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N0625ABR
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par Chrystelle Alour, Rédactrice en droit social
le 07 Octobre 2010
Décision
Cass. soc., 11 février 2004, n° 01-46.405, M. Sacha Bloch c/ Société Arlux, publié (N° Lexbase : A2699DBL). Temps de douche, preuve de l'exécution d'une obligation, missions du CHSCT. C. civ., art. 1315 (N° Lexbase : L1426ABG). C. trav., art. R. 232-2-4 (N° Lexbase : L9483AC9). |
Faits
Plusieurs salariés d'une société utilisant, dans leurs tâches quotidiennes, une encre renfermant du plomb, demandent à l'employeur de leur verser un rappel de salaire équivalent à un quart d'heure par jour (durée moyenne du temps de douche), sur une durée de cinq ans. L'employeur refuse de leur accorder ce paiement. Le conseil de prud'hommes lui donne raison au motif, notamment, que la preuve d'une douche quotidienne n'était pas rapportée par les salariés. |
Solution
"En statuant ainsi alors qu'il n'était pas contesté que les salariés effectuaient des travaux nécessitant la prise d'une douche quotidienne, ce dont il résultait que l'employeur devait payer le temps quotidien de douche au tarif normal des heures de travail". |
Commentaire
1. Caractères de l'obligation de paiement du temps de douche Certains travaux exposent les salariés à des substances dangereuses pour leur santé. La prise d'une douche peut, dans certains cas, atténuer les conséquences de l'exposition quotidienne. C'est pourquoi le Code du travail fait obligation à l'employeur, "dans les établissements où sont effectués certains travaux insalubres et salissants et dont la liste est fixée par des arrêtés", de mettre des douches à la disposition des travailleurs. L'article indique aussi les exigences d'hygiène auxquelles ces sanitaires doivent répondre : "le local doit être tenu en état constant de propreté", ou encore "la température de l'eau des douches doit être réglable" (C. trav., art. R. 232-2-4, al. 2 N° Lexbase : L9483AC9). Comment ce temps est-il rémunéré ? On sait que le temps de travail rémunéré ne correspond pas toujours à l'exécution d'une tâche. Certains moments de la journée de travail, pendant lesquels le salarié est à la disposition de l'employeur, sans pour autant être "à l'ouvrage", sont rémunérés comme temps de travail effectif. Cette notion de temps de travail effectif désigne, en effet, toute période pendant laquelle "le salarié est à la disposition de l'employeur et doit se conformer à ses directives, sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles" (C. trav., art. L. 212-4 N° Lexbase : L5840ACB). Mais le temps de douche n'entre pas dans cette définition. La loi lui réserve un régime à part : "le temps passé à la douche est rémunéré au tarif normal des heures de travail sans être décompté dans la durée du travail effectif" (C. trav., art. R. 232-2-4, al.2 N° Lexbase : L9483AC9). L'employeur doit donc faire apparaître le paiement de ces heures distinctement sur le bulletin de salaire. A défaut, il est réputé ne pas les avoir payées. "Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver", indique le Code civil. "Réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation". C'est l'application de l'article 1315 (C. civ., art. 1315 N° Lexbase : L1426ABG) qui vaut, également en matière de paiement du salaire, des indemnités et autres accessoires. Ainsi, la Chambre sociale de la Cour de cassation décide qu'il appartient à l'employeur de justifier le paiement du salaire (Cass. soc., 13 novembre 2002, n° 00-45.963, Mme Kim Cuc Nguyen, épouse Cao c/ Mme Monique Boisset, inédit N° Lexbase : A7359A3X). Le temps de douche ne fait pas exception à ce principe. Lorsque son paiement n'apparaît pas distinctement sur le bulletin de salaire, "la rémunération est présumée n'avoir pas été versée et il appartient à l'employeur d'établir qu'il s'est acquitté de ses obligations à cet égard" (Cass. soc., 19 novembre 1996, n° 94-44.243, Société Choletaise d'abattage c/ M. Antonio Amaro et autres, inédit N° Lexbase : A9627AAS). Or, dans l'affaire du 11 février 2004, l'employeur ne fournissait pas la preuve du paiement de ces heures. Il devait donc verser aux salariés les sommes qu'ils réclamaient. Peu importait que les salariés n'aient pas eux-mêmes rapporté la preuve qu'ils avaient effectivement pris leur douche. L'obligation en cause relevait de la mission du chef d'entreprise ou d'établissement en matière d'hygiène et de sécurité. 2. Les obligations propres de l'employeur en matière d'hygiène et de sécurité Le conseil de prud'hommes avait souligné qu'à aucun moment, la question des douches n'avait été soulevée en cours de réunion du CHSCT. Pourtant, l'un des salariés demandeurs faisait partie de cette institution représentative du personnel. Bien plus, l'employeur, qui s'était empressé d'afficher l'information concernant la douche obligatoire dès l'annonce de l'action des représentants, permettait à ses salariés de quitter leur poste de travail un quart d'heure plus tôt à cet effet. Pour le conseil, l'employeur était donc manifestement de bonne foi et cela suffisait à éluder sa responsabilité. Le raisonnement de la Cour était prévisible. Elle s'oppose rigoureusement à cet aménagement des obligations de l'employeur. C'est pourquoi elle place, en visa de sa décision, l'article L. 230-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5946AC9), qui énonce une à une les obligations de l'employeur dans le domaine de l'hygiène et de la sécurité. Entre autres dispositions, ce dernier doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs de l'établissement. C'est, bien entendu, à l'employeur qu'il revenait de "donner les instructions appropriées aux travailleurs", comme le lui impose la loi (C. trav., art. L. 230-2 N° Lexbase : L5946AC9). Bien sûr, le CHSCT est investi par la loi de la mission de contribuer à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des salariés (C. trav., art. L. 236-2 N° Lexbase : L6011ACM). Mais cette mission ne saurait pour autant libérer le chef d'entreprise ou d'établissement de la législation. L'argument du conseil de prud'hommes était donc inopérant. Il va de soi que si le chef d'entreprise ne respecte pas ses obligations, lui seul doit en supporter les conséquences. Son obligation est directement liée à l'exploitation de son entreprise ainsi qu'à la propriété qu'il détient sur cette entité. Le CHSCT n'est là que pour veiller, au nom de la collectivité de travail, au respect des normes en vigueur, afin que la sécurité de chacun soit assurée. Peu importait donc également que les salariés ou le CHSCT n'aient rien réclamé pendant cinq ans. A noter, à cet égard, que l'acceptation sans protestation ni réserve d'un bulletin de paie par le travailleur ne peut valoir de la part de celui-ci renonciation au paiement de tout ou partie du salaire et des indemnités ou accessoires qui lui sont dues (Cass. soc., 15 novembre 2000, n° 98-42.137, Mme Soraya Dussaucy c/ M. Charrière et autres, inédit N° Lexbase : A9884ATA). |
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