Réf. : Cass. soc., 9 juin 2004, n° 01-45.141, M. Gérald Gruhn c/ Société Atos intégration - Etablissement Sophia Antipolis, F-D (N° Lexbase : A6099DCU)
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par Nicolas Mingant, Ater en droit privé à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Depuis les arrêts Perrier de 1974, la jurisprudence, au nom du "statut exorbitant" dont bénéficient les salariés protégés, n'a cessé d'élargir le domaine dans lequel le recours au droit commun de la rupture du contrat est prohibé. L'action en résiliation judiciaire à l'initiative du salarié s'inscrit parfaitement dans le cadre de cette évolution "autonomiste". En tant que telle, une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail par un salarié doit être déclarée irrecevable (1). La solution apparaît cependant très sévère lorsque l'action du salarié fait suite à des manquements contractuels graves de la part de l'employeur. Pour cette raison, même si l'action du salarié ne peut entraîner une résiliation judiciaire à proprement parler, les juges doivent examiner si les manquements reprochés à l'employeur ne permettent pas au salarié de lui imputer une rupture fautive (2).
Décision
Cass. soc., 9 juin 2004, n° 01-45.141, M. Gérald Gruhn c/ Société Atos intégration - Etablissement Sophia Antipolis, F-D (N° Lexbase : A6099DCU) Cassation de CA Aix-en-Provence (17ème chambre sociale), 15 mai 2001 Salarié protégé ; mutation ; résiliation judiciaire ; demande du salarié Textes visés : article 455 du nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2694AD7) et article 1184 du Code civil (N° Lexbase : L1286ABA) Liens base : |
Faits
Un salarié ayant la qualité de délégué de personnel refuse une mutation proposée par son employeur à la suite du transfert géographique de l'établissement dans lequel il travaille. Il saisit par la suite la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation de son contrat de travail accompagnée de demandes d'indemnités de rupture. La cour d'appel d'Aix-en-Provence le déboute aux motifs que "la démission ne se présume pas, que l'exercice par l'employeur de son pouvoir disciplinaire n'est pas facultatif et qu'il appartient à ce dernier de le licencier sans qu'il puisse faire prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail". |
Problème juridique
Quels sont les effets produits par une demande en résiliation judiciaire formée par un salarié protégé à la suite d'un manquement de l'employeur à ses obligations ? |
Solution
1. Cassation pour violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile 2. "En statuant ainsi sans répondre aux conclusions de M. Gruhn faisant valoir qu'il avait la qualité de salarié protégé à la date de la mutation, la cour d'appel a violé le texte susvisé". |
Commentaire
1. L'irrecevabilité de la demande de résiliation judiciaire
Dans un arrêt du 18 juin 1996, la Chambre sociale de la Cour de cassation énonçait le principe selon lequel "le contrat de travail d'un représentant du personnel ne peut faire l'objet d'une résiliation judiciaire" (Cass. soc., 18 juin 1996, n° 94-44.653, M. Felizot c/ Société Litwin, publié N° Lexbase : A0211ACS Dr. soc. 1996, pp. 979-981, obs. H. Blaise). En application de ce principe, le salarié protégé est désormais logé à la même enseigne que son employeur (Chbre mixte, 21 juin 1974, n° 71-91.225, Castagne, Clavel, Daumas, Delon, Dame Grasset, Martinez, Dame Maurin, c/ Epry, publié N° Lexbase : A6851AGT D. 1994, Jur., p. 593, concl. Touffait) : il ne peut pas invoquer l'article 1184 du Code civil (N° Lexbase : L1286ABA) pour obtenir la résiliation de son contrat de travail, là où le salarié ordinaire le peut toujours (Cass. soc., 15 janvier 2003, n° 00-44.799, F-D N° Lexbase : A6864A4Y Ch. Radé, La résolution judiciaire du contrat de travail peut-elle être prononcée à la demande du salarié et aux torts de l'employeur ?, Lexbase Hebdo n° 56 du jeudi 30 janvier 2003 - édition sociale N° Lexbase : A6864A4Y ; Cass. soc., 16 juin 2004, n° 01-43.124, FS-P N° Lexbase : A7322DC8). L'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, cassé par la Cour de cassation dans sa décision du 9 juin 2004, est sur ce point tout à fait conforme à cette ligne jurisprudentielle. La généralisation de l'éviction de ce mode de rupture issu du droit commun se justifie parfaitement au regard du statut exceptionnel et exorbitant du droit commun des salariés concernés et de la nécessité de préserver en cette matière la compétence exclusive de l'autorité administrative.
Une application stricte du principe dégagé par l'arrêt du 18 juin 1996 peut cependant engendrer de fâcheuses conséquences (voir les craintes exprimées en ce sens par H. Blaise dans son commentaire de l'arrêt du 18 juin 1996, Dr. soc. 1996, p. 980). Le salarié protégé doit normalement être, du fait de son statut protecteur, largement préservé des mesures que pourrait prendre l'employeur à son encontre. Il dispose, à cet égard, d'un vaste pouvoir de résistance : son accord est ainsi exigé non seulement pour une modification de son contrat de travail, mais aussi pour tout changement de ses conditions de travail (Cass. soc., 18 juin 1996, précité). Il serait paradoxal d'imposer en la matière de nombreuses obligations à l'employeur sans donner au salarié les moyens de tirer les conséquences de leur non-respect. Pourtant, saisis par un salarié protégé d'une demande en résiliation judiciaire au motif du non-respect de ces obligations, les juges du fond n'ont, a priori, pas d'autre solution que de la déclarer purement et simplement irrecevable, quand bien même la faute contractuelle de l'employeur serait avérée et suffisamment grave.
Pour ces motifs, la règle énoncée par l'arrêt du 18 juin 1996 n'est pas unanimement admise. Certains juges du fond résistent et acceptent encore parfois de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail lorsque la demande émane du salarié (notamment la cour d'appel de Limoges qui semble s'en être fait une spécialité, CA Limoges, 8 janvier 1997, M. Cialdella c./ SA Flagelectric, D. 1998, Jurispr., pp. 183-186, note J. Mouly). Selon ces juges dissidents, aussi justifiée soit-elle, la mise à l'écart de la résiliation judiciaire ne doit pas conduire à priver le salarié protégé de toute faculté de riposte lorsque l'employeur manque gravement à ses obligations. Il serait en effet inadmissible que le statut protecteur accordé aux représentants du personnel ait pour conséquence de les contraindre à l'impuissance en cas de comportement fautif de l'employeur. Cette rébellion ne nous semble pourtant pas fondée car, si la volonté de protéger le salarié victime de fautes contractuelles de son employeur est louable, il existe très certainement une autre voie pour y parvenir. En effet, sans prononcer la résiliation judiciaire, il est tout à fait envisageable de permettre au salarié d'imputer à l'employeur une rupture fautive. Il nous semble d'ailleurs que la cassation pour défaut de réponse à conclusions prononcée par l'arrêt du 9 juin 2004 a pour objectif de permettre à la cour d'appel de renvoi de s'inscrire dans cette logique. 2. La déclaration d'imputabilité de la rupture à l'employeur
La résiliation judiciaire étant impossible, les deux seuls régimes éventuellement applicables à la situation juridique sont d'une part la démission, d'autre part le licenciement. La faute de l'employeur rend particulièrement inique l'hypothèse de la démission car celle-ci n'entraîne évidemment aucune indemnisation pour le salarié. La seule solution acceptable est alors de considérer que la rupture est un licenciement. En cas de manquement de l'employeur à ses obligations, il convient donc de permettre au salarié de prendre l'initiative de la rupture et de demander à ce qu'elle soit imputée à l'employeur fautif. Il s'agit alors de ce qu'on a coutume d'appeler un "autolicenciement" (Voir Autolicenciement d'un salarié protégé : réflexions autour de la rupture du contrat à l'initiative du salarié, Lexbase Hebdo n° 57 du mercredi 5 février 2003 - édition Lettre juridique N° Lexbase : N5763AAP).
Il convient alors de s'interroger sur le sort procédural réservé au salarié qui a intenté une action en résiliation judiciaire. Faut-il rejeter purement et simplement sa demande et exiger de lui qu'il en forme une autre dans laquelle il réclame spécifiquement les fruits de son autolicenciement, ou bien le juge peut-il requalifier automatiquement la rupture en licenciement ? Cette dernière solution doit, selon nous, primer : on ne voit en effet pas de raison particulière de pénaliser le salarié qui, plutôt que de rompre unilatéralement son contrat, a pris la précaution de passer par le juge. Cette méthode de la requalification est d'ailleurs celle utilisée lorsque la demande de résiliation judiciaire émane d'un salarié ordinaire. En effet, lorsque le salarié n'est pas un salarié protégé, la résiliation judiciaire prononcée à son initiative et aux torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse (Voir Cass. soc., 20 janvier 1998, n° 95-43.350, M. Leudière c/ Société Trouillard, publié N° Lexbase : A4150AAX D. 1998, p. 850, note C. Radé ; JCP G 1998, 10081, note J. Mouly). C'est probablement ce type de solution que la Cour de cassation voudrait voir appliquer par la cour d'appel de renvoi dans l'arrêt du 9 juin 2004. Mais, puisque le salarié est un salarié protégé, il ne s'agirait pas d'un hybride entre une résiliation judiciaire et un licenciement mais d'un licenciement tout court. |
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