Réf. : Cass. civ. 3, 16 juin 2004, n° 03-11.314, Compagnie Foncière de la MACIF, venant aux droits de la SCI Alsace entrepôts par transmission universelle du patrimoine c/ Société Auchan France, F-P+B+I (N° Lexbase : A7441DCL)
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N2165ABS
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le 07 Octobre 2010
La Cour de cassation approuve la cour d'appel d'avoir rejeté cette demande dans la mesure où :
- les locaux loués étaient constitués d'un entrepôt de stockage et de bureaux ;
- le bail précisait qu'ils seraient à usage d'entreposage de produits de grande consommation ;
- les locaux ne constituaient pas le lieu d'exploitation d'un fonds de commerce.
Par conséquent, le locataire était en droit de quitter les lieux au terme de la dernière prorogation de la convention, soit le 31 décembre 1995.
Cet arrêt apporte donc une précision intéressante sur l'applicabilité du statut des baux commerciaux à l'expiration du bail dérogatoire de courte durée.
Le statut des baux commerciaux est, pour la plupart de ses dispositions, d'ordre public (C. com., art. L. 145-15 N° Lexbase : L5743AIK et L. 145-16 N° Lexbase : L5744AIL). Les parties, en principe, ne peuvent donc contractuellement décider qu'il ne s'appliquera pas à leur bail si ses conditions d'application sont remplies.
Cependant, une exception est prévue à l'article L. 145-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L5733AI8). Les parties peuvent, en effet, conclure un bail dérogatoire au statut. Ce dernier est un bail, comme l'a parfaitement défini J.-P. Blatter dans une formule condensée, "initial, unique et d'une durée de deux ans au plus" (J.-P. Blatter, "Les conventions exclues du statut des baux commerciaux", Rev. Loyers 2004, p. 64).
Aux termes du premier alinéa de ce texte, les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, prévoir la mise à l'écart du statut à la condition que le bail soit conclu pour une durée au plus égale à deux années. Cette volonté doit être clairement exprimée (Cass. civ. 3, 8 novembre 1972, n° 71-13.008, Boudes c/ Choisy N° Lexbase : A6812AGE et CA Agen, 16 octobre 1986, n° 993/85, Ginibrière c/ Tastets N° Lexbase : A3557A4I).
Le deuxième alinéa de l'article prévoit que, si à l'expiration de cette durée, le preneur reste et est laissé en possession des lieux, il s'opère un nouveau bail soumis au statut. Il faut donc non seulement que le preneur soit resté dans les lieux, mais que le bailleur ait également consenti, ne serait-ce que tacitement, à ce que le preneur y reste. Le bailleur devra sur ce point être vigilant, la Cour de cassation ayant jugé que le bail dérogatoire devait être soumis au statut lorsque le bailleur n'avait pas demandé au locataire de quitter les lieux avant son expiration (Cass. civ. 3, 1er juin 1994, n° 92-12.186, Suttel c/ Epoux Gayraud N° Lexbase : A8034CKR).
Le troisième alinéa de l'article L. 145-5 du Code de commerce précise qu'il en sera de même si les parties renouvellent expressément le bail ou qu'elles concluent un nouveau bail pour le même local. Cette dernière opération, au demeurant, devrait en réalité être analysée en un renouvellement qui ne porterait pas son nom. Les parties ne peuvent donc conclure un nouveau bail à l'expiration du premier, même si la durée totale serait inférieure à deux années, sans échapper à l'application du statut. Dans ses propositions pour la modernisation des baux commerciaux, le groupe de travail s'est prononcé en faveur de la possibilité d'une succession de plusieurs baux dérogatoires dans la limite de la durée de deux années (rapport, p.61).
Toutefois, l'application du statut, dans ces deux hypothèses, n'est pas une fatalité.
En effet, faisant une application controversée (voir la critique limpide de B. Boccara in "Le droit fondamental privé en question(s) IV : la tacite reconduction, l'ordre public et les baux commerciaux de dérogation", JCP éd. G 1996, I, 3898), de la règle selon laquelle il est possible de déroger à l'application d'une loi d'ordre public après la naissance du droit qu'elle consacre, la Cour de cassation admet que le locataire puisse valablement renoncer, de manière expresse, à l'application du statut une fois le droit à son application acquis (Cass. civ. 3, 20 février 1985, n° 83-15.730, Consorts Ruberti c/ Mme Raibaud N° Lexbase : A7645AGA et, dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt rapporté, Cass. civ. 3, 21 novembre 2001, n° 00-14.761, société civile immobilière (SCI) Alsace entrepôts c/ Société Alsacienne de supermarchés (SASM), FS-D N° Lexbase : A2032AXK).
Dans l'espèce rapportée, le bail dérogatoire, conclu le 28 juillet 1989 pour une durée de vingt-trois mois, avait été conventionnellement plusieurs fois prorogé jusqu'au 31 décembre 1995. L'article L. 145-5 du Code de commerce avait donc vocation à s'appliquer dans la mesure où il était difficilement contestable que le preneur était et avait été laissé en possession des lieux. Il est toutefois intéressant de souligner, même si le problème n'a pas été abordé, que la prorogation du bail, qui est la continuation d'un même bail au-delà de son terme, ne peut être assimilée à la reconduction, qui est la conclusion d'un nouveau bail. Or, implicitement mais nécessairement, l'article L. 145-5 du Code de commerce semble viser l'hypothèse de la tacite reconduction telle qu'elle est définie par l'article 1738 du Code civil (N° Lexbase : L1860ABI).
L'application de l'article L. 145-5 du Code de commerce n'était donc pas discutée. Cependant, le statut des baux commerciaux était-il pour autant applicable à la convention litigieuse ? En d'autres termes, l'article L. 145-5 du Code de commerce crée-t-il un critère autonome d'application du statut ?
Les deuxième et troisième alinéa de l'article L. 145-5, lus isolément, pourraient le laisser entendre. Cependant, ils ne peuvent être appréhendés en dehors du premier aliéna qui précise que "les parties peuvent échapper, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux disposition du présent chapitre [chapitre V : du bail commercial], à la condition que le bail soit conclu pour une durée inférieure au plus égale à deux années". Or, par hypothèse, pour déroger au statut... il faut déjà y être soumis ! Par conséquent, il ne devrait pas s'appliquer dans les cas visés aux deuxième et troisième alinéa si, en amont, la convention ne se situe pas elle-même dans son champ d'application.
La Cour de cassation s'était déjà prononcée, in fine, en ce sens en refusant l'application du statut à un bail dérogatoire où le preneur avait été laissé en possession des lieux au motif que ce dernier n'avait pas de clientèle et qu'il n'exerçait pas son activité dans un local au sens de l'article L. 145-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L5729AIZ) (Cass. civ. 3, 5 juillet 1995, n° 93-17.674, Mme Fosse c/ Société des Grands Magasins ardennais N° Lexbase : A7931ABD, RD imm., janv-mars 1996, p. 117).
Un arrêt avait pu semer le doute même si certains ne s'y étaient pas laissé piéger (J. Monéger, obs. sous Cass. civ. 3, 30 avril 1997, JCP éd. N 1997, p. 1538). Dans une décision du 30 avril 1997, la Cour de cassation avait, en effet, jugé que le bénéfice du statut des baux commerciaux ne pouvait être refusé au locataire resté en possession des lieux loués à la suite de l'expiration d'un bail de courte durée, au motif qu'il n'était pas encore inscrit au registre du commerce à la date de cette expiration. Or, l'inscription au registre du commerce et des sociétés semble bien, à la lecture de la disposition qui la prévoit, constituer une condition d'application du statut (C. com., art. L. 145-1).
Cependant, la jurisprudence a précisé qu'elle ne constituait qu'une condition du droit au renouvellement (Cass. civ. 3, 1er octobre 1997, n° 95-15.842, Syndicat mixte pour l'aménagement touristique de la montagne c/ Mathot N° Lexbase : A1903ACH et Cass. civ. 3, 1er octobre 2003, n° 02-10.381, FS-P+B N° Lexbase : A6682C9D).
Cet arrêt ne pouvait donc être interprété comme remettant en cause la solution qui se dégageait de l'arrêt de l'arrêt du 5 juillet 1995 (Cass. civ. 3, 5 juillet 1995, n° 93-17.674, Mme Fosse c/ Société des Grands Magasins ardennais, précité).
L'arrêt rapporté confirme cette vue en approuvant la cour d'appel d'avoir refusé l'application du statut au bail dérogatoire qui s'était prolongé bien au-delà de la durée maximale de deux années au motif, pour l'essentiel, qu'aucun fonds de commerce n'y était exploité, condition essentielle d'application du statut (C. com., art. L. 145-1).
La solution doit être approuvée, tant au regard de l'article L. 145-5 du Code de commerce, comme il a été démontré, qu'au regard de son opportunité. En effet, aucune raison valable ne justifierait l'application du statut à un bail qui normalement n'y est pas soumis au motif que les parties ont conclu préalablement un bail de courte durée, sauf à considérer qu'elles ont procédé, ce faisant, à une extension conventionnelle du statut en choisissant de l'exclure : impossible à soutenir.
Julien Prigent
Avocat au barreau de Paris
(1) C'est donc le bailleur qui invoque l'application de l'article L.145-5 du Code de commerce. La Cour de cassation a déjà précisé que l'application de cette disposition peut être invoquée par les deux parties au bail (Cass. civ. 3, 27 avril 1988, n° 87-11.667, Société civile immobilière Saint-Claude c/ Société Vitrage isolant technique N° Lexbase : A8437AAQ).
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