La lettre juridique n°152 du 27 janvier 2005 : Social général

[Textes] Le droit du travail après la loi du 18 janvier 2005 : la cohésion sociale comme affichage, la flexibilité comme objectif

Réf. : Loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale (N° Lexbase : L6384G49)

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N4353ABT

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010


Annoncée depuis plusieurs mois par le Gouvernement, la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale (N° Lexbase : L6384G49) vient d'être publiée au Journal officiel après avoir passé, presque sans encombre, l'épreuve du contrôle de constitutionnalité (Cons. const., décision n° 2004-509 DC, 13 janvier 2005, loi de programmation pour la cohésion sociale N° Lexbase : A9528DEM : seul l'article 139, qui ne concerne pas le droit du travail, a été écarté). Le texte, volumineux, comprend 153 articles, dont plus de la moitié (80) consacrés à la "mobilisation pour l'emploi" (Titre I), 46 au logement (Titre II), 25 à l'égalité des chances (Titre III) et deux aux dispositions transitoires (Titre IV). Bref, sous une appellation ambitieuse, le Gouvernement et le Parlement nous livrent une énième loi portant diverses mesures d'ordre social, dont seules les dispositions intéressant le droit du travail seront abordées dans ce numéro spécial. Au-delà de l'affichage, l'examen des dispositions montre une réelle volonté de poursuivre l'entreprise d'assouplissement du droit du travail et la recherche d'une meilleure flexibilité, notamment dans la gestion de la main d'oeuvre (2). La loi du 18 janvier 2005 livre, également, une vision intéressante du rôle des acteurs en droit du travail (1).

1. La redistribution des cartes

  • La mobilisation des pouvoirs publics

Après s'être intéressé au rôle des syndicats de salariés et organisations patronales dans la loi du 4 mai 2004 (loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social N° Lexbase : L1877DY8), renforçant sensiblement l'autonomie collective des partenaires sociaux (lire La réforme de la négociation collective après la loi du 4 mai 2004 : le changement dans la continuité, Lexbase Hebdo n° 120 du 13 mai 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1573ABU), le Gouvernement s'attaque, cette fois, à la réforme du service public de l'emploi, qui figure en tête de la loi, service public qui avait fortement été remis en cause ces dernières années pour son inefficacité dans la lutte contre le chômage.

L'avenir nous dira si les mesures nouvelles adoptées porteront ou non leurs fruits, et s'il suffit de créer des "Maison de l'emploi" pour créer de l'emploi... La réforme démontre, toutefois, la volonté des pouvoirs publics de ne pas démissionner dans la lutte contre le chômage, en laissant aux seules entreprises le soin de créer de l'activité et, partant, de l'emploi.

  • Le retour du rôle premier de la loi

La loi s'inscrit, également, dans un contexte de résistance face à l'oeuvre créatrice de la Chambre sociale de la Cour de cassation. Même si la loi du 18 janvier 2005 consacre le changement terminologique intervenu en 1996 concernant la modification du contrat de travail (art. 73), elle remet en cause de manière spectaculaire certaines des décisions les plus emblématiques de ces dernières années, singulièrement en matière de licenciement économique, puisque la jurisprudence "Framatome" et "Majorette" (Cass. soc., 3 décembre 1996, n° 95-17.352, Société Framatome connectors France et autre c/ Comité central d'entreprise de la société Framatome connectors, publié N° Lexbase : A2180AAY ; Cass. soc., 3 décembre 1996, n° 95-20.360, Syndicat Symétal CFDT c/ Société nouvelle Majorette et autre, publié N° Lexbase : A2182AA3 ; Cass. soc., 18 juin 2003, n° 00-46.283, M. Jean Dewasch c/ Société Air Littoral, inédit N° Lexbase : A8527C8C, lire Jurisprudence Framatome et Majorette : la Cour de cassation persiste et signe !, Lexbase Hebdo n° 77 du 26 juin 2003 - édition sociale N° Lexbase : N7917AAH), qui avait donné lieu à des débats houleux ces derniers mois (Doctrine contre Cour de cassation : 1 à 1, match nul, Lexbase Hebdo n° 114 du 1er avril 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1093AB4), est purement et simplement abandonnée, ce dont on ne se plaindra pas, ainsi qu'une partie de la jurisprudence "La Samaritaine" (Cass. soc., 13 février 1997, n° 96-41.874, Société des Grands Magasins de la Samaritaine c/ Mme Benoist et autre, publié N° Lexbase : A4174AAT) concernant les suites de l'annulation du plan social pour les salariés (sur ces éléments, cf infra).

Ce retour au premier plan de la loi nous semble bienvenu, notamment dans un contexte de forte contestation de la portée rétroactive des revirements de jurisprudence qui portent une atteinte excessive au principe de sécurité juridique (Cass. soc., 17 décembre 2004, n° 03-40.008, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4376DES, lire A propos de la rétroactivité des revirements de jurisprudence : une évolution en trompe l'oeil !, Lexbase Hebdo n° 148 du 23 décembre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N4064AB7).

  • La confirmation du rôle prépondérant des partenaires sociaux

La loi du 18 janvier 2005 traduit, également, la volonté des pouvoirs publics de confier aux partenaires sociaux plus de responsabilités et d'autonomie. Ainsi, les dispositions nouvelles confortent les dispositions de la loi "Fillon" du 3 janvier 2003 (loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003 portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques N° Lexbase : L9374A8P) en renforçant le rôle des accords dits "de méthode" dans le cadre des procédures de licenciement pour motif économique (Brèves remarques sur les accords de méthode après l'accord GIAT Industrie du 12 mai 2003, Lexbase Hebdo n° 73 du 29 mai 2003 - édition sociale N° Lexbase : N7559AA9) et enrichit la négociation d'entreprise de nouvelles compétences.

2. La flexibilisation du droit du travail

  • Le droit de l'emploi gagné par l'entropie législative

La loi contient son habituel train de mesures incitatives à destination des catégories de salariés en difficulté d'insertion, qu'il s'agisse des "jeunes éloignés de l'emploi", des "demandeurs d'emploi de longue durée et des bénéficiaires de minima sociaux", des "personnes sans emploi rencontrant des difficultés sociales et professionnelles d'accès à l'emploi", des bénéficiaires du RMI, désormais titulaires d'un nouveau contrat "d'avenir" remplaçant le "contrat insertion-revenu minimum d'activité", des salariés licenciés pour un motif économique, ou encore des apprentis.

Ces dispositions visent à créer de nouvelles dérogations au droit commun des contrats à durée déterminée pour donner plus de souplesse aux entreprises qui considèrent, généralement, le cadre existant comme trop rigide et, partant, comme un frein à l'embauche. La loi poursuit donc l'oeuvre d'éparpillement des statuts professionnels et participe de la confusion qui gagne le droit de l'emploi où chaque réforme se substitue en partie à la précédente, ajoute de nouvelles dispositions, créé de nouveaux organismes, donnant la fâcheuse impression que la lutte contre le chômage est devenue l'apanage de la technocratie ministérielle, ôtant au dispositif toute forme de lisibilité.

La loi du 18 janvier 2005 utilise, comme les autres lois sur l'emploi, le levier des exonérations de charges sociales et fiscales pour abaisser le coût de la main d'oeuvre sans toucher trop ostensiblement au montant des salaires, même si la création de sous-statuts, associant travail et formation, se traduit, généralement, par un abaissement de fait de la rémunération du travail.

La loi modifie, également, de nombreuses dispositions du Code du travail concernant les contrats de travail dérogatoires, qu'il s'agisse du contrat d'apprentissage, du contrat à durée déterminée ou du contrat de travail temporaire qui devient, désormais, un instrument d'insertion professionnelle (art. 64). Sans constituer une réforme en profondeur de l'apprentissage, la loi s'efforce d'adapter ce statut, aujourd'hui dévalorisé, à la vie actuelle des entreprises afin de renforcer son rôle de tremplin vers l'emploi et de l'articuler, notamment, avec les dispositions de la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle.

  • La destructuration inexorable des lois "Aubry" sur les 35 heures

D'autres dispositions apportent, également, des dérogations discrètes, mais réelles, aux règles relatives à la durée du travail, achevant ainsi l'inexorable "travail de sape" des dispositions des lois Aubry I et II sur les 35 heures (loi n° 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail N° Lexbase : L7982AIH et loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail N° Lexbase : L0988AH3) engagé par les lois Fillon. On songera, ici, aux dispositions relatives à la durée du travail des éducateurs et aides familiaux (art. 67), au temps consacré par le salarié pour se rendre sur le lieu d'exécution de son contrat de travail, qui ne pourra plus être qualifié de temps de travail effectif (art. 69).

  • La réforme du licenciement économique

Mais, les dispositions les plus importantes concernent, sans aucun doute, le licenciement pour motif économique. Non seulement la loi du 18 janvier 2005 étend le régime des contrats dits "de chantier" de l'article L. 321-12 du Code du travail (N° Lexbase : L6125ACT) pour les missions à l'exportation (art. 62), mais il abroge définitivement les dispositions suspendues en 2003 de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (art. 71 N° Lexbase : L1304AW9) et met en place un dispositif plus souple, tant sur le plan collectif (relance des accords de méthode, art. 72, responsabilité sociale allégée de l'entreprise en cas de licenciement important, art. 76, compétence du comité d'entreprise, art. 77) qu'individuel (mise en place d'une nouvelle "convention de reclassement", art. 74).

C'est surtout en matière de licenciement économique que la loi se montre la plus énergique, en revenant sur un certain nombre de solutions dégagées ces dernières années par la jurisprudence. Au titre des nouveautés spectaculaires, on relèvera l'abandon de la jurisprudence Framatome et Majorette qui imposait la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi lorsque l'employeur propose la modification collective des contrats de travail (art. 73), d'une partie de la jurisprudence Samaritaine concernant la nullité du plan social en ne faisant de la nullité du licenciement qu'un motif éventuel de réintégration du salarié (art. 77), la réduction des délais de contestation des accords de méthode mis en place par la loi du 3 janvier 2003 (art. 72) ainsi que du plan de sauvegarde de l'emploi (art. 75).

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