La lettre juridique n°121 du 20 mai 2004 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Amélioration du droit syndical dans l'entreprise : engagement unilatéral de l'employeur et principe d'égalité

Réf. : Cass. soc., 5 mai 2004, n° 03-60.175, M. Stilianos Padelidakis c/ Banque nationale de Grèce, F-P+B (N° Lexbase : A0607DCH)

Lecture: 7 min

N1630ABY

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Amélioration du droit syndical dans l'entreprise : engagement unilatéral de l'employeur et principe d'égalité. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3206872-jurisprudence-amelioration-du-droit-syndical-dans-lentreprise-engagement-unilateral-de-lemployeur-et
Copier

le 07 Octobre 2010

L'arrêt rendu le 5 mai 2004 par la Chambre sociale présente une importance considérable en ce qu'il apporte à la fois une confirmation et une précision au regard de la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation : confirmation s'agissant du nécessaire respect du principe constitutionnel d'égalité en matière de représentation collective, et précision relativement à la possibilité d'améliorer les dispositions légales relatives au droit syndical dans l'entreprise, par l'effet d'un engagement unilatéral de l'employeur.
Décision

Cass. soc., 5 mai 2004, n° 03-60.175, M. Stilianos Padelidakis c/ Banque nationale de Grèce, F-P+B (N° Lexbase : A0607DCH)

Cassation de TI Paris, 11 mars 2003

Droit syndical ; délégué syndical ; amélioration des dispositions légales ; engagement unilatéral de l'employeur, principe constitutionnel d'égalité

Textes : C. trav., art. L. 412-2 (N° Lexbase : L6327ACC) ; Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, al. 6 (N° Lexbase : L6815BHU) ; Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, art. 1 (N° Lexbase : L1365A9G), 5 (N° Lexbase : L1369A9L) et 6 (N° Lexbase : L1370A9M).

Faits

Pour annuler la désignation d'un délégué syndical, le tribunal d'instance saisi avait indiqué que les défendeurs, qui alléguaient la présence de 50 salariés dans l'entreprise au sens de l'article L. 412-11 du Code du travail (N° Lexbase : L6331ACH), ne versaient aucune pièce à l'appui de leur affirmation. En outre, les juges du fond avaient énoncé que le défaut de contestation d'une autre désignation ne suffisait pas à écarter la demande de l'employeur fondée sur le texte précité.

Solution

1. "Le principe d'égalité, qui est de valeur constitutionnelle et que le juge doit appliquer, interdit à l'employeur de refuser la désignation d'un délégué syndical par un syndicat représentatif au motif que l'effectif est inférieur à cinquante salariés, dès lors qu'il a accepté la désignation dans les mêmes conditions d'un délégué syndical par un autre syndicat représentatif".

2. "En statuant comme il l'a fait, alors qu'il n'était pas contesté que l'employeur venait d'accepter la désignation de deux délégués syndicaux qui n'étaient pas délégués du personnel, malgré un effectif inférieur à cinquante salarié, le tribunal d'instance a violé le principe susvisé".

Commentaire

1. Portée d'un engagement unilatéral de l'employeur en matière de représentation des salariés

Le Code du travail admet, de manière expresse, qu'une convention ou un accord collectif de travail puisse comporter des dispositions plus favorables que la loi en matière de représentation des salariés (C. trav., art. L. 412-21 N° Lexbase : L6341ACT pour les délégués syndicaux, L. 426-1 N° Lexbase : L5329ACD pour les délégués du personnel, L. 434-12 N° Lexbase : L6444ACN pour le comité d'entreprise et L. 236-13 N° Lexbase : L6027AC9 pour le CHSCT) (1). La lecture des dispositions qui viennent d'être citées conduit à souligner que la loi ne vise que les clauses plus favorables contenues dans des conventions et accords collectifs de travail. Pour autant, et ainsi que le relèvent certains auteurs, "la même capacité d'amélioration des standards légaux doit, en principe, être reconnue aux autres sources du statut collectif, notamment aux usages" (J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 21ème éd., 2002, §. 585). La Chambre sociale ne semblait cependant pas partager cet avis -au demeurant justifié- considérant que si le nombre de délégués syndicaux, tel qu'il est fixé par la loi, peut être augmenté par accord collectif à la suite d'une négociation avec les syndicats représentatifs, ni un usage de l'entreprise, ni un engagement unilatéral de l'employeur ne peuvent modifier les dispositions légales correspondantes (Cass. soc., 20 mars 2001, n° 99-60.496, Union départementale des syndicats confédérés CGT des Hautes-Pyrénées c/ Société Actalim et autres N° Lexbase : A1250ATH, Dr. soc. 2001, p. 568, note J. Savatier).

On avait pu déduire de cette jurisprudence qu'une norme atypique ne pouvait modifier les dispositions légales relatives à la représentation des salariés, une telle possibilité étant réservée à la seule norme conventionnelle (V. toutefois le commentaire plus mesuré de Jean Savatier). Une telle analyse s'avère en définitive erronée, au regard de la solution retenue dans l'arrêt commenté, qui constitue sans doute moins un revirement de la part de la Cour de cassation qu'une précision de sa jurisprudence antérieure.

Si la décision ne comporte pas une affirmation expresse en ce sens, il y a néanmoins lieu de constater que la Chambre sociale admet que des délégués syndicaux puissent être désignés, alors que l'effectif de l'entreprise est inférieur à 50 salariés, dès lors que l'employeur l'accepte. C'est reconnaître par là-même que les dispositions légales puissent être améliorées en vertu d'un engagement unilatéral de l'employeur ou d'un usage.

Cela étant, et c'est là que la solution de l'arrêt du 5 mai 2004 rejoint celle de la décision du 20 mars 2001 précitée, une telle faculté ne peut être admise qu'à la stricte condition, rappelée par la Chambre sociale, qu'un délégué du personnel n'ait pas été au préalable désigné en qualité de délégué syndical sur le fondement de l'article L. 412-11, alinéa 4, du Code du travail (N° Lexbase : L6331ACH) (2). Cet élément de fait sert en quelque sorte de principe de solution. Là où un délégué du personnel a été désigné en qualité délégué syndical, conformément à la loi, il ne saurait être admis qu'un syndicat n'ayant pu faire élire un délégué du personnel puisse procéder à une telle désignation, sous réserve d'une stipulation conventionnelle contraire (3). En revanche, dès lors qu'aucun délégué du personnel n'a été désigné comme délégué syndical, il doit être admis qu'un salarié n'assumant pas un mandat de délégué du personnel puisse être désigné en vertu d'une norme atypique. Une solution certes complexe, mais qui préserve les prérogatives des syndicats telles qu'elles ont été définies par la loi et auxquelles l'employeur ne saurait unilatéralement porter atteinte.

2. Amélioration des dispositions légales relatives à la représentation des salariés et principe constitutionnel d'égalité

Aux termes de l'article L. 412-2 du Code du travail (N° Lexbase : L6327ACC), "le chef d'entreprise ou ses représentants ne doivent employer aucun moyen de pression en faveur ou à l'encontre d'une organisation syndicale quelconque". Ce texte fondamental, qui interdit au premier chef toute discrimination entre syndicats, constitue, ainsi qu'il a été à juste titre souligné, "un simple relais du principe d'égalité" (4), dont la Cour de cassation rappelle expressément dans la présente espèce qu'il a valeur constitutionnelle et qu'il doit être appliqué par le juge. En conséquence, un employeur se doit d'accorder les mêmes prérogatives aux syndicats présents dans l'entreprise et ne peut notamment, pour en revenir au cas d'espèce qui nous intéresse, refuser la désignation d'un délégué syndical par un syndicat représentatif, au motif que l'effectif est inférieur à 50 salariés, alors qu'il a accepté la désignation dans les mêmes conditions d'un délégué syndical par un autre syndicat représentatif.

Certains ne manqueront pas de relever l'évidence d'une telle solution. D'autant plus que, dans une précédente décision, la Cour de cassation avait condamné, sur le même fondement, la clause conventionnelle réservant le bénéfice d'une subvention de fonctionnement aux seuls syndicats signataires de l'accord (Cass. soc., 29 mai 2001, n° 98-23.078, Union nationale des syndicats CGT-Cegelec c/ Société Cegelec et autres, publié N° Lexbase : A4696AT4, Dr. soc. 2001, p. 821, note G. Borenfreund ; D. 2002, p. 34, note F. Petit). On ne peut manquer de souligner la similitude entre ces deux arrêts, singulièrement au regard du riche visa qui les accompagne, la Chambre sociale n'hésitant pas à viser, outre l'article L. 412-2 du Code du travail (N° Lexbase : L6327ACC), l'alinéa 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L6815BHU) et les articles 1 (N° Lexbase : L1365A9G), 5 (N° Lexbase : L1369A9L), 6 (N° Lexbase : L1370A9M) de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Il ne faisait aucun doute que ce qui avait été décidé pour une clause conventionnelle devait valoir pour un engagement unilatéral de l'employeur. Il est désormais très clair que "les relations entre l'employeur et les syndicats représentatifs doivent se développer sous l'égide du principe d'égalité, quelle que soit la voie que celles-ci empruntent" (G. Borenfreund, op. cit., p. 826). Cela étant, on persiste à penser que la Cour de cassation fait fausse route, s'agissant à tout le moins des avantages conventionnels réservés aux syndicats signataires de l'acte collectif (V. notre chronique, La convention collective est-elle encore un contrat ? : Lexbase Hebdo, n° 40 du jeudi 26 septembre 2002 - édition sociale N° Lexbase : N4046AA4). Si le principe d'égalité exige que tous les syndicats représentatifs soient convoqués à la négociation, accorder le bénéfice des avantages conventionnels aux syndicats non-signataires revient à nier la nature contractuelle de la convention ou de l'accord collectif. Remarque qui prend un relief encore plus grand avec la généralisation du principe majoritaire par la loi du 4 mai 2004 sur la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social (Loi n° 2004-391, 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social N° Lexbase : L1877DY8).

Gilles Auzero
Maître de conférences à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) Si, sur le fondement de ces textes, la législation relative aux représentants du personnel peut faire l'objet d'améliorations conventionnelles, ce n'est cependant que dans une certaine mesure, certaines dispositions légales conservant notamment un caractère d'ordre public, interdisant toute dérogation. V., sur cette question, notre chronique, Les aménagements à la législation relative aux représentants du personnel : quels pouvoirs pour quels acteurs ? : Lexbase Hebdo n° 64 du jeudi 27 mars 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N6638AA4). De manière plus générale, v. notre thèse : Les accords d'entreprise relatifs à la représentation du personnel et au droit syndical : Bordeaux IV, 1997.

(2) "(...) il n'était pas contesté que l'employeur venait d'accepter la désignation de deux délégués syndicaux, qui n'étaient pas délégués du personnel, malgré un effectif inférieur à cinquante salariés (...)" (souligné par nous).

(3) On peut en outre avancer que, s'agissant d'un accord d'entreprise ou d'établissement, celui-ci devrait de ce point de vue avoir recueilli l'accord unanime des syndicats représentatifs.

(4) G. Borenfreund, Les syndicats bénéficiaires d'un accord collectif : Dr. soc. 2001, p. 821.

newsid:11630

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus