La lettre juridique n°121 du 20 mai 2004 : Contrôle fiscal

[Jurisprudence] Majoration pour défaut de souscription de déclaration ou de présentation d'acte : de la motivation, entre certitudes et incertitudes

Réf. : CEDH, 3 juin 2003, Req. 54559/00, Jean Morel c/ France (N° Lexbase : A1833DCU)

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N1665ABB

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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau de Paris, Landwell & Associés

le 07 Octobre 2010

La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a estimé, dans une décision finale du 3 juin 2003, sur la recevabilité d'un recours d'un ressortissant français, sur l'application de la majoration d'impôt de 10 % pour défaut de souscription de déclaration, que, "tant par son taux que par son montant en valeur absolue, cette majoration" étant de faible importance, elle était "loin de revêtir l'ampleur considérable des sommes sur lesquelles la Cour s'était fondée dans l'arrêt Benedenoun pour retenir le caractère pénal de l'affaire".
Faut-il en conclure que si cette majoration avait été portée respectivement aux termes du § 3 du même article à 40 % puis 80 % suites aux mises en demeure successives de souscrire ou de présenter un acte pour la détermination de l'assiette ou la liquidation d'une imposition, la pénalité revêtirait le caractère d'une ampleur manifeste.

L'application des pénalités pour dépôt tardif de déclaration, telles que visées par l'article 1728-1 et 3 du CGI peut-elle être considérée comme une sanction devant faire l'objet d'une motivation conformément à l'article L. 80 D du LPF (N° Lexbase : L8025AEX) (1) et dans cette hypothèse la question se pose de savoir si ces sanctions infligées au contribuable redressé manque ou non de base légale, dès lors que l'article 1728 -3 du CGI, en ce qu'il ne prévoit pas la possibilité d'exercer un recours de pleine juridiction, est contraire à l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme (ci-après CESDH) (N° Lexbase : L7558AIR) (2).

1. La pénalité de 10 % doit-elle faire l'objet d'une motivation ?

L'article 1er de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations avec l'administration fiscale et le public (N° Lexbase : L8803AG7) dispose que "les décisions individuelles défavorables qui infligent une sanction" doivent être motivées.

En outre, l'article L. 80 D du Livre des procédures fiscales, issu de l'article 42 de la loi n° 86-1318 du 30 décembre 1986 a précisé que les sanctions fiscales sont réputées motivées quand "un document ou une décision adressé au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable".

Le Conseil d'Etat a eu à statuer sur ces dispositions et, par un arrêt du 21 avril 1989 (CE Contentieux, 21 avril 1989, n° 89657, David c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A0733AQ9), a jugé qu'une mise en demeure de déposer une déclaration ne pouvait emporter une motivation suffisante de la décision d'appliquer une pénalité sanctionnant le dépôt tardif d'une déclaration.

L'administration, par une note du 6 janvier 1992 (BOI n° 13 L-1-92) parfaitement opposable sur le fondement de l'article 1er du décret du 28 novembre 1983 (n° 83 -1025 N° Lexbase : L0278A3P) dès lors que cette note a été publiée au Bulletin officiel des impôts et qu'elle n'est pas contraire à la loi (cette note ne faisant que préciser les modalités pratiques d'application de l'article L. 80 D du LPF) - a pris acte de cette jurisprudence et précisé les conditions dans lesquelles la motivation de telles pénalités doit être effectuée en conformité avec la jurisprudence précitée.

A cet égard, il est précisé que "cette motivation implique l'indication :

-des références et contenu des textes prévoyant le dépôt de la déclaration ;

-des dates d'échéance initiale et résultant d'une mise en demeure ;

-de la date du dépôt effectif ;

-du taux et, si possible, des bases et du montant des pénalités".

Il est en outre précisé qu'"en cas de taxation d'office, la motivation est effectuée sur la notification elle-même".

Il y a donc lieu de considérer, qu'eu égard à la jurisprudence du Conseil d'Etat sus-mentionnée et à la doctrine administrative précitée, que ces pénalités doivent par conséquent être motivées et dans l'hypothèse où elles ne le seraient pas elles devraient être écartées.

Toutefois, il n'empêche qu'il convient de s'interroger sur le point de savoir si les sanctions infligées au contribuable ne manquent pas de base légale, dès lors que l'article 1728-1 et 3 du CGI, en ce qu'il ne prévoit pas la possibilité d'exercer un recours de pleine juridiction, serait contraire à l'article 6-1 de la CESDH.

2. L'application des pénalités est-elle contraire à l'article 6-1 de la CESDH ?

2.1. Les sanctions fiscales entrent dans le champ d'application de l'article 6 -1 de la CESDH

On rappellera que l'article 6-1 de la CESDH prévoit que "toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera [...] du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle".

Or, reprenant une solution déjà retenue par la Commission européenne des droits de l'homme, la CEDH a, dans un arrêt "Bendenoun", en date du 24 février 1994 (CEDH, 24 février 1994, Req. 00012547/86, Bendenoun c/ France N° Lexbase : A2994AUG), considéré que les pénalités fiscales prévues à l'article 1729 du CGI peuvent être assimilées à "une accusation en matière pénale" et que par conséquent, celles -ci entrent dans le champ d'application de l'article 6-1 de la Convention.

Le Conseil constitutionnel a également, dans une décision du 30 décembre 1982 (décision n° 82-155 DC du 30 décembre 1982 N° Lexbase : A8054ACB) assimilé les sanctions fiscales aux sanctions pénales. Pour le juge constitutionnel, les exigences découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République "ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité non juridictionnelle".

En outre, la Cour de cassation a, dans un arrêt du 29 avril 1997 (Cass. com., 29 avril 1997, n° 95-20.001, M Ferreira c/ Directeur général des impôts N° Lexbase : A2005ACA), qualifié l'amende fiscale de l'article 1840 N quater du CGI de "sanction", en faisant explicitement référence à l'arrêt de la CEDH "Bendenoun" précité. Par la suite, la Cour de cassation a eu l'occasion de préciser que la jurisprudence "Ferreira" a vocation à s'appliquer à toutes les sanctions fiscales ayant le caractère d'une punition du comportement du contribuable (v. Cass. com., 15 juin 1999, n° 98 -10.931, Directeur général des impôts c/ M Lise N° Lexbase : A9307ATU ; Cass. com., 22 février 2000, n° 97-17.822, Mme Ferrière c/ Directeur général des impôts N° Lexbase : A8716AHB ; Cass. com., 1er juillet 2003, n° 00-13.966, Directeur général des impôts c/ M. Rodolphe Gallotte N° Lexbase : A0433C9W).

De même, le Conseil d'Etat a, par son avis section "SARL Auto-Industrie Méric", en date du 31 mars 1995 (CE Contentieux, 31 mars 1995, n° 164008, Ministre du Budget N° Lexbase : A3250ANP), confirmé par la suite par l'avis "Houdmond" du 5 avril 1996 (CE Contentieux, 5 avril 1996, n° 176611, M. Houdmond N° Lexbase : A8780ANI), puis par l'avis "Fattell" du 8 juillet 1998 (CE avis, 8 juillet 1998, n° 195664, Fattell N° Lexbase : A9122AHC), reconnu un caractère quasi-pénal aux sanctions fiscales dans la mesure où "elles présentent le caractère d'une punition tendant à empêcher la réitération des agissements qu'elles visent et n'ont pas pour objet la seule réparation pécuniaire du préjudice [...], même si le législateur a laissé le soin de les établir et de les prononcer à l'autorité administrative".

Ainsi, le juge qui statue sur ces questions statue sur des accusations en matière pénale au sens de l'article 6-1 de la Convention ; il donc est soumis aux exigences de cet article.

2.2. Les pénalités prévues par l'article 1728-1 et 3 du CGI ne répondent-elles pas aux critères posés par les juridictions ?

2.2.1. Les critères de qualification

L'assimilation des pénalités fiscales aux "accusations en matière pénale" opérée par la CEDH dans l'arrêt "Bendenoun" précité est fondée sur quatre facteurs :

-en premier lieu, la majoration doit concerner "tous les citoyens en leur qualité de contribuables et non un groupe déterminé doté d'un statut particulier" ;

-en deuxième lieu, la majoration "ne doit pas tendre à la réparation pécuniaire d'un préjudice" mais vise pour l'essentiel "à punir pur empêcher la réitération d'agissements semblables" ;

-en troisième lieu, la majoration doit se fonder "sur une norme de caractère général dont le but est à la fois préventif et répressif" ;

-enfin, la majoration doit "revêtir une ampleur considérable".

Dans un arrêt en date du 21 février 1984 (CEDH, 21 février 1984, Req. 8544/79, Öztürk § 53 N° Lexbase : A5092AYA), la CEDH avait déjà précisé que l'infraction est établie par "le caractère général de la norme" et par "le but à la fois préventif et répressif de la sanction".

Dans la lignée de la jurisprudence "Oztürk" précitée, la Cour de cassation s'attache au caractère punitif de l'amende fiscale et distingue entre les pénalités fiscales qui poursuivent un but répressif et visent à empêcher la réitération des agissements concernés et celles qui ont pour objet la seule réparation pécuniaire du préjudice.

Le Conseil d'Etat a adopté la même solution lorsqu'il a recherché pour l'application de la loi du 11 juillet 1979 concernant la motivation des actes administratifs, celles des pénalités qui infligent une sanction. Ainsi, dans son arrêt d'Assemblée du 9 novembre 1988 (CE Contentieux, 9 novembre 1988, n° 68965, Grisoni N° Lexbase : A6626AP4), la Haute cour a écarté les intérêts de retard du régime des sanctions fiscales, dès lors qu'il n'ont pour seul objet de réparer un préjudice pécuniaire.

2.2.2. L'application des critères

Il apparaît que conformément aux critères de qualification dégagés par les différentes juridictions, communautaires ou nationales que les sanctions prévues par l'article 1728-1 et 3 du CGI, de par leur caractère dissuasif et répressif, doivent être assimilées à une sanction pénale et entre par conséquent dans le champ d'application de l'article 6-1 de la Convention.

A cet égard, le Conseil d'Etat a expressément reconnu l'application de l'article 6-1 de la Convention "à la contestation des majorations d'impositions infligées [...] en vertu des dispositions de l'article 1728 du CGI".

On notera que cette analyse a également été retenue par la Cour de cassation dans ses arrêts "Ferrière" du 20 novembre 2000 et "Gallotte" du 1er juillet 2003 précités. Dans ces décisions, la Cour de cassation a en effet jugé que les pénalités prévues à l'article 1728-3 du CGI constituaient "une sanction ayant le caractère d'une punition".

Or, la qualification de ces pénalités fiscales en sanctions pénales, ces dernières entrant dans le champ d'application de l'article 6-1 de la CESDH, entraîne l'application d'un régime spécifique, basé sur un principe de proportionnalité, ce qui suppose notamment la possibilité pour le requérant d'exercer un recours de pleine juridiction.

2.3. Ces pénalités peuvent-elles être écartées en raison de l'absence de recours de pleine juridiction ?

L'arrêt de la Cour de cassation "Ferreira" précité a consacré l'exigence formulée par l'arrêt Bendenoun au terme duquel une sanction fiscale "pénalisée" doit pouvoir faire l'objet d'un recours "devant un tribunal offrant les garanties" de l'article 6-1 de la Convention.

Pour le juge européen, seul mérite l'appellation de "tribunal" au sens de l'article 6-1 de la Convention précitée, "un organe judiciaire de pleine juridiction" selon la terminologie utilisée par la Cour, dans son arrêt Albert et Lecompte du 10 février 1983 (CEDH, 10 février 1983, Req. 7299/75, Albert et Le Compte c/ Belgique, § 29 N° Lexbase : A3824AU8). Cela suppose que soit exercé un contrôle complet de légalité et que le juge national soit compétent "pour des points de fait comme pour les questions de droit" (CEDH, 21 septembre 1993, Req. 12235/86, Zumtobel c/ Autriche N° Lexbase : A1832DCT), ce qui implique qu'il ait compétence pour "examiner l'ensemble des faits de cause" et qu'il détienne "le pouvoir de réformer en tous points, en fait comme en droit, la décision qui a été prise" (CEDH, 23 octobre 1995, Req. 33/1994/480/562, Gradinger c/ Autriche N° Lexbase : A8370AWW).

En l'espèce, il convient de constater que le contribuable ne dispose pas d'un recours de pleine juridiction qui permette à un tribunal de se prononcer sur le principe et le montant d'une sanction. Par conséquent, l'application de l'article 1728-1 et 3 du CGI doit être dans cette mesure écartée comme violant l'article 6-1 de la Convention.

On ajoutera qu'il apparaît que, à ce jour, le pouvoir de modération des sanctions fiscales demeure le privilège de l'administration dans le cadre de sa juridiction gracieuse. Si la décision administrative refusant une remise ou une modération gracieuse peut être déférée par la voie du recours pour excès de pouvoir au juge administratif, ce dernier ne pouvant en tout état de cause n'exercer qu'un contrôle restreint, ce recours ne peut en aucun cas se substituer à l'appréciation du juge sur la proportionnalité de la peine par rapport à la finalité répressive poursuivie.

Ainsi, pour les raisons de fait et de fond ci-avant exposées, il ne peut qu'être considérer que l'application des pénalités de l'article 1728 1 et 3 est dépourvue de base légale.

Toutefois, s'il devait être considéré qu'il n'y a pas lieu d'écarter l'application de l'article 1728-1 et 3 du CGI, peut-il y avoir modulation de cette pénalité en considération du comportement du requérant, afin de se conformer aux dispositions de l'article 6-1 de la Convention précitées.

2.4. la pénalité de l'article 1728 1 et 3 peuvent-elles faire l'objet d'une modulation ?

Selon la Cour de cassation (v. notamment l'arrêt "Ferrière" et "Gallotte" précités), si les textes sur lesquels l'application des sanctions fiscales violent l'article 6-1 de la CESDH et doivent par conséquent être écartés (tel l'article 1840 N quater du CGI, elle considère également que cet article impose au juge de se reconnaître un pouvoir de modulation des sanctions fiscales. Cette analyse est d'une grande équité et procède d'une stricte application de cette disposition.

Pour autant, sur ce sujet, le Conseil d'Etat demeure d'une grande fermeté et s'oppose à une telle idée (Avis "Fattell" du CE, précité). Mais, comme l'a noté J. Arrighi de Casanova dans ses conclusions sur l'avis "Houdmond", "le débat n'est pas nécessairement clos sur ce point". Il ajoute qu'"on ne peut [...] exclure que la Cour [EDH...] vienne un jour à déduire de l'article 6 que le juge de la sanction administrative doit pouvoir la moduler librement à l'intérieur d'un simple plafond".

Or, à cet égard, on mentionnera que la jurisprudence de la CEDH évolue vers une conception stricte de la notion de plénitude de juridiction. Ainsi, dans l'arrêt Schmautzer c/Autriche précité en date du 23 octobre 1996, elle a exigé du tribunal amené à statuer sur des accusations en matière pénale qu'il soit investi du "pouvoir de réformer en tous points, en fait comme en droit" la sanction appliquée.

En outre, le tribunal administratif de Strasbourg a, dans un jugement du 8 décembre 1994, Simon, ouvert la voie. Il a en effet jugé que, eu égard à l'article 6-1 de la Convention, "il revient au juge administratif d'apprécier si la sanction résultant de l'article 1729 [...] du CGI, dont les dispositions doivent dès lors être interprétées comme édictant le taux maximum de la peine encourue, n'est pas proportionné au regard de la gravité des agissements relevés".

On ajoutera également que des juridictions étrangères, saisies de litiges relatifs à des pénalités fiscales très analogues à celles que comporte le Code général des impôts, ont adopté des positions identiques en se fondant également sur la CESDH (v. notamment, la cour d'appel de Liège, qui a, dans un arrêt du 10 septembre 1986 - mentionné par D. Yernault dans ses observations sous l'arrêt "Bendenoun" parues à la RTDH, n° 23, p. 423 s. - recherché, dans un tel litige, l'existence éventuelle de circonstances atténuantes).

Dans l'attente d'une très spectaculaire et très valorisante application de l'article 6-1 de la CESDH, le débat sur ce sujet reste largement ouvert.

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