Réf. : CAA Versailles, 17 février 2005, n° 03VE0248, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ M. et Mme Etienne Aussedat (N° Lexbase : A1785DHL)
Lecture: 7 min
N1901AIA
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau de Paris, Landwell & Associés
le 07 Octobre 2010
L'indemnité versée à un salarié, par son employeur, à la suite de la remise en cause par ce dernier, dans le cadre de son contrat de travail, d'un avantage, consistant dans le bénéfice d'un régime supplémentaire de retraite, constitue selon la cour administrative d'appel de Versailles, dans un arrêt en date du 17 février 2005, "une indemnité représentative du préjudice subi résultant de la perte d'une chance de pouvoir bénéficier du régime [...en question...] sans qu'importe la circonstance qu'une telle indemnité ne soit pas destinée à réparer le préjudice résultant d'un licenciement".
La cour précise, en outre, que cette indemnité doit "être regardée comme réparant les troubles de toute nature résultant de la perte de la possibilité d'acquérir des avantages de retraite supplémentaire".
Aux termes de l'article 79 du CGI , "les traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères concourent à la formation du revenu global servant de base à l'impôt sur le revenu". L'article 82 du même code poursuit en précisant que "pour la détermination des bases d'imposition, il est tenu compte du montant net des traitements, indemnités et émoluments, salaires, pensions et rentes viagères, ainsi que de tous les avantages en argent ou en nature accordés aux intéressés".
Il ressort, toutefois, de la documentation administrative de base que "toutes les sommes versées aux salariés sous forme d'indemnités [...] ont le caractère de revenus imposables, à moins qu'[...] elles ne présentent le caractère [...] de dommages-intérêts" (Doc. adm. 5 F-1131, du 10 février 1999, n° 2). Cette documentation poursuit en précisant, également, que "les dommages et intérêts s'entendent des sommes allouées par l'employeur à un salarié pour réparer un préjudice non financier résultant le plus souvent de la rupture forcée du contrat de travail ou d'une faute lourde commise à son égard" et que "ces sommes ont le caractère d'un gain en capital et n'entrent pas dans le champ de l'impôt sur le revenu" (Doc. adm. 5 F-1131, du 10 février 1999, n° 7).
Ainsi, il en ressort que les dommages et intérêts non imposables concernent les sommes versées par l'employeur en compensation d'un préjudice subi par le salarié, dont la cause est imputable à l'employeur, sauf, précise le Conseil d'Etat, lorsque ces dommages et intérêts ont pour seul objet de compenser une perte de revenu (CE Contentieux, 18 juin 1990, n° 74742, Le Roux c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A5169AQI ; CE Contentieux, 4 décembre 1992, n° 83205, M. Brossard c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A0969AIQ).
On observera, à cet égard, que pour la Haute cour, contrairement à ce qu'affirme la documentation administrative, l'indemnité destinée à compenser un préjudice financier ne peut être considérée comme une somme imposable, dès lors qu'il ne s'agit pas de compenser une perte de revenu.
Aussi, peu importe la nature de l'événement à l'origine du préjudice, qu'il s'agisse d'un licenciement, d'une faute lourde ou de la rupture d'un engagement contractuel. Dès lors qu'il y a un préjudice, autre qu'une simple perte de revenu, les dommages et intérêts qui le compensent sont considérés comme non imposables.
Autrement dit, le contexte dans lequel une indemnité est versée par un employeur à l'un de ses employés n'est pas un critère valable pour la détermination du caractère imposable ou non de cette indemnité. Le seul critère valable est celui de la nature du préjudice indemnisé, les dommages et intérêts compensant une perte de revenu étant dès lors imposables, les dommages et intérêts compensant tout préjudice autre qu'une perte de revenu étant non imposables, peu important à cet égard qu'ils compensent un préjudice financier ou moral.
S'il est évident que ces principes trouvent, le plus souvent, à s'appliquer dans le cadre des licenciements, qui constituent la cause la plus fréquente d'indemnisation pour préjudice dans le cadre professionnel, il est certain, aussi, que sa portée est beaucoup plus générale et ne se limite pas au cas du seul licenciement.
C'est ce qu'illustre un arrêt du Conseil d'Etat du 11 octobre 1991, qui en a fait application pour l'indemnisation des troubles dans les conditions d'existences subis par un salarié, "alors même que celui-ci est demeuré salarié de l'entreprise" (CE Contentieux, 11 octobre 1991, n° 48270, Ministre du budget c/ Tisseyre N° Lexbase : A9114AQM).
Il ressort, précisément, de la jurisprudence de la Haute cour que "la perte de droits à retraite" ou "à pension particulière", tels que des régimes surcomplémentaires de retraite constitués au profit d'un salarié, ne peut s'analyser comme une perte de revenu, mais bien comme des dommages et intérêts destinés à compenser un préjudice autre que la perte d'un revenu, et, à ce titre, ne sont pas imposables à l'impôt sur le revenu (CE Contentieux, 18 novembre 1985, n° 49631, Genthon c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A3061AMC) ; CE Contentieux, 6 novembre 1991, n° 106386, Garçon c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A9129AQ8 ; CE Contentieux, 20 novembre 1995, n° 127679, M. Grand c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A6493ANS ; voir aussi en ce sens : Jérôme Turot, Indemnités de licenciement : quand le Conseil d'Etat se fait juge de paix, RJF 4/91, p. 325).
Ces arrêts n'impliquent absolument pas que les personnes concernées tiennent le préjudice subi pour un préjudice exclusivement moral, dans la mesure où la jurisprudence tient la perte de droits, pensions et avantages à retraite pour un préjudice autre qu'une perte de revenu, quel que soit le caractère moral ou financier de ce préjudice, caractère qui n'influe pas, d'ailleurs, sur le caractère imposable ou non de l'indemnité.
Les indemnités versées au salarié ont, donc, le caractère de dommages et intérêts réparant une perte de chance dans la mesure où l'employeur a entendu compenser, en versant l'indemnité, la perte de toute possibilité d'acquérir des avantages de retraite. Une telle perte de chance ne saurait, en aucune manière, s'analyser comme une perte de revenu, mais comme la perte d'une simple possibilité, déjà en elle-même très aléatoire, de bénéficier d'un avantage de retraite surcomplémentaire.
Le caractère purement aléatoire du droit à prestation ne permet pas à l'administration de soutenir ou de prétendre que ce type d'indemnité compense une perte de revenus. En effet, cette dernière qualification ne pourrait être éventuellement retenue qu'à la condition que le droit au versement d'un revenu soit parfaitement assuré et définitif, et non pas aléatoire.
Le principe de non-imposition des dommages et intérêts alloués à raison de la perte de droits complémentaires à la retraite a été reconnu très tôt par la Haute cour dans un arrêt du 18 novembre 1985 (CE Contentieux, 18 novembre 1985, n° 49631, Genthon c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, précité), rendu aux conclusions de M. le commissaire du Gouvernement Fouquet.
En effet, elle a reconnu expressément la nature de dommages et intérêts à la partie de l'indemnité qui compense la perte de droits à la retraite d'un cadre salarié en des termes très explicites : "considérant qu'il résulte de l'instruction que l'indemnité [...] a eu [...] pour objet de réparer le préjudice causé à l'intéressé [enfin] par les troubles de son existence résultant notamment de la perte et de la possibilité d'augmenter ses droits à la retraite [...]".
La Haute cour a confirmé sa jurisprudence, ultérieurement, dans un arrêt du 1er avril 1987 (CE Contentieux, 1er avril 1987, n° 48732, Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget c/ M. Couraud N° Lexbase : A2776API) en statuant sur des versements revêtant pour partie le caractère de dommages et intérêts "compensant [...] les avantages de toutes natures attachés à l'exercice des fonctions, dont la possibilité d'acquérir des avantages de retraites".
Il convient d'observer que la notion de troubles de l'existence se trouve définie par "l'atteinte à l'exercice d'un droit sur une chose (trouble de la possession)" portant au cas particulier sur un droit "à créance de retraite" touchant aux conditions d'existence de la personne à sa retraite.
Il est intéressant de noter, selon M. le Professeur René Chapus (René Chapus, Droit administratif général tome 1, édit. Montchrestien 1998 § 1410 B), qu'il faut entendre par trouble de l'existence "l'expression propre à la jurisprudence administrative et de signification étendue" désignant "les sentiments liés au désagrément les plus divers susceptibles de résulter du fait dommageable et tels, par exemple, que l'obligation de changer ses habitudes ou son mode de vie, de renoncer à certains projets, d'interrompre ou de suspendre ses études, de s'abstenir de certaines activités sportives ou de délassement, ces troubles étant appréciés abstraction faite des conséquences pécuniaires du fait dommageable".
Ce trouble doit, donc, être apprécié à la date du fait générateur constitué par la décision de l'employeur de mettre un terme au régime de retraite surcomplémentaire octroyé à ses salariés qui ne génère pas qu'"un seul manque à gagner potentiel", mais un véritable trouble, tel le désagrément de devoir renoncer à un projet de retraite surcomplémentaire et, donc, la perte de chance à un avenir autre à la retraite que celui projeté par le salarié, qui ne peut s'apprécier qu'abstraction faite des conséquences pécuniaires du fait dommageable.
Il s'ensuit que la suppression de ce droit constitue bien un trouble dans l'existence de la personne au jour du fait dommageable, qui doit être apprécié abstraction faite des conséquences pécuniaires du fait dommageable en question.
Il est intéressant de rapprocher de toutes ces affaires, les décisions prises par le juge judiciaire (Cass. soc., 29 septembre 2004, n° 02-40.027, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4508DDC, lire Gilles Auzero, Stocks-options et licenciement sans cause réelle et sérieuse, Lexbase Hebdo n° 137 du 6 octobre 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N3011AB7) ; CA Versailles, 6ème ch. soc., 28 juin 2002, n° 01-3823, Huot c/ SA Business objects) à propos de salariés privés de leur droit de lever des options de souscription ou d'achat d'actions en raison de leur licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour lesquels lesdites juridictions ont considéré que les salariés avaient subi un réel préjudice, dont ils pouvaient demander réparation à leur ancien employeur.
Dans cette dernière affaire, le juge judiciaire a, en effet, estimé, dans des circonstances similaires, que le salarié avait perdu la chance de pouvoir réaliser une plus-value entre la valeur préférentielle d'achat et le prix éventuel de vente.
A la lumière de ce panorama de décisions, il pourra être observé que les actions engagées dans ce type situation avec opiniâtreté par les contribuables ne sont, donc, pas vaines.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:71901