La lettre juridique n°173 du 23 juin 2005 : Sociétés

[Focus] Attribution gratuite d'actions de préférence

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le 07 Octobre 2010

L'article 83 de la loi de finances pour 2005 (loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 N° Lexbase : L5203GUA) a mis en place un nouveau dispositif permettant d'attribuer gratuitement des actions de la société aux salariés et aux mandataires sociaux (1). Ce mécanisme, qui ne remplace pas celui des stocks-options, vise à motiver et à impliquer davantage dirigeants et salariés dans la croissance de l'entreprise, conformément aux propositions du monde des affaires (2). Cette faculté a été codifiée par l'article L. 225-197-1 nouveau du Code de commerce (N° Lexbase : L5387G7N). Les premières difficultés sont rapidement apparues (3), portant, notamment, sur la question de savoir si des salariés de sociétés étrangères mais exerçant leur activité en France, pouvaient bénéficier du nouveau dispositif ou si des actions de préférence pouvaient être attribuées gratuitement.

La première difficulté a été résolue par l'administration fiscale, dans une instruction n° 5 F 14 05 en date du 24 mai 2005 (N° Lexbase : X1138ADI). Celle-ci a admis, par analogie avec le régime des stocks options, que des salariés ou des dirigeants de sociétés dont le siège social est situé à l'étranger mais qui exercent leur activité en France, puissent, sous certaines conditions, bénéficier du dispositif issu de l'article 83 de la loi de finances pour 2005.

L'ANSA (Association nationale des sociétés par actions), dans un avis de son comité juridique du 6 avril 2005 a tranché par l'affirmative la seconde question (4). Selon l'association, il est possible d'attribuer gratuitement des actions de préférence aux salariés ou aux mandataires sociaux (I). Cette faculté n'est pas sans conséquences, notamment, au regard du respect de la procédure des avantages particuliers (II).

I - La faculté d'attribuer gratuitement des actions de préférence

Rappelons qu'aux termes de l'article L. 228-11 du Code de commerce (N° Lexbase : L8368GQY), "l'assemblée générale extraordinaire, sur le rapport du conseil d'administration ou du directoire, selon le cas, et sur le rapport spécial des commissaires aux comptes, peut autoriser le conseil d'administration ou le directoire à procéder, au profit des membres du personnel salarié de la société ou de certaines catégories d'entre eux, à une attribution gratuite d'actions existantes ou à émettre".

Selon l'Association nationale des sociétés par actions, ce texte ne distingue pas entre actions de préférence et actions ordinaires. Par conséquent, par application de l'adage "là où la loi ne distingue pas, il n'y a pas lieu de distinguer" (5), rien n'interdit aux émetteurs d'attribuer gratuitement des actions de préférence à leur personnel salarié ou à leurs dirigeants. Cette position ne souffre pas la discussion et n'est qu'une application des principes généraux du droit français.

Plus délicat était le problème de la détermination des droits particuliers attachés aux actions de préférence ainsi attribuées. On le sait, il résulte de l'article L. 228-11 du Code de commerce que "lors de la constitution de la société ou au cours de son existence, il peut être créé des actions de préférence, avec ou sans droit de vote, assorties de droits particuliers de toute nature, à titre temporaire ou permanent. Ces droits sont définis par les statuts dans le respect des dispositions des articles L. 225-10 (N° Lexbase : L5881AIN) et L. 225-122 (N° Lexbase : L5993AIS)  à L. 225-125 (N° Lexbase : L5996AIW)" (6). La question se pose, donc, de savoir dans quelle mesure les actions de préférence attribuées gratuitement peuvent être privées du droit de vote. Faut-il obligatoirement que lesdits titres offrent un avantage tangible à leur titulaire, en sus de la gratuité, pour pouvoir être privés du droit de vote ? A l'inverse, peut-on attribuer gratuitement des actions de préférence dépourvues du droit de suffrage, sans que cette privation ne soit compensée par un privilège pécuniaire ?

De fait, la question agite les commentateurs depuis la publication de l'ordonnance du 24 juin 2004 (ordonnance n° 2004-604, portant réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales N° Lexbase : L5052DZ7). Pour les uns, la suppression du droit de vote suppose une contrepartie patrimoniale (7). Selon eux, l'article L. 228-11 du Code de commerce prévoit que l'action de préférence doit être assortie de "droit particuliers". Or, l'absence de droit de vote ne saurait s'assimiler à un droit particulier. Le principe de l'interprétation stricte des exceptions plaide en ce sens. En effet, la possibilité de priver une action de préférence de son droit de vote s'analyse comme une exception à la règle "une action, une voix" posée à l'article L. 225-122 du Code de commerce.

Pour les autres (8), à l'inverse, il convient de ne pas donner à la terminologie légale plus d'importance qu'elle n'en a. Pour les partisans de cette approche, le législateur a utilisé l'expression "actions de préférence" en référence à la notion anglo-saxonne de "preferred shares". D'autres appellations ont d'ailleurs été envisagées telle celle "d'actions de croissance" (9). De surcroît, il résulte expressément du rapport au Président de la République (N° Lexbase : X4150ACP) préalable à l'ordonnance du 24 juin 2004 que le terme "préférence" n'est pas nécessairement synonyme de "avantages". Aux termes de ce texte, "les droits sont entendus au sens générique du terme, et ces actions peuvent donc aussi être dotées d'obligations particulières et faire l'objet de restrictions". En d'autres termes, l'action de préférence ne comporte pas nécessairement plus de droits que l'action ordinaire, mais simplement des droits différents.

De fait, il nous paraît que le libéralisme présidant à la réforme des valeurs mobilières et à l'introduction des actions de préférence autorise la création d'actions de préférence dépourvues du droit de vote et sans avantages pécuniaires en compensation.

L'ANSA a, dans un précédent avis de son comité juridique du 3 novembre 2004, rallié cette conception (10).

C'est donc fort logiquement qu'elle a considéré dans l'avis commenté que les actions de préférence attribuées gratuitement peuvent être dépourvues du droit de vote et ne conférer à leur titulaire aucun dividende privilégié. Néanmoins, selon l'ANSA, rien ne paraît interdire, si l'assemblée générale des actionnaires en est d'accord, l'octroi d'un avantage pécuniaire en sus de la gratuité de l'attribution (11).

Ainsi reconnue, la possibilité d'attribuer gratuitement des actions de préférence, y compris dépourvues de tout droit de vote, n'est pas sans conséquences.

II - Les conséquences de cette faculté

Sur un plan pratique, la possibilité reconnue par l'ANSA d'attribuer gratuitement des actions de préférence privées du droit de suffrage permet d'impliquer salariés et dirigeants dans la croissance de la société, sans toutefois modifier la répartition du pouvoir pendant la période de conservation, entre la date d'acquisition des actions et celle à compter de laquelle il est permis à l'actionnaire de vendre ses titres (12). La faculté d'attribuer gratuitement des actions de préférence dépourvues du droit de vote, décidée par l'assemblée, permet, donc, aux actionnaires anciens de ne pas voir leur pouvoir au sein de la société dilué.

Sur un plan strictement juridique, mais aux conséquences pratiques considérables, se pose la question de savoir si la procédure d'approbation des avantages particuliers doit être respectée. Rappelons qu'aux termes de l'article L. 228-15 du Code de commerce (N° Lexbase : L8372GQ7), "la création de ces actions donne lieu à l'application des articles L. 225-8 (N° Lexbase : L5879AIL), L. 225-14 (N° Lexbase : L5885AIS), L. 225-147 (N° Lexbase : L8400GQ8et L. 225-148 (N° Lexbase : L8401GQ9relatifs aux avantages particuliers lorsque les actions sont émises au profit d'un ou plusieurs actionnaires nommément désignés". Peu importe à cet égard que les titres soient acquis par une personne d'ores et déjà actionnaire ou par quelqu'un qui le devient à cette occasion (13).

La difficulté provient de ce que l'autorisation de l'assemblée générale n'est qu'une autorisation de principe. Il appartient par la suite au conseil d'administration de définir la liste des bénéficiaires des actions attribuées gratuitement. Au moment où l'organe souverain de la société statue, les bénéficiaires ne sont donc pas "nommément désignés" au sens de l'article L. 228-15 du Code de commerce, car inconnus.

L'ANSA considère toutefois que la procédure d'approbation des avantages particuliers a vocation à s'appliquer chaque fois que l'attribution gratuite d'actions de préférence est réservée à certains salariés ou dirigeants. Son raisonnement est le suivant : l'article L. 228-15 du Code de commerce doit trouver application à chaque fois que des actions de préférence ne sont pas créées au profit de l'ensemble des actionnaires, ni au profit du public. L'assemblée doit donc avoir connaissance de l'identité des titulaires des actions de préférence. Dès lors, il convient d'appliquer la procédure d'approbation des avantages particuliers à chaque fois que l'attribution gratuite d'actions de préférence ne profite qu'à certains salariés ou dirigeants. Le conseil est donc tenu, le cas échéant, de révéler à l'assemblée les noms des futurs bénéficiaires des actions. S'il est expressément prévu que les actions ne seront attribuées qu'à une catégorie de personnes, remplissant des conditions objectives, l'identité exacte de celles-ci n'est pas connue et dans ce cas, la procédure d'approbation des avantages particuliers ne peut trouver à s'appliquer.

Selon nous, si les conditions requises étaient tellement étroites que seules quelques personnes aisément identifiables pourraient en pratique obtenir des actions, ladite procédure devrait, cependant, être respectée.

En définitive, il résulte de l'avis du Comité juridique de l'ANSA, dont il faut se féliciter du pragmatisme, que :

- des actions de préférence privées du droit de vote, et sans avantage pécuniaire, peuvent être gratuitement attribuées aux salariés et dirigeants ;

- la procédure d'approbation des avantages particuliers doit être respectée, dès lors que l'attribution gratuite est réservée à certains dirigeants ou salariés.

Renée Kaddouch
Docteur en droit, Centre de droit financier de l'Université Paris I, Panthéon Sorbonne
Avocat à la Cour, JeantetAssociés


(1) Sur l'ensemble de la question, V. not. J.-P. Dom, L'attribution gratuite d'actions, Bull. Joly 2005 p. 188 ; N. Rontchevsky et M. Storck, La loi de finances pour 2005 instaure un régime attractif d'attribution gratuite d'actions par les sociétés, cotées ou non, au profit de leurs salariés et dirigeants, RTD com. 2005 p. 183.
(2) Rappr. S. Forestier et Alii, Livre Blanc Croissance Plus, p. 36, in http://www.croissanceplus.com.
(3) J.-P. Dom, Premières difficultés relatives à l'attribution gratuite d'actions, Journ. Sociétés avril 2005 p. 44.
(4) inédit.
(5) H. Roland et Y. Boyer, Adages du droit français, 4° édition, Litec, 1999, V° "ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus".
(6) La littérature est pour le moins abondante sur ce thème. On consultera, notamment : A. Couret et H. Le Nabasque, Valeurs mobilières. Augmentations de capital. Nouveau régime. Ordonnances des 25 mars et 24 juin 2004, éditions Francis Lefebvre, 2004, n° 484 et s. ; J. Mestre, La réforme des valeurs mobilières, Bull. d'actualités Lamy Sociétés commerciales, décembre 2004 ; A. Viandier, Les actions de préférence (Ord. n° 2004-604 du 24 juin 2004, art. 31), JCP éd. E. 2004 n° 1440 ; M. Germain, Les actions de préférence, Rev. Sociétés 2004 p. 597 - adde, Y. Paclot, Les actions de préférence : jusqu'où ne pas aller trop loin, Lexbase Hebdo n° 144 du 25 novembre 2004 - édition affaires N° Lexbase : N3589ABK.
(7) A. Couret et H. Le Nabasque, Valeurs mobilières. Augmentations de capital. Nouveau régime. Ordonnances des 25 mars et 24 juin 2004, op. cit., n ° 504-8 (plus nuancé désormais, H. Le Nabasque, conférence du 26 janvier 2005, tapuscrit aimablement communiqué par l'auteur) ; J. Mestre, La réforme des valeurs mobilières, précité ; J.-J. Daigre, L'aménagement du droit de vote, Journ. Sociétés septembre 2004 p. 5 ;
(8) A. Viandier, Les actions de préférence (Ord. n° 2004-604 du 24 juin 2004, art. 31), précité, spéc . n° 9 et s. ; M. Germain, Les actions de préférence, précité, spéc. n° 3.
(9) MEDEF, Les actions de préférence. Propositions du MEDEF pour une modernisation du droit des valeurs mobilières, mai 2001, p. 2, in http: //www.medef.fr, p. 7.
(10) ANSA, Comité juridique, n° 04-077, 3 novembre 2004, p. 3.
(11) Selon le Comité juridique, le dividende privilégié ainsi octroyé ne peut s'assimiler à un complément de rémunération au sens de l'article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale (N° Lexbase : L7979G7N). En outre, ce dividende est soumis aux prélèvements sociaux de droit commun (CSG et CRDS).
(12) Cette durée est fixée par l'assemblée générale autorisant le conseil d'administration ou le directoire à attribuer gratuitement des actions aux salariés et aux mandataires sociaux.
(13) Rép. Min. n° 43987, JO AN Questions 24 août 2004 p. 6685 (N° Lexbase : L4559GTZ).

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