La lettre juridique n°173 du 23 juin 2005 : Procédures fiscales

[Jurisprudence] Incidence sur la procédure pénale du non-respect des garanties en matière fiscale

Réf. : Cass. crim., 1er juin 2005, n° 04-85.031, Procureur général près de la cour d'appel d'Aix-en-Provence c/ Antoine Piacentino, FS-P+F (N° Lexbase : A5655DIB)

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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris

le 07 Octobre 2010

Les poursuites correctionnelles pour fraude fiscale et la procédure administrative sont par nature et leur objet indépendantes et n'admettent pas les mêmes modes de preuve. C'est pour éviter une paralysie des poursuites, en cas de contestation de la procédure fiscale devant le juge pénal, que le juge a posé ce principe d'indépendance des procédures, qui permet au juge pénal de ne pas être contraint à surseoir à statuer en attendant que le juge fiscal se prononce sur la régularité de la procédure d'imposition. Cependant, cette indépendance a ses limites puisque, comme vient de le rappeler la Haute juridiction, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure d'imposition, notamment, pour violation des garanties accordées par la loi au contribuable, est susceptible de porter atteinte aux droits de la défense dont il lui appartient d'assurer le respect. La Cour a, ainsi, ouvert une brèche dans le principe d'indépendance des procédures, au motif que la procédure de vérification est la base nécessaire de la plainte de l'administration fiscale. Lorsque le contrôle est entaché de graves irrégularités résultant de la violation des garanties du contribuable, il ne peut plus être regardé comme constituant le soutien de l'action publique. La question est d'importance puisque le délit de fraude fiscale peut être facilement relevé par l'administration. En effet, les deux éléments constitutifs du délit, élément intentionnel et élément matériel, se trouvent aisément constatés dans les cas où les contribuables minorent volontairement les recettes de leur exploitation. L'élément matériel est caractérisé par la simple dissimulation des sommes qui auraient dues être assujetties à l'impôt. Quant à l'élément moral, il implique que le contribuable ait connaissance et conscience de l'accomplissement d'un acte illicite. Or, les obligations des contribuables, notamment en matière de TVA, étant parfaitement codifiées, la simple commission volontaire des irrégularités matérielles constatées suffit à caractériser l'intention frauduleuse. Il est, donc, intéressant de faire le point sur cette indépendance des procédures d'imposition et pénale et de distinguer quelles irrégularités, en matière de procédure d'imposition, permettent d'entraîner l'annulation de la procédure pénale. Bien entendu, lorsque le juge pénal annule les poursuites, il n'annule pas la procédure administrative, ce qui n'est pas en son pouvoir, mais se limite à lui dénier tout effet juridique en invoquant le respect des droits de la défense.

1. Violation des dispositions de l'article L. 47 du LPF et absence de débat oral et contradictoire

Par une décision du 4 décembre 1978, la chambre criminelle de la Cour de cassation a ouvert une brèche dans le principe d'indépendance des procédures en déclarant recevable un moyen tiré de la violation des dispositions de l'article L. 47 du LPF (N° Lexbase : L3907ALB) relatif à l'obligation pour l'administration d'informer le contribuable de sa faculté, en cas de vérification de comptabilité, de faire appel à un conseil (Cass. crim., 4 décembre 1978, n° 77-93423, Venutolo c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, publié au bulletin N° Lexbase : A1125CGR). Autrement dit, le contribuable poursuivi devant la juridiction répressive était en droit de soulever l'exception de nullité des poursuites, en raison de l'irrégularité commise au cours de la vérification de comptabilité. Pour la Cour, l'obligation d'informer le contribuable de la possibilité de se faire assister d'un conseil apparaissait "comme une garantie essentielle des droits de la défense, dont il appartient à la juridiction répressive d'assurer le respect". Ce principe a été réaffirmé dans deux décisions du 1er mars 2000 (Cass. crim., 1er mars 2000, n° 98-85.818, Procureur général près la cour d'appel de Montpellier et autre c/ M. X. N° Lexbase : A8748AHH et Cass. crim., 1er mars 2000, n° 98-85.818, Procureur général près la cour d'appel de Montpellier et autre c/ M. X. N° Lexbase : A1474AXU). Cependant, la nullité des poursuites n'est pas encourue lorsque, malgré la méconnaissance des dispositions de l'article L. 47 du LPF par l'administration fiscale, ces poursuites ont pour origine une abstention délibérée de déclaration (Cass. crim., 21 janvier 1991, n° 90-82.296, Brasseur-Delcourt Géry c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A2154ABE). En effet, la constatation du défaut de déclaration était, dans une telle affaire, étrangère à la procédure de vérification.

Un arrêt de la cour d'appel de Paris (CA Paris, 18 octobre 1990, n° 3826/88 [LXB=]) a précisé que, lorsque la procédure de vérification, base nécessaire de la plainte de l'administration et des poursuites pénales, est entachée de graves irrégularités résultant de la violation des droits du contribuable, une telle procédure ne saurait être regardée comme constituant le soutien de l'action publique. Or, dans cette affaire, l'administration n'avait pas respecté une des autres garanties accordées par la loi au contribuable, à savoir celle concernant la possibilité d'avoir avec le vérificateur un débat oral et contradictoire dans les locaux de l'entreprise. En effet, l'agent des impôts avait emporté, sans autorisation préalable du contribuable vérifié, la comptabilité de l'entreprise pour l'examiner dans les locaux de l'expert comptable. Cette décision a été confirmée par la Haute juridiction qui a, donc, étendu le champ des atteintes aux droits de la défense à l'absence de débat oral et contradictoire sur place, qui constitue une garantie essentielle des droits du contribuable vérifié (Cass. crim., 23 novembre 1992, n° 90-86.657, Procureur général près la cour d'appel de Paris et autre c/ Albert Sztergbaum N° Lexbase : A0390AB3).

2. Autres irrégularités

Les irrégularités de "forme" commises par le service au cours des opérations de contrôle ne peuvent être invoquées devant le juge pénal au soutien d'une exception de nullité. Il s'agit, notamment, de l'absence, dans l'avis de vérification, d'indication des années soumises au contrôle et de l'inobservation de la prohibition édictée à l'article L. 50 du LPF (N° Lexbase : L5585G4M) (Cass. crim., 1er octobre 1984, n° 83-94.693, Noël c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A8189AAK). Il en est de même, d'une part, des contrôles successifs de comptabilité, pour une même période, en contravention avec l'interdiction formulée par l'article L. 51 du LPF (N° Lexbase : L8256AEI) (Cass. crim., 1er octobre 1979, n° 78-93884, Goetz c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, publié au bulletin N° Lexbase : A6840CE3), d'autre part, des vérifications sur place, qui excèdent trois mois, pour les contribuables visés à l'article L. 52 du LPF (N° Lexbase : L3957AL7) (Cass. crim., 6 juin 1977, n° 76-92108, Goubert c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, publié au bulletin N° Lexbase : A3297CG9). Enfin, on signalera l'irrégularité consistant en l'engagement et la poursuite d'opérations de vérification de comptabilité par un ancien assistant technique d'un centre de gestion d'une entreprise adhérente de ce centre, moins de deux ans après la fin de son détachement auprès du centre. Selon une cour d'appel une telle irrégularité, à raison de la connaissance du dossier du contribuable vérifié pendant la période du détachement, porte atteinte aux droits de la défense et entraîne, ainsi, la nullité des poursuites pénales (CA Toulouse 25 janvier 2001, 3ème ch. n° 75/01, RJF, 5/01, n° 711, p. 470). Cette solution devra être confirmée par la Haute juridiction.

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