'étendant alors à toutes les personnes juridiques constituant ce groupe (Cass. soc., 16 octobre 2001, n° 99-44.037, FS-P N° Lexbase : A4913AWU, D. 2002, p. 770, obs. E. Peskine). 2.2. La confirmation de la jurisprudence antérieure Cette analyse se trouve implicitement confirmée dans cet arrêt "Wolber" du 15 juin 2005, puisque la Cour y précise que la réintégration avait été "demandée dans les seuls emplois que les salariés occupaient dans cette entreprise avant leurs licenciements". La demande ne portant pas sur la réintégration au sein d'autres entreprises du groupe Michelin (la société Wolber était une filiale à 99,97 % de Michelin), l'impossibilité matérielle consécutive au démantèlement du site s'imposait. Il est d'ailleurs symptomatique de relever que le débat portait, notamment, sur l'application de l'article 5 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2632ADT), qui dispose que "Le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé". Saisi d'une demande de réintégration dans l'établissement disparu, le juge devait donc répondre uniquement dans ce cadre, et non au-delà. La Cour de cassation suggère très clairement que si cette réintégration avait été demandée au sein du groupe, elle aurait été envisageable sur les emplois disponibles. Or, l'application du nouvel article L. 122-14-4, alinéa 1er, du Code du travail, ne semble pas pouvoir conduire à une telle solution puisque, rappelons-le, il suffit à l'employeur de prouver que l'établissement a disparu pour faire légalement obstacle à la réintégration, celle-ci ayant donc un périmètre désormais inférieur à l'obligation de reclassement. 2.3. Le sort des salariés Dans cette affaire, il faut d'ailleurs préciser que Michelin avait proposé, dès 1999, aux salariés qui le désiraient, un reclassement au sein du groupe, reclassement qui avait été accepté par 37 d'entre-eux qui avaient, à cette occasion, reçu une prime de déménagement de 1 500 euros. Au début de l'année 2005, Michelin avait d'ailleurs fait de nouvelles propositions en ce sens aux 155 demandeurs, soit six années après leur licenciement... Selon la direction de Michelin, seuls 18 salariés n'auraient, depuis, pas trouvé de solution, alors que l'avocat des salariés, Maître Philippe Brun, dénombre pour sa part 90 chômeurs et 135 contrats à durée indéterminée, dont la moitié à temps partiel. Au-delà du débat sur l'impossibilité de réintégrer, c'est bien le procès de la mondialisation qui se profile et des délocalisations dans des pays "émergeants", au moins sur le plan économique. Mais que dire sur le plan social ? |
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