La lettre juridique n°128 du 8 juillet 2004 : Concurrence

[Le point sur...] Les tarifs des professions libérales et le droit de la concurrence

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N2217ABQ

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par Jean-Pierre Lehman, Ancien rapporteur au Conseil de la concurrence

le 07 Octobre 2010

Dans une décision du 10 juin 1997, le Conseil de la concurrence, après avoir constaté que le Conseil national de l'Ordre des architectes publiait un tableaux indicatif des taux usuels de rémunération de la mission normale de l'architecte et qu'il fournissait une notice explicative relative à l'usage de ces tableaux, condamnait le Conseil national à une sanction pécuniaire de 200 000 francs (environ 30 490 euros) (décision n° 97-D-45, 10 juin 1997 N° Lexbase : L9059D7N). S'agissant de la qualification des pratiques constatées, le Conseil soutenait que l'élaboration et la diffusion de 1988 à 1994 par le Conseil national de l'Ordre des architectes du tableau litigieux et de la notice constituaient une pratique concertée ayant eu pour objet, et ayant pu avoir pour effet, de fausser le jeu de la concurrence sur le marché des prestations architecturales. Les autorités françaises de la concurrence ne sont pas les seules à se préoccuper des pratiques mises en oeuvre par les professionnels libéraux. En effet, dès le 28 octobre 2003, à l'initiative de la Direction générale de la concurrence, la Commission européenne organisait une conférence sur la réglementation des professions libérales. A cette date, le commissaire européen à la concurrence, Mario Monti, mettait en garde les professionnels libéraux, contre les pratiques professionnelles susceptibles de nuire aux règles de concurrence. Il pointait, notamment, des restrictions professionnelles existant dans certains Etats membres, telles que celles relatives à la publicité, aux numerus clausus ou à l'existence de barème. Cette conférence faisait suite à la publication, le 27 mars 2003, par la Commission d'un document de travail relatif à la réglementation des professions libérales et ses effets.

C'était l'occasion pour la Commission de rappeler que la politique et les règles de concurrence relatives aux professions libérales ont sensiblement évolué depuis une dizaine d'années. Dès 1993, la Commission européenne a adopté sa première décision dans ce secteur à la suite du dépôt de plusieurs plaintes émanant d'entreprises de l'Union (décision CE du 30 juin 1993, n° 93/438/CEE N° Lexbase : L9058D7M). Les plaignants invoquaient un certain nombre de difficultés rencontrées en Italie pour la réalisation des opérations de dédouanement, en relation avec l'exercice de l'activité de déclarant en douane. Ces deniers disposant d'un tarif unique pour toute la péninsule, la Commission considérait que : "le tarif pour les prestations professionnelles des expéditeurs en douane adopté par le Conseil national des expéditeurs en douane (CNSD) lors de la séance du 21 mars 1988 et entré en vigueur le 20 juillet 1988 constitue une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité ".

En 1998, la Cour européenne de justice a confirmé cette décision de la Commission (CJCE, 18 juin 1998, aff. C-35/96, Commission des Communautés européennes c/ République italienne N° Lexbase : A1741AWE). Elle a, en effet, considéré [point 47] que l'activité des expéditeurs en douane présentait effectivement un caractère économique, puisque "ceux-ci offrent, contre rémunération, des services consistant à effectuer des formalités douanières, concernant surtout l'importation, l'exportation et le transit de marchandises, ainsi que d'autres services complémentaires, comme des services relevant des domaines monétaire, commercial et fiscal. En outre, ils assument les risques financiers afférents à l'exercice de cette activité. En cas de déséquilibre entre dépenses et recettes, l'expéditeur en douane est appelé à supporter lui-même les déficits" . Le fait que l'activité d'expéditeur en douane soit de nature intellectuelle et nécessite une autorisation n'est pas, pour la Cour, de nature à l'exclure du champ d'application des articles 85 et 86 du Traité [point 48].

En 1999, dans l'affaire Arduino, la Cour a estimé [point 36] que le fait qu'un Etat membre demande à une organisation professionnelle d'élaborer un projet de tarif de prestations ne prive pas automatiquement ce tarif de son caractère de réglementation étatique (CJCE, 19 février 2002, aff. C-35/99, Pretore di Pinerolo c/ Manuele Arduino N° Lexbase : A0578AY3). Pour qu'il en soit ainsi, il est cependant nécessaire [point 37] lorsque "les membres de l'organisation professionnelle peuvent être qualifiés d'experts indépendants des opérateurs économiques concernés et qu'ils sont tenus, de par la loi, de fixer les tarifs en prenant en considération non pas seulement les intérêts des entreprises ou des associations d'entreprises du secteur qui les a désignés, mais aussi l'intérêt général et les intérêts des entreprises des autres secteurs ou des usagers des services en question".

Finalement, le 9 février dernier, la Commission présentait une communication sur la concurrence dans le secteur des professions libérales. C'était pour elle l'occasion d'affirmer qu'au cours des deux dernières décennies, un certain nombre d'Etats membres ont supprimé les prix imposés dans des secteurs des professions libérales. Durant les années 1970 et 1980, les prix imposés ont été supprimés au Royaume-Uni pour les services de rédaction d'actes de transfert de propriété et les services du secteur de l'architecture. De la même manière, en France, les prix imposés ont été abolis pour les services juridiques. Les professions juridiques, comptables ainsi que celles des ingénieurs et des architectes peuvent dorénavant être exercées d'une manière efficace sans prix imposés dans la plupart des Etats membres. Ceci semble indiquer que les contrôles des prix ne constituent pas un instrument de réglementation essentiel pour ces professions.

C'est dans ce contexte que le 24 juin dernier la Commission a condamné le système d'honoraires des architectes belges. Le système remis en cause prévoyait que les honoraires d'un architecte devaient être calculés en pourcentage de la valeur des travaux réalisés par l'entrepreneur et s'appliquait à tous les services d'architecte fournis en Belgique par des prestataires indépendants.

La Commission a ainsi estimé que ce type de barème était contraire aux règles européennes de la concurrence : il tend à coordonner les politiques de prix des architectes en Belgique.

Reprenant le raisonnement qu'elle avait mis en avant dès 1993, la Commission estime ici que les honoraires doivent être le reflet du savoir-faire des architectes et des coûts qu'ils supportent. Ils ne doivent pas être fonction de la valeur des travaux ou du prix fixé par un entrepreneur. L'architecte doit fixer ses honoraires indépendamment de ses concurrents et exclusivement en accord avec le client.

La Commission a décidé d'infliger une amende de 100 000 euros à l'ordre des architectes belges. Le montant de cette amende tient compte de l'abolition du barème en cause en 2003.

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