La lettre juridique n°152 du 27 janvier 2005 : Social général

[Textes] Fiche n° 1 : la modification du droit applicable en cas de "grand" licenciement économique

Réf. : Loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, de programmation pour la cohésion sociale (N° Lexbase : L6384G49)

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par Nicolas Mingant, Ater en droit privé à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

La loi du 18 janvier 2005 a réformé de manière importante le droit applicable en cas de "grand licenciement collectif". La réforme législative porte sur l'articulation des différentes procédures de consultation du comité d'entreprise (1), le caractère facultatif de l'annulation du licenciement consécutif à un plan de sauvegarde de l'emploi nul (2), les accords dérogatoires relatifs aux modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise (3), l'institution d'une obligation de négocier sur les modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise sur la stratégie de l'entreprise et ses effets prévisibles sur l'emploi (4), la mise en oeuvre de délais pour agir en matière de licenciement économique (5) et, enfin, les obligations des entreprises en cas de licenciement collectif affectant l'équilibre du bassin d'emploi (6). 1. L'articulation des différentes procédures de consultation du comité d'entreprise

La loi modifie l'article L. 321-3 du Code du travail (N° Lexbase : L9632GQS) relatif à l'obligation de consulter les représentants du personnel en cas de licenciement d'au moins 10 salariés dans une même période de 30 jours. L'alinéa 2 de cet article est, désormais, rédigé ainsi : "dans les entreprises [...] où sont occupés habituellement au moins cinquante salariés, les employeurs qui projettent d'y effectuer un licenciement [...] sont tenus de réunir et de consulter le comité d'entreprise. Il peuvent procéder à ces opérations concomitamment à la mise en oeuvre des procédures de consultation prévues par l'article L. 432-1".

Il était, depuis longtemps, admis que la procédure de consultation du livre III n'absorbait pas celle du livre IV et que les deux procédures étaient deux procédures distinctes, qui devaient être respectées l'une et l'autre, mais qui pouvaient être concomitantes, sous réserve du respect des délais les plus favorables (Cass. soc., 17 juin 1997, n° 95-18.904, Société des Grands Magasins de l'Ouest c/ Comité d'établissement des Galeries Lafayette, publié N° Lexbase : A1982ACE).

La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale N° Lexbase : L1304AW9) avait articulé les deux procédures de manière très différente, puisque la consultation à propos d'un projet de licenciement collectif devait être effectuée "après l'achèvement des procédures de consultation prévues par les premier et deuxième chapitres du titre III du livre IV ".

D'abord suspendue par la loi du 3 janvier 2003 (loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003 N° Lexbase : L9374A8P), cette version du texte est définitivement abandonnée par la loi commentée, dans un but de simplification du droit de la consultation du comité d'entreprise.

Le nouvel article L. 321-3 consacre, explicitement, la solution retenue par la jurisprudence avant la loi de modernisation sociale. Il admet, en effet, qu'il puisse y avoir concomitance entre, d'une part, les consultations prévues à l'article L. 432-1 (N° Lexbase : L4705DZB) (notamment sur "les mesures de nature à affecter le volume et la structure des effectifs") et, d'autre part, la consultation sur un projet de licenciement collectif pour motif économique. Cependant, si la concomitance est désormais admise par la loi, cela ne remet probablement pas en cause la jurisprudence antérieure, exigeant que les délais spécifiques à chaque procédure soient respectés (voir, notamment, à propos du "délai d'examen suffisant" prévu par l'article L. 431-5 N° Lexbase : L6395ACT, Cass. soc., 16 avril 1996, n° 93-20.228, Société Sietam industries c/ Comité central d'entreprise de la société Sietam industries, publié N° Lexbase : A2041AAT).

2. Le caractère facultatif de l'annulation du licenciement consécutif à un plan de sauvegarde de l'emploi nul

On sait que la Chambre sociale, dans un arrêt très controversé, avait posé le principe selon lequel "la nullité qui affecte le plan social s'étend à tous les actes subséquents et en particulier aux licenciements prononcés par l'employeur" (Cass. soc., 13 février 1997, n° 96-41.874, Société des Grands Magasins de la Samaritaine c/ Mme Benoist et autre, publié N° Lexbase : A4174AAT).

Cette solution était, certainement, imposée par la lettre des articles L. 321-4-1 (N° Lexbase : L9634GQU) qui disposait que "la procédure de licenciement est nulle et de nul effet tant qu'un plan visant au reclassement des salariés [...] n'est pas présenté par l'employeur aux représentants du personnel" et L. 122-14-4 (N° Lexbase : L5569ACA) qui énonçait que "lorsque le tribunal constate que la procédure de licenciement est nulle, conformément aux dispositions de l'article L. 321-4-1, il prononce la nullité du licenciement et ordonne, à la demande du salarié, la poursuite du contrat de travail". Elle avait, cependant, été fortement critiquée, notamment parce qu'elle conduisait à contraindre l'employeur, parfois plusieurs années après les faits, à réintégrer le salarié, ce qui n'était, le plus souvent, pas très réaliste.

Désormais, "le juge peut prononcer la nullité du licenciement et ordonner, à la demande du salarié, la poursuite de son contrat de travail, sauf si la réintégration est devenue impossible, notamment du fait de la fermeture de l'établissement ou du site ou de l'absence d'emploi disponible de nature à permettre la réintégration du salarié". La modification de la formule légale est d'importance.

Le juge pourra toujours, après la réforme législative du 18 janvier 2005, prononcer la nullité du licenciement lorsque la procédure de licenciement est nulle en raison de la carence de l'employeur en matière d'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi. Mais, la nullité ne sera plus automatique. Le juge pourra ne pas la prononcer (et ne pas ordonner la réintégration) lorsque l'entreprise se trouvera dans l'une des situations énumérées par la loi. Il convient, d'ailleurs, de souligner que la liste des circonstances autorisant le juge à ne pas annuler le licenciement n'est pas limitative. L'emploi de l'adverbe "notamment" par l'article L. 122-14-4 nouveau conduira le juge, certainement, à retenir une interprétation large de "l'impossibilité de réintégrer".

3. Les accords dérogatoires relatifs aux modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise

L'article L. 320-3 nouveau du Code du travail vient pérenniser le dispositif expérimental institué par la loi du 3 janvier 2003 (loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003 N° Lexbase : L9374A8P) en matière d'accords de méthode. Ces accords, qui peuvent déroger aux dispositions des livres III et IV du Code du travail, sont des accords de procédure visant à organiser les modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise en cas de grands licenciements collectifs. Ils peuvent porter sur deux points :

- les conditions dans lesquelles le comité d'entreprise est réuni et informé de la situation économique et financière de l'entreprise et peut formuler des propositions alternatives au projet économique et obtenir une réponse motivée de l'employeur à ses propositions. Les accords peuvent organiser la mise en oeuvre d'actions de mobilité professionnelle et géographique au sein de l'entreprise et du groupe ;
- les conditions dans lesquelles l'établissement du plan de sauvegarde de l'emploi mentionné à l'article L. 321-4-1 fait l'objet d'un accord, et anticiper le contenu de celui-ci.

Ces accords ne peuvent déroger à certaines dispositions du Code du travail, notamment à l'article L. 321-1, alinéa 3 (N° Lexbase : L6105AC4), imposant à l'employeur une obligation de reclassement avant de procéder au licenciement économique, aux articles L. 321-4, alinéa 1 à 11 (N° Lexbase : L9633GQT) et L. 431-5 (N° Lexbase : L6395ACT), déterminant les informations à transmettre obligatoirement aux représentants du personnel et à l'article L. 321-9 (N° Lexbase : L4795DZM) relatif aux prérogatives du comité d'entreprise en cas de redressement ou de liquidation judiciaire.

L'action en contestation visant ces accords doit être formée, à peine d'irrecevabilité, dans les 3 mois qui suivent le dépôt auprès des services du ministère du Travail. Le délai est, cependant, porté à 12 mois pour les accords qui déterminent ou anticipent le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi.

4. L'institution d'une obligation de négocier sur les modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise sur la stratégie de l'entreprise et ses effets prévisibles sur l'emploi ainsi que sur les salaires

L'article L. 320-2 nouveau du Code du travail prévoit que, dans les entreprises et les groupes d'entreprises qui occupent au moins 300 salariés, ainsi que dans les entreprises et groupes de dimension communautaire comportant au moins un établissement ou une entreprise de 500 salariés en France, l'employeur est tenu d'engager, tous les 3 ans, une négociation portant sur les modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise sur la stratégie de l'entreprise et ses effets prévisibles sur l'emploi ainsi que sur les salaires.

Selon l'article L. 320-2 nouveau, la négociation doit, également, porter sur la mise en place d'un dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, et sur les mesures d'accompagnement susceptibles de lui être associées, en particulier en matière de formation, de bilan de compétences ainsi que d'accompagnement de la mobilité professionnelle et géographique des salariés.

5. La mise en oeuvre de délais pour agir en matière de licenciement économique

L'article L. 321-16 nouveau du Code du travail dispose que toute action en référés portant sur la régularité de la procédure de consultation doit, à peine d'irrecevabilité, être introduite dans un délai de 15 jours suivant chacune des réunions du comité d'entreprise.

Il dispose, également, que toute contestation portant sur la régularité ou la validité du licenciement se prescrit par 12 mois à compter de la dernière réunion du comité d'entreprise ou, dans le cadre de l'exercice par le salarié de son droit individuel à contester la régularité ou la validité du licenciement, à compter de la notification de celui-ci. La loi ajoute, cependant, que ce délai n'est opposable au salarié que s'il en a été fait mention dans la lettre de licenciement.

6. Les obligations des entreprises en cas de licenciement collectif affectant l'équilibre du bassin d'emploi

L'article L. 321-17 nouveau du Code du travail énonce que les entreprises de plus de 50 salariés qui procèdent à un licenciement collectif affectant, par son ampleur, l'équilibre du ou des bassins d'emploi dans lesquels elles sont implantées sont tenues, sauf lorsqu'elles font l'objet d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires, de contribuer à la création d'activités et au développement des emplois et d'atténuer les effets du licenciement envisagé sur les autres entreprises dans le bassin d'emploi.

L'intensité des obligations pesant sur l'entreprise est différente, selon qu'elle relève ou non de l'article L. 321-4-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0549AZD) (entreprises occupant au moins 1000 salariés, entreprises ou groupes d'entreprise de dimension communautaire, entreprises soumises à l'obligation de mettre en oeuvre un comité de groupe).

Pour les entreprises mentionnées à cet article, le montant de leur contribution ne peut, en principe, être inférieur à deux fois la valeur mensuelle du salaire minimum de croissance par emploi supprimé. Une convention entre l'entreprise et le représentant de l'Etat doit être conclue dans un délai de 6 mois à compter de la notification du projet de licenciement à l'administration. Celle-ci détermine, sur la base d'une étude d'impact social et territorial prescrite par le représentant de l'Etat, la nature et les modalités de mise en oeuvre des actions, en tenant compte des actions de même nature éventuellement prévues dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi établi par l'entreprise.

Lorsqu'un accord collectif prévoit des actions de telle nature, assorties d'engagements financiers au moins égaux au montant de la contribution, cet accord tient lieu, à la demande de l'entreprise, de la convention entre l'entreprise et le représentant de l'Etat, sauf opposition de ce dernier motivée et exprimée dans les 2 mois suivant la demande.

Si aucune convention ou accord collectif en tenant lieu n'est signée, l'entreprise verse au Trésor public une contribution égale au double du montant prévu ci-dessus.

Pour les entreprises non visées par l'article L. 321-4-3 du Code du travail, le montant de leur contribution n'est pas chiffré. L'article L. 321-17 prévoit, alors, que l'entreprise et le représentant de l'Etat définissent, d'un commun accord, les modalités selon lesquelles l'entreprise prend part aux actions, compte tenu, notamment, de sa situation financière et du nombre d'emplois supprimés.

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