La lettre juridique n°123 du 3 juin 2004 : Concurrence

[Jurisprudence] Une application par le Conseil de la concurrence du principe d'orientation des prix vers les coûts : le cas de la société 9 Télécom Réseau c/ France Télécom

Réf. : Décision n° 04-D-18, 13 mai 2004, concernant l'exécution de la décision n° 00-MC-01 du 18 février 2000 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société 9 Télécom Réseau (N° Lexbase : L2084DYT)

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[Jurisprudence] Une application par le Conseil de la concurrence du principe d'orientation des prix vers les coûts : le cas de la société 9 Télécom Réseau c/ France Télécom. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3206892-jurisprudence-une-application-par-le-conseil-de-la-concurrence-du-principe-dorientation-des-prix-ver
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par André-Paul Weber, Professeur d'économie, Ancien rapporteur au Conseil de la concurrence

le 07 Octobre 2010

A l'occasion de la décision n° 04-D-18 du 13 mai 2004, concernant l'exécution de la décision n° 00-MC-01 du 18 février 2000 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société 9 Télécom Réseau, le Conseil de la concurrence vient de faire une nouvelle application du principe voulant, qu'en certaines circonstances, des entreprises soient invitées à orienter leurs tarifs vers les coûts : ce faisant, le Conseil adopte des solutions qui dérogent au principe de la libre détermination des prix par le jeu de la concurrence tel qu'institué par l'article L. 410-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L6582AIM). En effet, d'une façon générale, les prix s'établissent à un niveau concurrentiel en fonction à la fois des coûts des entreprises mais aussi de la demande qui leur est adressée. La politique invitant des entreprises à orienter leurs tarifs vers les coûts trouve son origine dans les directives communautaires fixant le cadre de l'ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications ; si son adoption ne constitue pas un instrument approprié pour remédier à des problèmes de concurrence, il demeure qu'elle peut favoriser l'émergence de nouveaux marchés et accompagner positivement le processus de libéralisation de secteurs anciennement sous monopole.
  • Le rappel des faits

L'opérateur de réseau de télécommunication 9 Télécom Réseau souhaite, courant 1999, offrir aux fournisseurs d'accès à Internet un service de collecte du trafic généré par leurs abonnements ADSL, concurrent du service proposé par France Télécom. La société 9 Télécom Réseau, ne pouvant alors accéder à la boucle locale et donc desservir directement les abonnés, demande à France Télécom de pouvoir accéder au "circuit virtuel", solution qui consiste en la fourniture de transport de données à haut débit entre l'abonné et un point de présence de l'opérateur, un "circuit virtuel" étant dédié à chaque raccordement à haut débit. La mise en oeuvre de cette option permet à l'abonné d'être le client du nouvel opérateur, pour un service de transport de données à haut débit, tout en demeurant le client de France Télécom pour le service téléphonique.

En novembre 1999, France Télécom devait informer le demandeur de l'élaboration "d'une offre de vente en gros de ses services, destinée aux opérateurs tiers pour leur permettre d'offrir des services équivalents à ceux de France Télécom". Mais, faute d'obtenir une réponse précise, le demandeur devait saisir le Conseil de la concurrence le 29 novembre 1999 : des mesures conservatoires étaient prononcées le 18 février 2000 et il était fait injonction à France Télécom de "proposer aux opérateurs tiers, dans un délai maximum de huit semaines [...], une offre technique et commerciale d'accès au circuit virtuel permanent pour la fourniture d'accès à Internet par la technologie ADSL ou tout autre solution technique et économique équivalente permettant aux opérateurs d'exercer une concurrence effective, tant par les prix que par la nature des prestations offertes".

  • L'examen par le Conseil de la concurrence de la nouvelle plainte formée par la société 9 Télécom Réseau

Le 15 février 2001, la société 9 Télécom Réseau a, à nouveau, saisi le Conseil de la concurrence pour non-respect de l'injonction antérieurement formulée. Elle devait alors faire valoir que si France Télécom a effectivement transmis en avril 2000 une offre aux opérateurs tiers, cette offre contenait de multiples restrictions techniques et tarifaires non conformes à l'injonction.

Dans sa décision du 13 mai 2004 le Conseil de la concurrence va rappeler que la condition posée par l'injonction - la possibilité pour des tiers d'exercer une concurrence effective - implique de s'assurer que les conditions techniques et commerciales proposées par France Télécom sont d'une nature telle qu'elles permettent à des opérateurs tiers de fournir aux fournisseurs d'accès Internet des prestations équivalentes à celles proposées par France Télécom. En d'autres termes, le Conseil, recourant à de nombreux exercices de simulation, va chercher à vérifier en quoi un opérateur efficace achetant à France Télécom les prestations correspondant au "circuit virtuel" pour revendre un service équivalent à celui offert par ailleurs par France Télécom parvient ou non à dégager une marge suffisante pour faire face à ses coûts. Parce que tous les tests ont révélé l'existence d'un ciseau tarifaire, le Conseil de la concurrence a considéré que France Télécom ne s'était pas conformée à l'injonction prononcée le 18 février 2000.

Ainsi, pour le Conseil, les pratiques tarifaires de France Télécom ont eu pour effet de verrouiller le marché au détriment des opérateurs concurrents. Ce n'est qu'à partir du moment où l'Autorité de régulation des télécommunications a obtenu, fin 2002, de la part de France Télécom, un ensemble de baisses de prix que la situation a pu se débloquer ; à partir de 2003, les souscriptions à l'offre ADSL sur la base du "circuit virtuel" ont enfin pu démarrer.

Subséquemment, tout au long des années 2000 à 2002, les opérateurs tiers ont été exclus du marché naissant de la fourniture en gros des accès ADSL et, dans le même temps, les fournisseurs d'accès Internet ont dû faire face à un fournisseur - France Télécom- se maintenant artificiellement en situation de quasi-monopole pour des prestations qui représentent une part importante de leurs charges et conditionnent étroitement leur rentabilité ou les prix qu'ils sont en mesure de proposer aux consommateurs.

Au total, une sanction pécuniaire de 20 millions d'euros a été infligée à France Télécom.

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