Réf. : Ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004 portant simplification du droit et des formalités pour les entreprises (N° Lexbase : L4315DPI)
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N1232ABA
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par Jean-Philippe Dom, Maître de conférences à l'Université de Caen
le 07 Octobre 2010
Section 1 : Le financement
Outre l'aménagement de la demande de remboursement des apporteurs (5) en cas de défaut de constitution de la SARL dans un délai de six mois à compter du premier dépôt de fonds, ou si elle n'est pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés dans le même délai (C. com., art. L. 223-8), l'amélioration du financement des SARL se fait de façon notable à deux points de vue. En premier lieu, le législateur offre la faculté à ces sociétés de recourir à l'émission d'emprunts obligataires (6). En second lieu, il les autorise à élargir la répartition du capital social jusqu'à cent associés (7).
§ 1 L'émission d'emprunts obligataires
Tout en maintenant la prohibition du recours à l'appel public à l'épargne dans les SARL (C. com. art. L. 223-11 N° Lexbase : L5836AIY), le législateur permet maintenant à cette forme de société d'émettre des emprunts obligataires. Jusqu'alors, les SARL ne pouvaient pas émettre de titres négociables (C. com., art. L. 223-12 N° Lexbase : L5837AIZ pour les parts sociales) ; dorénavant, il en va différemment, l'obligation étant, par nature, un tel titre (C. com., art. L. 228-38 N° Lexbase : L9913DNH). Cette faculté d'émettre des obligations est accordée par l'article L. 223-11 du Code de commerce. Ce texte définit les conditions et le régime de l'émission et renvoie au droit commun des obligations pour préciser le statut des obligataires.
A - Les conditions de l'émission
Deux conditions sont requises pour qu'une SARL puisse émettre des obligations :
Selon nous, ces deux conditions sont cumulatives, mais il n'est pas nécessaire qu'un commissaire aux comptes ait été désigné pendant les trois derniers exercices approuvés pour que l'émission puisse avoir lieu.
Suivant la première condition, la société doit être tenue de désigner un commissaire aux comptes. L'émission d'obligations ne peut donc pas être envisagée lorsqu'un commissaire aux comptes est nommé conventionnellement par la société. Aux termes de l'article L. 223-35 du Code de commerce, les associés ont l'obligation de désigner un commissaire lorsque la société dépasse, à la clôture de l'exercice social, deux des trois seuils suivants, déterminés par l'article 12 du décret n° 67-236 du 23 mars 1967 ([LXB=L2353AHM ]) :
Suivant la seconde condition, les comptes des trois derniers exercices de douze mois doivent avoir été régulièrement approuvés. Cette condition distingue nettement les SARL des sociétés par actions. Pour ces dernières, depuis la loi n° 2001-420, du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques, il n'est plus nécessaire à une société par actions d'avoir au moins deux années d'existence et d'avoir approuvé deux bilans pour émettre des obligations (C. com., art. L. 228-39 N° Lexbase : L6214AIY). En effet, avant que deux bilans régulièrement approuvés aient été établis par la société, l'émission est possible, mais elle doit être précédée d'une vérification de l'actif et du passif dans les mêmes conditions que s'il y avait un apport en nature (C. com., art. L. 228-39, al. 1er qui renvoie à C. com., art. L. 225-8 N° Lexbase : L5879AIL et L. 225-10 N° Lexbase : L5881AIN).
Les exercices doivent être de douze mois, on ne peut prendre en considération des exercices écourtés, et doivent avoir été approuvés par l'assemblée générale annuelle des associés.
B - Le régime de l'émission
L'émission d'obligations est décidée par l'assemblée générale des associés "conformément aux dispositions applicables aux assemblées générales d'actionnaires". Ce renvoi sans précision au droit des sociétés par actions peut laisser quelque peu perplexe l'interprète.
En effet, on pourrait au premier abord considérer que ce renvoi très imprécis désigne en réalité les articles L. 228-40 (N° Lexbase : L6215AIZ) et L. 228-41 (N° Lexbase : L6216AI3) du Code de commerce qui précisent que seule l'assemblée a qualité pour décider ou autoriser l'émission d'obligations et précise les modalités d'une délégation aux organes de direction. Cependant, ces textes voient leur application expressément exclue par l'article L. 223-11, alinéa 2.
Dès lors, il faut considérer que l'on est en présence d'un renvoi implicite à l'article L. 225-100, alinéa 5, du Code de commerce (N° Lexbase : L5971AIY) suivant lequel l'assemblée générale ordinaire des actionnaires d'une société anonyme "autorise les émissions d'obligations".
Au cas particulier, on peut s'interroger sur l'utilité d'un tel renvoi. D'une part, l'émission d'obligations est en effet un acte d'emprunt. Celui-ci ne tend pas à modifier les statuts et ne requiert, comme tel, qu'une décision prise par la majorité des associés. D'autre part, on se gardera bien de sombrer dans un bien inutile "juridisme" tendant à voir dans ce renvoi une exigence du législateur de se conformer, dans les SARL, aux conditions d'information des actionnaires, de déroulement et de vote de l 'assemblée par référence au droit des sociétés anonymes. Les assemblées de SARL ont leur propre régime (C. com., art. L. 223-26 et s. N° Lexbase : L5851AIK), il ne saurait être question que celui des SA s'y trouve substitué.
La société doit mettre à la disposition des souscripteurs une notice relative aux conditions de l'émission et un document d'information selon les modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. Ces éléments seront destinés à éclairer le consentement des prêteurs.
Enfin, à moins que l'émission ne soit faite par une société de développement régional ou que l'on soit en présence d'une émission d'obligations bénéficiant de la garantie subsidiaire de l'Etat, il est interdit à une société à responsabilité limitée de garantir une émission de valeurs mobilières. La sanction est celle de la nullité de la garantie. La différence est ici remarquable avec l'article L. 225 -100 du Code de commerce qui donne à l'assemblée générale des actionnaires le pouvoir de constituer les sûretés particulières à conférer aux emprunts obligataires.
C - Le statut des obligataires
Les obligations détenues sont nominatives. Il ne peut donc s'agir de titres au porteur. En pratique, les titres nominatifs seront inscrits sur un compte tenu par la personne morale émettrice.
Pour le reste, le droit des sociétés par actions est pleinement applicable. Les obligataires d'une SARL auront donc droit aux intérêts de l'emprunt et au remboursement du capital. Ils bénéficieront de protections spéciales en cas de procédure collective affectant la société. Chaque emprunt donnera lieu à la création d'une masse des obligataires dotée de la personnalité juridique. Celle-ci assurera de façon collective la protection des obligataires. Au sein de la masse, chaque obligataire disposera d'un droit d 'information et d'un droit de vote. La masse ne donnera qu'un avis sur les opérations capables de nuire indirectement à la condition des obligataires : en cas de fusion, de transformation ou de scission par exemple. La société pourra passer outre cet avis. Cependant, en ce cas, elle devra rembourser les obligataires qui le souhaiteront dans un délai de trois mois. Sauf à l'unanimité, elle ne peut pas accroître les charges des obligataires, ni établir un traitement inégal entre les obligataires d'une même masse.
§ 2 L'élargissement à cent du nombre des associés
L'ordonnance a également modifié l'article L. 223-3 du Code du commerce (N° Lexbase : L5828AIP), en augmentant, notamment, le nombre maximal d'associés qui passe de cinquante à cent. Cette modification des caractéristiques s'inscrit dans une volonté du législateur de simplifier le fonctionnement de la SARL. La sanction qui découle du dépassement de ce seuil a également été assouplie. Désormais, en cas de dépassement, les associés ont un an au lieu de deux auparavant, pour revenir au seuil légal du nombre d'associés ou pour transformer la société dans la forme sociale la plus adaptée, à défaut la société est dissoute. La société n'a plus à être transformée obligatoirement en société anonyme, bien que certains auteurs suggéraient déjà qu'il était possible d'adopter une autre forme sociale (société en commandite simple ou par actions) (7), les associés décidant de la nouvelle forme sociale.
Les discussions autour de la limitation du nombre d'associés de la SARL ne sont pas nouvelles. Le sénateur Marini, dans son rapport au Premier ministre, en 1996, avait proposé d'abroger l'article L. 223-3 du Code de commerce afin de supprimer le plafond légal du nombre d'associés. Selon le sénateur, "cette disposition est de nature à constituer un frein à l'investissement mais aussi à gêner des sociétés qui, bien qu'ayant conservé un caractère familial, ont vu leur capital se diluer au fil du temps" (8). Il faut souligner que cette idée n'est pas récente, dans la loi du 7 mars 1925 d'inspiration allemande, qui a introduit la société à responsabilité limitée dans la législation française, aucune limitation du nombre maximal d'associés n'était imposée. Celle-ci a été introduite par l'article 36 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 (N° Lexbase : L6226AH3), le plafond ayant été fixé à cinquante.
Ainsi, le législateur n'a pas totalement suivi la proposition de suppression du plafond légal, mais l'a augmenté à cent. On peut s'interroger sur l'intérêt d'une telle limitation. En effet, on peut douter de la conservation du caractère intuitu personae de la société avec un maximum de cent associés, argument pourtant avancé par le législateur (9). Néanmoins, avec cette augmentation de seuil, l'objectif principal est que la société obtienne un financement supplémentaire avec l'entrée de nouveaux associés. Les sociétés à responsabilité limitée qui aspirent à se développer, mais qui étaient limitées par le nombre maximal d'associés et qui ne souhaitaient pas se transformer en société anonyme en raison de la lourdeur de son fonctionnement, pourront désormais recueillir les investissements nécessaires à leur expansion par l'entrée de nouveaux associés.
De plus, l'augmentation du nombre d'associés aura un impact par rapport au fonctionnement de la société, également modifié par le changement des formalités des parts sociales (voir infra). En effet, celle-ci pourra permettre de "diluer" certains associés minoritaires.
La modification de l'article L. 223-3 du Code du commerce aura donc, des répercussions sur la vie sociale de la SARL.
Section 2 : Le gérant
Les nouveaux textes modifient le statut et le domaine de compétence du gérant de SARL (11).
§ 1 Le statut
D'une part, afin d'éviter tout risque de blocage institutionnel, en cas de décès du gérant unique, le commissaire aux comptes ou tout associé convoque l'assemblée des associés à seule fin de procéder au remplacement du gérant.
D'autre part, le gérant peut être révoqué par décision des associés dans les conditions de l'article L. 223-29 du Code de commerce (N° Lexbase : L5854AIN). Comme auparavant, il faut donc, sur première convocation, qu'une décision soit prise par un ou plusieurs associés représentant plus de la moitié des parts sociales. Mais, ce que ne permettait pas l'ancienne rédaction de l'article L. 223-25 du Code de commerce ([LXB=L5850AII ]), sur deuxième convocation, il suffit qu'une majorité simple se dégage, sans condition de quorum. Les statuts peuvent, en outre, prévoir une majorité plus forte. Les associés vont donc pouvoir définir beaucoup plus librement qu'auparavant les modalités d'adéquation entre la majorité d'entre eux et leur représentation auprès des tiers. Ont ainsi disparu les rigidités de l'ancien texte qui réputait non écrite toute clause contraire au principe de révocation par décision des associés représentant plus de la moitié des parts sociales.
Dans le prolongement de cette mesure, lorsqu'un gérant statutaire cesse ses fonctions quelles que soient les raisons de cette cessation, il est possible à l'assemblée générale de la SARL de supprimer la mention de son nom dans les statuts (C. com., art. L. 223-18, al. 2). Cette mesure devrait permettre non seulement de toiletter nombre de statuts devenus sans rapport avec la réalité, mais aussi de favoriser une meilleure information des tiers.
§ 2 Le domaine de compétence
Le législateur favorise d'ailleurs la mise en adéquation des statuts de ces sociétés avec les dispositions impératives de la nouvelle réglementation en permettant au gérant de procéder à cette mise en harmonie (C. com., art. L. 223-18 in fine), sous réserve d'une ratification par l'assemblée des associés statuant en matière extraordinaire (C. com., art. L. 223-30 N° Lexbase : L5855AIP).
De façon plus anecdotique, c'est dorénavant également au gérant qu'il reviendra de décider du déplacement du siège social dans le même département ou dans un département limitrophe, l'assemblée des associés devant ratifier cette décision dans les mêmes conditions que précédemment (C. com., art. L. 223-18 in fine).
Section 3 : La transmission des parts
La réforme fait évoluer la transmission des parts sociales (12). Sont concernées la transmission par voie de succession, la transmission par voie de cession et le régime de l'agrément.
§ 1 La transmission par voie de succession
Alors que jusqu'à présent il n'était pas possible de procéder à la désignation statutaire du successeur d'un ou de plusieurs associés de SARL, la réforme permet dorénavant une telle désignation dans des termes qui ne vont pas sans rappeler ceux que connaissent les associés de société en nom collectif (C. com., art. L. 221-15 N° Lexbase : L5811AI3).
Désormais, les statuts peuvent stipuler qu'en cas de décès de l'un des associés la société continuera avec son héritier ou seulement avec les associés survivants. Lorsque la société continue avec les seuls associés survivants, ou lorsque l'agrément a été refusé à l'héritier, celui-ci a droit à la valeur des droits sociaux de son auteur (C. com., art. L. 223-13).
Il peut aussi être stipulé que la société continuera, soit avec le conjoint survivant, soit avec un ou plusieurs des héritiers, soit avec toute autre personne désignée par les statuts ou, si ceux-ci l'autorisent, par dispositions testamentaires. Lorsque la société continue dans ces conditions, la valeur des droits sociaux attribués aux bénéficiaires de cette stipulation est rapportée à la succession.
Dans les cas prévus au présent article, la valeur des droits sociaux est déterminée au jour du décès conformément à l'article 1843-4 du Code civil (N° Lexbase : L2018ABD).
De telles conventions statutaires constituent des pactes sur succession future. Pour autant, ces conventions sont valables car elles dérogent au principe de prohibition édicté par l'article 1130 du Code civil (N° Lexbase : L1230AB8).
§ 2 La transmission à titre onéreux
En cas de cession des parts sociales à des tiers étrangers à la société, était requis, auparavant, le consentement de la majorité des associés représentant au moins les trois quarts des parts sociales. A l'avenir, à moins que les statuts prévoient une majorité plus forte, il suffira du consentement de la majorité des associés représentant au moins la moitié des parts sociales (C. com., art. L. 223-14).
§ 3 Le régime de l'agrément
On sait que les parts sociales sont librement transmissibles par voie de succession ou en cas de liquidation de communauté de biens entre époux et librement cessibles entre conjoints et entre ascendants et descendants (C. com., art. L. 223-13, al. 1er). Initialement, les statuts pouvaient contenir des modalités d'agréments différentes de celles que connaissent les transmissions à titre onéreux. Tel n'est plus le cas. A l'avenir, les conditions de l'article L. 223-14 s'appliquent aussi en matière de transmission à titre gratuit. De façon incidente, on notera que le maintien, dans l'article L. 223-13, de différentes références à l'article L. 223-14 est donc devenu redondant. Le régime de l'agrément est ainsi unifié.
En réalisant cette unification, le législateur en a profité pour tenir compte de la jurisprudence qui reconnaissait un droit de repentir au cédant dont le cessionnaire n'avait pas été agréé (voir notamment, Cass. com., 27 octobre 1992, n° 90-20.963, Beaunez c/ Epoux Deguitre et autres N° Lexbase : A2153AGT ; Dr . sociétés 1992, comm. 257, note Le Nabasque). C'est ainsi que, suivant les nouveaux termes de l'article L. 223-14, alinéa 3, "si la société a refusé de consentir à la cession, les associés sont tenus, dans le délai de trois mois à compter de ce refus, d'acquérir ou de faire acquérir les parts à un prix fixé dans les conditions prévues à l'article 1843-4 du Code civil, sauf si le cédant renonce à la cession de ses parts. Les frais d'expertise sont à la charge de la société. A la demande du gérant, ce délai peut être prolongé par décision de justice, sans que cette prolongation puisse excéder six mois".
La section 4 relative au mouvement de dépénalisation du droit des sociétés fera l'objet d'un prochain développement.
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