La lettre juridique n°116 du 15 avril 2004 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Cheval dressé, cheval d'occasion

Réf. : CJCE, 1er avril 2004, aff. C-320/02, Förvaltnings AB Stenholmen c/ Riksskattever ket (N° Lexbase : A6540DBT)

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N1268ABL

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par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA

le 07 Octobre 2010


Des animaux vivants en général et des chevaux en particulier peuvent-ils être considérés comme des biens d'occasion lorsqu'ils sont revendus par un assujetti qui les a acquis pour les revendre? La question ne se pose pas à l'égard des animaux inscrits en comptabilité comme un moyen d'exploitation destiné à rester durablement dans l'exploitation. En effet, outils de production au même titre qu'un matériel de fabrication, leur qualité de biens usagés ne fait aucun doute. Leur éventuelle revente relève de la TVA si leur acquisition a donné lieu à déduction de la TVA ayant grevé le prix d'achat (6ème directive TVA, art. 20-2 et s. N° Lexbase : L9279AU9 transposé sous CGI, art. 261-3-1°a, al. 2 N° Lexbase : L4596AAH). S'agissant des animaux non immobilisés, achetés en vue de leur revente auprès d'une personne non habilitée à facturer de la TVA, sans application d'une exonération légale, le revendeur s'expose-t'il à la TVA sur le prix total ou sur la marge? Le dressage peut-il influencer la qualification de bien d'occasion dont la cession relève de la TVA sur la marge ? A cette question, la CJCE vient d'apporter, le 1er avril 2004, la réponse suivante : d'une part, "les animaux vivants peuvent être considérés comme des biens d'occasion au sens [de l'article 26 bis de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977]" ; et d'autre part, "peut ainsi être considéré comme un bien d'occasion au sens de cette disposition un animal acheté à un particulier (autre que l'éleveur), qui est revendu après avoir été dressé pour une utilisation spécifique". L'article 26 bis, A, d de la 6ème directive définit les biens d'occasion comme "les biens meubles corporels susceptibles de remploi, en l'état ou après réparation". En sorte que si le dressage d'un animal ne le transforme pas en un bien nouveau, cette intervention sur un animal devenu bien d'occasion (1) équivaut à une réparation (2).

1. L'animal devenu un bien d'occasion

Une société envisageait d'acheter de jeunes chevaux à des particuliers, de les dresser pour en faire des chevaux de selle et de les revendre ensuite. Afin de connaître précisément les conséquences fiscales de l'activité envisagée, la société avait posé la question suivante à l'administration fiscale suédoise : "un cheval - acheté à un particulier (autre que l'éleveur) en tant que jeune cheval non formé et revendu après avoir fait l'objet d'un dressage de cheval de selle - doit-il être considéré comme un bien d'occasion au moment de la revente, ce qui permettrait d'appliquer le régime d'imposition de la marge bénéficiaire" ? Afin d'appliquer correctement la 6ème directive TVA, la cour administrative suprême suédoise a saisi la CJCE en lui posant la première question préjudicielle suivante : "un animal peut-il être considéré comme un bien d'occasion" ? La question de savoir ce que vise l'expression "biens d'occasion" ne semble pas avoir déjà été soumise à l'appréciation de la CJCE.

En langage courant, un bien d'occasion s'entend d'une chose ayant déjà servie. L'article 26 bis, A, d de la 6ème directive va dans le même sens en définissant les biens d'occasion comme "les biens meubles corporels susceptibles de remploi, en l'état ou après réparation". Le remploi présuppose une utilisation antérieure. Il s'ensuit que la qualité de bien d'occasion de l'objet en cause doit être appréciée lors de l'acquisition de ce dernier par le revendeur. Cela sous tend que le précédent propriétaire a utilisé la chose dans le cadre d'une activité professionnelle ou privée, comme une immobilisation. En l'espèce, le dresseur souhaitait acquérir des jeunes chevaux auprès de particuliers autres que des éleveurs. Le libellé de la question posée par le dresseur laisse supposer qu'il excluait de se fournir auprès d'éleveurs professionnels soumis à la TVA. Dans le cas contraire, l'intéressé aurait payé de la TVA à ses fournisseurs de jeunes chevaux et l'aurait imputée sur la TVA facturée obligatoirement sur le prix de revente de ces chevaux (le régime de taxation sur la marge est réservé aux biens achetés sans TVA, 6ème directive, art. 26 bis-B-2). En se fournissant chez des particuliers, le dresseur entendait, d'une part, ne pas supporter la TVA sur ses acquisitions et, d'autre part, acquitter la TVA sur la seule différence entre le prix de revente et le prix d'achat. Parvenir à ce but présupposait de voir qualifier les animaux revendus de biens d'occasion.

Deux hypothèses se présentent. La première vise l'acquisition d'un poulain par un particulier en tant que tel, en vue d'une jouissance personnelle, puis sa revente à un assujetti-revendeur. La deuxième hypothèse concerne la vente, par un particulier, en tant que tel, du croît d'une jument. Dans les deux cas, si le particulier n'exerce pas réellement une activité habituelle d'acheteur-revendeur ou d'éleveur, la vente occasionnelle du jeune cheval échappe à la TVA. Pour autant, réalise t'il une vente d'un bien d'occasion ? En qualité de particulier, il ne tient pas de comptabilité. Aussi, est-il impossible de distinguer, parmi ses biens, les choses corporelles immobilisées (usagées), des biens corporels neufs ou d'occasion destinés à la commercialisation. S'agissant d'un particulier, ses biens ne peuvent qu'être destinés qu'à son usage personnel. Aussi, la seule présence du poulain dans le patrimoine du particulier avant sa revente permet d'admettre qu'il s'agit d'une cession de bien usagé.

Cette analyse permet surtout d'atteindre l'objectif assigné au régime des assujettis-revendeurs : éviter des distorsions de concurrence entre les assujettis dont l'activité porte sur l'achat et la revente de biens d'occasion (§ 8 et 25). Le risque d'inégalité existe dans la mesure où celui qui n'a pas récupéré la TVA lors de l'acquisition initiale tente de l'inclure dans le prix de revente au détriment de l'acquéreur du bien usagé. En effet, si l'assujetti-revendeur peut récupérer la TVA supportée lors de son achat par imputation sur la TVA due sur le prix de revente, la TVA non facturée mais incluse dans le prix d'achat n'est pas récupérable. Le raisonnement ne vaut que si l'assujetti-revendeur ne se trouve pas en situation de négocier un prix prenant en considération les conséquences de la TVA. Cette seule éventualité fait peser un risque de rupture d'égalité entre les professionnels en biens d'occasion et porte en germes une atteinte au principe de neutralité. Or, la 6ème directive TVA vise à instaurer une saine concurrence entre les opérateurs économiques. Prévenir de tels inconvénients présupposait de distinguer entre les biens usagés acquis avec TVA facturée et ceux excluant une telle facturation. Tel est l'objet de l'article 26 bis de la 6ème directive TVA, transposé en France sous les articles 297 et suivants du CGI . De plus, le système de taxation sur la marge permet de limiter l'assiette de la TVA à la valeur ajoutée, seule base d'imposition admissible pour une taxe sur la consommation. En l'espèce, cette valeur ajoutée réside dans le dressage de jeunes chevaux. La CJCE vient ainsi assimiler le dressage à la réparation d'un objet inanimé.

2. Le dressage devenu une réparation

La TVA ne frappe que la seule valeur ajoutée conférée au produit par chaque intervenant dans le cycle économique concerné. Si les règles de TVA applicables au marché des biens d'occasion ne permettaient pas de distinguer selon que la TVA est ou non déductible, une même valeur ajoutée serait définitivement imposée plusieurs fois. Illustrons par un exemple simple : soit un bien fabriqué, acquis en France pour 1 000 euros HT (1 196 euros TTC) par un professionnel, revendu en France pour 2 000 euros HT (2 392 euros TTC) à un assujetti-revendeur 13 mois plus tard puis cédé immédiatement en France à un particulier pour 3 000 euros, prix du marché TTC (2508,25 euros HT). Le premier acquéreur a acquitté et déduit 196 euros de TVA. Le second a supporté et récupéré 392 euros de TVA. Le dernier titulaire étant le consommateur final, il a versé 491,61 euros de TVA (3 000 x 16, 387 % ou 2 508,25 x 19,6 %) sans pouvoir la récupérer. Il subit définitivement la TVA frappant la valeur ajoutée, en l'occurrence : 1 000 euros (la fabrication) + 1 000 euros (la marge du 1er acquéreur) + 508,25 euros (la marge du 2e acquéreur). Conservons les mêmes prix de vente TTC en supposant que le premier acquéreur était un particulier et que l'assujetti-revendeur doit facturer la TVA sur le prix de revente. Le premier acquéreur a payé, sans la déduire, 196 euros de TVA. Le second, s'il a acquitté un prix égal à celui grevé de TVA, n'a pu imputer aucune taxe. Le dernier a définitivement supporté 491,61 euros de TVA. Comparée à la première hypothèse, cette seconde engendre un supplément de TVA ayant effectivement frappé la circulation du bien en cause de 196 euros. Cela correspond exactement au taux de la TVA appliqué à la première valeur ajoutée. En sorte que celle-ci est frappée de TVA deux fois. Le système d'imposition des assujettis-revendeurs sur la marge évite cette anomalie (§25).

S'agissant des dresseurs également assujettis-revendeurs, le maintien de ce système oblige à assimiler le dressage à une réparation. Eu égard à la définition communautaire d'un bien d'occasion, le jeune cheval revendu après dressage n'est pas une chose acquise en vue d'un remploi en l'état. Il a bénéficié d'une amélioration que la CJCE analyse comme une réparation afin de maintenir le système de taxation sur la marge. Pourtant, la réparation s'entend de la remise en état de fonctionnement. Elle doit permettre de restaurer les facultés initiales. Tel n'est pas le cas du dressage, lequel a pour but de doter l'animal d'un potentiel supplémentaire. Le dressage transforme un animal. Aussi était-il envisageable de voir la fin de ce dressage comme marquant l'acquisition d'un nouveau bien soumis au régime des livraisons à soi-même (6ème directive TVA, art. 5-7). Ce régime prévoit que les Etats membres peuvent organiser la taxation, notamment, de la transformation d'un bien professionnel pour les besoins de l'entreprise, si l'acquisition d'un tel bien auprès d'un fournisseur n'ouvre pas droit à déduction complète de la TVA facturée. La déduction étant subordonnée à l'affectation des dépenses aux opérations imposables , le dressage d'un animal stocké n'emporterait aucune taxation. En effet, si le dressage transforme l'animal non dressé en bien nouveau, sa vente par un professionnel relève de la TVA, justifiant ainsi la déduction de toute la TVA ayant grevé son prix de revient. Néanmoins, devenu bien nouveau, la cession du cheval dressé serait entièrement imposable. Le problème précédemment évoqué, relatif à la double imposition de la valeur initiale se poserait. Aussi, est-ce de bonne politique fiscale que de considérer le jeune cheval vendu par un particulier comme un bien d'occasion et de ne pas lui retirer cette qualité après son dressage ?

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