La lettre juridique n°158 du 10 mars 2005 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] La mention du dépôt de garantie dans la déclaration de créance du bailleur, condition de la compensation ?

Réf. : Cass. com., 18 janvier 2005, n° 02-12.324, M. Christian Wiart, mandataire judiciaire c/ Société Lille Grand' Place, F-P+B (N° Lexbase : A0722DGT)

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur des Universités, Directeur du Master Droit de la Banque de la Faculté de Toulon et du Var

le 07 Octobre 2010


Le sort du dépôt de garantie, versé par le locataire au bailleur commercial, est l'occasion d'un contentieux récurrent, lorsque survient le redressement ou la liquidation judiciaire du preneur à bail. La question centrale est de savoir si le bailleur peut prétendre conserver le dépôt de garantie, en le compensant avec la créance de loyers et de charges. Ce problème s'est posé, une fois de plus, dans l'arrêt commenté, mais sous un jour nouveau.

En l'espèce, la SCI Lille Grand'Place avait donné à bail un immeuble à la Société 3C International. De manière classique, le locataire avait versé un dépôt de garantie et un fonds de roulement. Le bail a été amiablement résilié et les modalités de paiement de l'arriéré ont été fixées : le locataire pouvait s'en acquitter sur quinze mois. Le locataire a été déclaré en liquidation judiciaire. Le bailleur a, alors, déclaré sa créance au passif. Le liquidateur a, ensuite, assigné le bailleur en restitution du dépôt de garantie et du fonds de roulement. Fort logiquement, le bailleur lui a opposé la compensation entre, d'une part, la dette de restitution du dépôt de garantie et du fonds de roulement, et, d'autre part, la créance de loyers et des charges arriérées. Très ingénieusement, le mandataire liquidateur a, alors, eu l'idée de plaider que le dépôt de garantie étant un gage, mention devait en être faite dans la déclaration de créance, comme pour toute sûreté réelle. La cour d'appel ne l'ayant pas suivi dans son argumentation, il se pourvoit en cassation.

La question était, ici, de savoir si le bailleur, pour prétendre à la compensation, devait avoir mentionné l'existence du dépôt de garantie dans sa déclaration de créance. La Cour de cassation répond négativement, en énonçant que "la créance de loyer du bailleur et la créance de restitution du débiteur [au titre du dépôt de garantie et du fonds de roulement] qui sont connexes se sont compensées à concurrence de la plus faible, peu important que la SCI n'ait pas mentionné dans sa déclaration de créance l'existence du dépôt de garantie et du fonds de roulement".

Rappelons, d'abord, qu'il n'y a pas de difficulté à admettre la compensation, pour dettes connexes, entre une dette de loyers ou de charges et la dette, en sens inverse, de restitution du dépôt de garantie (V. P.-M. Le Corre, Dépôt de garantie et compensation dans les procédures collectives, AJDI 2003/10, p. 657). L'exigibilité de la créance détenue par le preneur sur le bailleur, au titre du dépôt de garantie, dépendra des conditions prévues au bail (Cass. com., 7 juillet 2004, n° 01-01.452, F-D N° Lexbase : A0132DDA). En pratique, il sera nécessaire que le contrat soit arrivé à terme ou soit résilié (Cass. com., 20 mars 2001, n° 98-14.124, Mme Marie-Dominique Du Buit c/ Société civile immobilière Palaibaux N° Lexbase : A1237ATY, D. 2001, AJ p. 1391, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll. 2001/8, n° 100 ; RTD com. 2001, p. 765, obs. A. Martin-Serf ; JCP éd. E 2002, jur. 224, p. 226, note M. Keita). La difficulté ne se présentait pas, en l'espèce, sur ce terrain. En effet, le bail avait fait l'objet d'une convention de résiliation amiable.

La compensation pour dettes connexes suppose une déclaration de créance au passif, contrairement à la compensation légale, qui joue de plein droit. L'absence de déclaration de créance entraînera, en effet, son extinction, et la compensation se révélera impossible (pour des illustrations : Cass. com., 3 avril 2001, n° 98-14.961, Société Resma c/ Société Sotranasa N° Lexbase : A1939ATY, Act. proc. coll. 2001/10, n° 120 ; Cass. com., 9 octobre 2001, n° 98-14.514, Société en nom collectif (SNC) SAEP Constructions c/ Société BICS N° Lexbase : A2065AWE, RJDA 2002/2, n° 174, p. 145 ; Cass. com., 7 janvier 2003, n° 00-10.630, Société Etablissements Fontvieille c/ Société Factofrance Heller, F-D N° Lexbase : A6012A4G). En outre, la déclaration de créance doit être effectuée pour la totalité de ce qui lui est dû, c'est-à-dire abstraction faite du jeu de la compensation (Cass. com., 20 mars 2001, n° 98-16.256, Société Geleurop Stefover c/ M. Massart, ès qualités de mandataire liquidateur de la liquidation N° Lexbase : A1232ATS, D. 2001, AJ p. 1468 ; Act. proc. coll. 2001/8, n° 99).

Le dépôt de garantie s'analyse en un gage de sommes d'argent. Par application de l'article L. 621-44, alinéa 1, du Code de commerce (N° Lexbase : L6896AIA) (anct L. 25 janv. 1985, art. 51, al. 1), le bailleur devait en faire mention dans sa déclaration de créance, puisque, comme tout créancier, il doit préciser la "nature du privilège ou de la sûreté dont la créance est éventuellement assortie". La sanction de l'absence d'indication de la sûreté à l'occasion de la déclaration de créance est bien connue : le créancier perd sa sûreté et il est relégué au rang des créanciers chirographaires (V. par exemple, Cass. com., 10 juillet 2001, n° 98-18.091, Société Canada Inc c/ Société Golf club international N° Lexbase : A1695AUC, Rev. proc. coll. 2002, p. 94, n° 6, obs. F.-F. Legrand). Il est exigé, en outre, que l'indication de la sûreté soit intervenue dans le délai de la déclaration de créance, une déclaration complémentaire ultérieure en dehors du délai n'autorisant pas le créancier à bénéficier de la sûreté (Cass. com., 1er février 2000, n° 97-17.772, Banque nationale de Paris (BNP) c/ M. Gérard Philippot N° Lexbase : A0545A7C, RJDA 2000/5, n° 562 ; Cass. com., 20 juin 2000, n° 97-16.732, Société Erpi Santé c/ Mme Martine Schwartz et autres N° Lexbase : A8263AHI).

Dès lors que l'analyse de ce dépôt de garantie en un gage n'est pas discutée, il semble bien que la précision devrait être apportée dans la déclaration de créance. Néanmoins, la technique de la compensation pour dettes connexes a pour effet d'infléchir la solution. En effet, le bailleur créancier ne demande pas à être payé en qualité de gagiste. Il se contente d'opposer la compensation, ce qu'il peut faire, dès lors que les conditions de la compensation pour dettes connexes sont réunies. Or, tel était le cas dans la présente affaire. La solution de la Cour de cassation doit, en conséquence, être pleinement approuvée.

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