Réf. : Ordonnance du 8 juin 2005, n° 2005-656, relative aux règles de fonctionnement des juridictions de l'incapacité (N° Lexbase : L8561G8L)
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le 07 Octobre 2010
Tel est le constat qui constitue la première phrase d'un récent rapport du Conseil d'Etat sur l'avenir des juridictions spécialisées dans le domaine social (1). Le constat n'est guère nouveau et ne saurait surprendre. On le sait, les litiges portant sur les relations de travail peuvent relever de la compétence de plusieurs juridictions (conseil de prud'hommes mais, également, tribunal d'instance, tribunal de grande instance, ou encore tribunal administratif). Pourtant, l'éclatement du contentieux paraît encore plus important en ce qui concerne le reste du contentieux social et, en particulier, en ce qui concerne le contentieux de la Sécurité sociale. En effet, en la matière, la dispersion est nette entre contentieux judiciaire, contentieux administratif et contentieux pénal. Au surplus, au sein de chacun de ces contentieux, les juridictions -spécialisées ou non- sont diverses, selon que le litige porte sur le contentieux général, le contentieux technique ou encore le contentieux du contrôle technique.
Le contentieux général de la Sécurité sociale regroupe tous les différends auxquels donne lieu l'application des législations et réglementations de Sécurité sociale et de mutualité sociale agricole, dès lors qu'ils ne relèvent pas, par leur nature, d'un autre contentieux (v., CSS, art. L. 142-1 N° Lexbase : L4643ADC). En première instance, le contentieux général est de la compétence des juridictions judiciaires : les tribunaux des affaires de Sécurité sociale (2). Le contentieux technique porte sur les questions d'ordre médical (litiges relatifs au taux d'incapacité, à la détermination d'une date de consolidation...). Relevant de l'ordre judiciaire, le contentieux technique est attribué aux tribunaux du contentieux de l'incapacité en première instance et à la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail (CNITAAT) (3) en appel.
L'ensemble de ces juridictions connaît des compositions et règles de fonctionnement relativement variées, ce qui n'est pas sans accentuer l'opacité du système juridictionnel en la matière.
Les tribunaux du contentieux de l'incapacité et les tribunaux des affaires de Sécurité sociale ont fait l'objet de réformes relativement récentes (v., notamment, la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 N° Lexbase : L1304AW9 et la réécriture des articles L. 143-2 et suivants du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L4387ADT). Ces dernières avaient notamment pour objectif la mise en conformité de la composition de ces juridictions avec l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR).
Cependant, l'indépendance et l'impartialité n'étaient assurément pas les seuls maux dont les juridictions judiciaires précitées souffraient. La situation appelait encore quelques attentions, notamment à propos des règles de procédure ou de fonctionnement. En effet, jusqu'à la réforme commentée ici, les règles de fonctionnement des tribunaux du contentieux de l'incapacité et des tribunaux des affaires de Sécurité sociale se caractérisaient notamment par leur assez grande disparité mais, également, par des obligations dont le respect est parfois difficile en pratique.
La loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004, de simplification du droit (N° Lexbase : L4734GUU), prévoit dans son article 5 que le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance, d'une part, les mesures nécessaires pour simplifier les règles de fonctionnement des tribunaux du contentieux de l'incapacité et de la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail et, d'autre part, les mesures nécessaires pour harmoniser le statut des assesseurs des tribunaux de l'incapacité et des tribunaux des affaires de Sécurité sociale.
Le Gouvernement a rendu sa copie et l'ordonnance n° 2005-656 du 8 juin 2005 relative aux règles de fonctionnement des juridictions de l'incapacité vient d'être publiée au Journal officiel (4). Les nouvelles dispositions entreront en vigueur le premier jour du quatrième mois suivant la publication de l'ordonnance, soit le 1er octobre 2005 (5).
Répondant à un souhait fréquemment exprimé, les dispositions de l'ordonnance tendent à harmoniser les règles de fonctionnement des tribunaux du contentieux de l'incapacité et des tribunaux des affaires de Sécurité sociale. En effet, pour l'essentiel, ces dispositions visent à assouplir et harmoniser les règles de fonctionnement de ces juridictions mais, également, à faciliter leur accès par une modification des conditions de représentation et d'assistance des parties.
Ainsi, les différentes dispositions de l'ordonnance vont indéniablement dans le sens d'une simplification du contentieux, mais on regrettera, cependant, l'absence de réponse à différents problèmes, dont les délicates difficultés posées par l'éclatement des compétences (6).
I. La modification des conditions de représentation et d'assistance des parties
L'accès aux juridictions est souvent considéré comme difficile en raison de la rigueur des règles de représentation ou d'assistance qui s'y appliquent. En la matière, une autre difficulté était fréquemment évoquée : les règles de représentation et d'assistance devant les juridictions de l'incapacité et devant les tribunaux des affaires de Sécurité sociale étaient distinctes.
L'ordonnance n° 2005-656 du 8 juin 2005 élargit les possibilités de représentation et harmonise celles-ci devant les deux types de juridiction.
Jusqu'à la réforme commentée, les règles de représentation et d'assistance devant les tribunaux du contentieux de l'incapacité et devant la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail étaient relativement restrictives. Désormais, ces règles sont alignées sur celles qui prévalent devant les tribunaux des affaires de Sécurité sociale.
Ainsi, le nouvel article L. 144-3 du Code de la Sécurité sociale précise que les parties se défendent elles-mêmes et que, outre les avocats, elles peuvent se faire représenter ou assister par un membre de leur famille (leur conjoint ou ascendant ou descendant en ligne directe), suivant les cas par un travailleur salarié ou un employeur ou un travailleur indépendant exerçant la même profession ou un représentant qualifié des organisations syndicales de salariés ou d'employeurs, un administrateur ou un employé de l'organisme partie à l'instance ou un employé d'un autre organisme de Sécurité sociale, ou encore par un délégué des associations de mutilés et invalides du travail les plus représentatives.
Devant la CNITAAT, les parties peuvent également se faire assister ou représenter par un avoué.
Au final, les règles d'assistance et de représentation sont donc harmonisées. Il convient, en particulier, de souligner la possibilité d'être assisté ou représenté par un membre de sa famille proche ou encore par le délégué d'une des associations de mutilés et invalides du travail les plus représentatives. Cette dernière possibilité était demandée depuis longtemps par les associations oeuvrant dans le secteur, en particulier par la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (FNATH). Le nouvel article L. 144-3 du Code de la Sécurité sociale précise, de façon guère surprenante, que le représentant doit, s'il n'est ni avocat, ni avoué, justifier d'un pouvoir spécial.
Les nouvelles règles de représentation et d'assistance correspondent assurément au souci légitime de faciliter un accès effectif à la justice. L'importante technicité du contentieux de la Sécurité sociale ne doit, cependant, pas faire oublier que l'élargissement des possibilités de représentation ou d'assistance ne saurait être une solution miraculeuse.
Restait encore à améliorer le fonctionnement des juridictions précitées.
II. L'assouplissement et l'harmonisation des règles de fonctionnement des juridictions
Les règles de fonctionnement des juridictions de l'incapacité en vigueur jusqu'à l'adoption de l'ordonnance commentée méritaient d'être améliorées sur différents points.
En particulier, la pratique a souvent montré que la composition de ces juridictions, telle que prévue par le législateur, ne permettait pas un fonctionnement satisfaisant, notamment quand la mise en place, le renouvellement ou encore la réunion au complet de la juridiction était problématique. L'ordonnance du 8 juin 2005 comporte différentes modifications quant à la composition des juridictions ; elle apporte également quelques précisions quant à la possibilité de statuer à juge unique dans certaines hypothèses.
Le recrutement des assesseurs des juridictions de l'incapacité constitue souvent un défi difficile à relever. Alors que les tribunaux du contentieux de l'incapacité comprenaient cinq membres (un président, magistrat honoraire de l'ordre administratif ou judiciaire, deux assesseurs représentant les travailleurs salariés et deux assesseurs représentant les employeurs ou travailleurs indépendants), l'ordonnance prévoit qu'ils ne comprendront plus qu'un président et deux assesseurs.
Parité oblige, le premier assesseur représentera les intérêts des salariés, le second ceux des employeurs. L'alignement sur la composition du tribunal des affaires de Sécurité sociale est à nouveau au rendez-vous. En effet, l'article L. 142-4 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L4646ADG) prévoit déjà que le tribunal des affaires de Sécurité sociale est présidé par un magistrat du siège du tribunal de grande instance ou par un magistrat honoraire et comprend un assesseur représentant les travailleurs salariés et un assesseur représentant les employeurs et travailleurs indépendants.
Ayant harmonisé la composition des deux juridictions de Sécurité sociale du premier degré, l'ordonnance du 8 juin 2005 opère, également, une simplification des modalités de désignation et de renouvellement des assesseurs des tribunaux du contentieux de l'incapacité et des assesseurs des tribunaux des affaires de Sécurité sociale.
Jusqu'alors, les modalités de nomination des assesseurs des deux juridictions étaient régies par les articles L. 142-5 (N° Lexbase : L1541GUM pour le tribunal des affaires de Sécurité sociale) et L. 143-2 (pour le tribunal du contentieux de l'incapacité N° Lexbase : L4387ADT). Quelques différences minimes existaient, mais elles sont gommées dans la nouvelle rédaction donnée à ces deux articles. Au surplus, et surtout, les deux articles sont complétés par des dispositions permettant un renouvellement plus aisé des fonctions d'assesseurs (v., CSS, art. L. 142-5, al. 1er et L. 143-2 al. 9, dans leur nouvelle rédaction).
Enfin, l'ordonnance du 8 juin 2005 précise conjointement, dans une même section du Code de la Sécurité sociale, le statut des assesseurs des tribunaux des affaires de Sécurité sociale et des tribunaux du contentieux de l'incapacité (7). Cette unification des statuts est peut-être le premier pas vers une future unification des deux juridictions.
Concernant le contenu de ce statut désormais commun (8), l'ordonnance adapte la liste des condamnations pénales causes d'incapacité, qui couvrent désormais les infractions relevant du domaine de la Sécurité sociale ainsi que les infractions liées à la législation sociale du Code rural. L'ordonnance précise, également, la discipline à laquelle l'ensemble des assesseurs des juridictions de Sécurité sociale du premier degré sont soumis (serment, absences, sanctions...).
Jusqu'à l'adoption de l'ordonnance étudiée, il était pour le moins difficile, en pratique, de réunir quatre assesseurs autour du président du tribunal du contentieux de l'incapacité. Or, ce dernier ne pouvait siéger qu'en formation complète. Une telle situation entraînait des délais de jugement souvent longs et fréquemment dénoncés. La diminution du nombre des assesseurs déjà évoquée devrait permettre de réunir plus facilement le tribunal au complet.
Mais l'ordonnance va plus loin et précise que dans les cas où le tribunal du contentieux de l'incapacité ne peut siéger au complet, le président de ce dernier peut valablement statuer seul. La volonté d'éviter les situations de blocage des juridictions dues à l'absence des assesseurs est manifeste. La possibilité pour les présidents de statuer seuls est cependant assortie de différentes conditions. Si la juridiction n'est pas réunie au complet, il y a lieu à report, sauf accord des parties au litige pour que le président statue seul. En tout état de cause, le report ne peut intervenir qu'une fois. Si la juridiction n'est toujours pas au complet lors de la seconde audience, le président statue seul après avoir recueilli l'avis de l'assesseur présent (CSS, art. L. 143-2-3).
Là encore, l'ordonnance reprend les règles de fonctionnement du tribunal des affaires de Sécurité sociale, telles qu'énoncées par l'article L. 142-7 (N° Lexbase : L4649ADK). On notera, à cet égard, que le recueil de l'avis de l'assesseur éventuellement présent n'était jusqu'alors pas prévu par l'article L. 142-7 relatif au tribunal des affaires de Sécurité sociale, mais cet article est complété en ce sens par l'ordonnance pour éviter qu'une nouvelle disparité ne se fasse jour dans un texte dont l'objet principal était manifestement de les gommer.
Olivier Pujolar
Maître de conférences à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
(2) Il existe actuellement 116 tribunaux des affaires de Sécurité sociale. En 2003, ces tribunaux ont rendu 89 908 décisions.
(3) Le siège de la CNITAAT est fixé à Amiens.
(4) Les mesures concernant le contentieux de la Sécurité sociale ont un peu tardé : en la matière, la loi du 9 décembre 2004 (N° Lexbase : L4734GUU) prévoyait un délai d'habilitation de 6 mois.
(5) L'article 7 de l'ordonnance précise que les assesseurs des tribunaux des affaires de Sécurité sociale et des tribunaux du contentieux de l'incapacité désignés antérieurement à son entrée en vigueur demeurent en fonctions jusqu'au terme de celles-ci.
(6) D'aucun préconisent depuis longtemps la mise en place d'une juridiction sociale unique ou encore le transfert de l'intégralité du contentieux social aux juridictions de droit commun. Pour un rappel des débats récurrents sur ces sujets voir, notamment, Conseil d'Etat, L'avenir des juridictions spécialisées dans le domaine social, préc., pp. 53 et s.
(7) Composée des articles L. 144-1 et L. 144-2, cette nouvelle section est intitulée Dispositions relatives aux membres des juridictions de sécurité sociale du premier degré.
(8) V., les nouveaux articles L. 144-1 et L. 144-2.
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