Réf. : CA Bordeaux, 2ème ch. civ., 30 juin 2015, n° 10/05790 (N° Lexbase : A1221NM8)
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par Bernard Saintourens, Professeur à l'Université de Bordeaux, Institut de recherche en droit des affaires et du patrimoine - IRDAP
le 22 Octobre 2015
Dès lors que le refus de voter une augmentation du capital qui s'avérait indispensable à la survie de la société constitue l'une des hypothèses les plus habituelles de l'abus de minorité (2), ce point ne retiendra pas l'attention. En revanche, suscite l'intérêt la discussion menée, à l'initiative des minoritaires concernés, sur leur droit de participation à l'assemblée générale extraordinaire, chargée de se prononcer sur l'augmentation de capital, et à laquelle le mandataire ad hoc doit exercer en leur nom le droit de vote attaché aux droits sociaux qu'ils détiennent dans la société.
Prenant appui sur le principe général posé à l'alinéa premier de l'article 1844 du Code civil (N° Lexbase : L2020ABG), aux termes duquel "tout associé a le droit de participer aux décisions collectives", les minoritaires, pour contester la validité de la décision collective, relevaient qu'ils n'avaient pas été convoqués à l'assemblée générale devant se prononcer sur l'augmentation du capital et qu'ils n'avaient donc pas été en mesure de faire connaître leur point de vue à ce propos. En confirmant le jugement faisant l'objet de la voie de recours, les juges d'appel considèrent que les associés minoritaires ont bien été représentés à l'assemblée générale en cause. Ils précisent que la distinction, soulevée par les minoritaires, entre le droit de participer et le droit de voter ne se comprend que lorsqu'il y a démembrement de propriété des parts sociales. En dehors de ces cas, cette distinction serait "sans objet, voire artificielle", selon les termes employés dans l'arrêt, le droit de voter, reconnu au mandataire ad hoc, impliquant nécessairement celui de participer aux décisions collectives, en représentation des associés visés.
Le point de vue développé par les minoritaires ne nous semble toutefois pas manquer de pertinence. Si l'on entend faire de l'alinéa premier de l'article 1844 du Code civil un principe à forte intensité, justifiant que lorsqu'une personne est privée du droit de vote, tel le nu-propriétaire, le cas échéant, elle doit tout de même être en mesure de participer à l'assemblée (3), en ayant connaissance des documents utiles et en pouvant faire valoir son opinion sur le point examiné, on ne voit pas pourquoi cela ne concernerait pas l'hypothèse de l'abus de minorité. Même s'il n'exerce pas lui-même le droit de vote attaché aux titres sur lesquels il dispose de droits, l'avis de l'associé privé du droit de vote est susceptible d'influer sur l'opinion des autres associés et aboutir à orienter les votes dans un sens particulier. Il n'apparaît pas illégitime de se demander pourquoi il n'en irait pas de même en cas de nomination d'un mandataire ad hoc, faisant suite à la reconnaissance d'un abus de minorité. Les minoritaires sont privés de l'exercice du droit de vote attachés aux droits sociaux qu'ils détiennent, ce droit étant exercé par le mandataire, mais il ne serait pas inopportun qu'en participant à l'assemblée, ils précisent leur point de vue, expliquent leur vision de la décision collective soumise au vote, donnent une mesure concrète des conséquences pour eux de la décision qui pourrait être prise et, par là même, éclairent le mandataire sur les enjeux du vote. Même si le mandataire, comme cela est relevé par les juges bordelais, a reçu tous les documents utiles pour la prise de décision et est apte, par son expérience personnelle, à se faire une opinion, intervenant ponctuellement dans une société dont il ne connaît probablement pas les pratiques antérieures et la qualité des relations entre associés, il ne dispose peut-être pas de tous les paramètres affichés ou cachés de la décision à prendre.
En revenant à la formule originaire de la Cour de cassation, dans l'arrêt de 1993 précité, on remarque que le mandataire a effectivement pour mission de "représenter les associés minoritaires" à une nouvelle assemblée et de voter en leur nom dans le sens des décisions conformes à l'intérêt social, "mais ne portant pas atteinte à l'intérêt légitime des minoritaires". Certes, les minoritaires ne manqueront pas de faire connaître au mandataire leur opinion sur la décision collective en cause, mais ne serait-il pas plus clair et, en quelque sorte plus conforme au principe du contradictoire, qu'ils en fassent état lors de l'assemblée, au cours de la discussion avec les majoritaires, ce qui permettrait au mandataire de se forger un avis plus sûr et, ensuite, de voter en toute connaissance de cause ?
Même s'il procède par voie d'affirmation, l'arrêt examiné de la cour d'appel de Bordeaux mérite de retenir l'attention en ce qu'il suscite, nous semble-t-il, d'intéressantes interrogations.
(1) Cass. com., 9 mars 1993, n° 91-14.685, publié (N° Lexbase : A5690ABD) JCP éd. G, 1993, II, 448, note A. Viandier ; Rev. sociétés, 1993, p. 403, note Ph. Merle.
(2) V., toutefois, pour une appréciation au cas par cas, Ph. Merle, Sociétés commerciales, Précis Dalloz, éd. 2016, n° 665.
(3) Voir sur ce courant jurisprudentiel, P. Le Cannu et B. Dondéro, Drois des sociétés, LGDJ, 6ème éd., n° 151.
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