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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 16 Juillet 2015
A l'inverse, le 17 juin 2015, la Chambre criminelle de la Cour de cassation estimait que le prévenu qui, en sa qualité d'occupant des lieux, disposait d'un recours contre les opérations de visite en matière douanières, était irrecevable à invoquer l'irrégularité de ces opérations à l'occasion des poursuites dont il fait l'objet.
Parallèlement, la loi du 24 juin 2015 réformait l'article 226-4 du Code pénal qui désormais punit l'introduction dans le domicile d'autrui à l'aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Et, désormais, le maintien dans le domicile d'autrui à la suite d'une telle introduction, hors les cas où la loi le permet, est puni des mêmes peines.
Voilà maintenant plus de 35 ans que le droit des visites domiciliaires (accompagnées de leurs comparses téléologiques, les saisies) fait l'objet de nombre d'ajustements face aux critiques des avocats, sentinelles des droits et libertés, d'abord, des magistrats, bouches de la loi et désormais des droits fondamentaux, ensuite. Loin de nous l'idée de faire l'historique d'une procédure, avatar de la perquisition en matière pénale : il suffira de dire que la loi de 1985 sur les visites domiciliaires n'aura pas satisfait les gardiens de la propriété et de la vie privée, puisque l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales aura connu pas moins de douze versions depuis lors -dont dix depuis 2001 !-.
Mais on ne peut pas comprendre l'essence même de ce droit sans opérer une distinction fondamentale entre les différentes conceptions du domicile en question. En fait, il faut avouer que les croisades contre l'intrusion de la justice, comme de l'administration, dans nos maisons, viennent de la pauvreté linguistique française -il faut oser le dire- au regard de l'unique idiome de "domicile" ou plus communément de "maison". Si les tenants de la recherche de la vérité, du moins de la preuve sans laquelle l'incrimination tomberait, et ceux de la vie privée et du droit de propriété, deux droits fondamentaux constitutifs des libertés individuelles, se déchirent sur fond de réformes législatives ou de jurisprudences assassines, c'est bien parce qu'ils ne parlent pas le même langage, et malheureusement pas le grec -par trop élitiste paraît-il-.
On y apprendrait, alors, en lisant la République de Platon, qui a sans doute inspiré nos conceptions de la cité, de la politique et du droit, qu'en distinguant l'oikeiosis, de l'oikia et de l'oikos, tout trois s'apparentant à ce que l'on pourrait, par mesure de simplicité, appeler "maison", ces trois concepts regroupent en fait trois facettes distinctes d'une même terminologie linguistique.
La première fait référence à la maison, comme demeure matérielle où vit la maisonnée. Et finalement, Platon comme la République des temps modernes n'ont que faire, hormis le respect dû au droit de la construction et de l'urbanisme, de cet oikeiosis. Les visites domiciliaires se désintéressent volontiers du toit abritant la famille. Le droit de propriété n'est en rien inquiété, puisqu'il n'est pas cherché à y attenter.
L'oikia s'apparenterait plutôt, elle, aux relations affectives qui unissent les membres vivant derrières les mêmes murs -encore que Platon rassemble cette acceptation sous le vocable d'oikos, également-. Le péripatéticien invétéré porte, certes, un intérêt à la vie privée de la maisonnée, tout comme l'administration des temps modernes, mais de manière mesurée. L'oikia serait ainsi le versant clanique de l'oikos, la famille au sens large mais en ce qu'elle résulte de liens affectifs consolidés sur un terrain de prospérité du domaine familial. La maison est alors le lieu d'un double attachement affectif, d'un double désir possessif tourné vers les membres de la famille, d'un côté, vers la richesse accumulée dans et par l'oikos, de l'autre. Platon sépare donc l'oikia de l'oikos pour séparer la vie privée, qui doit naturellement être protégée, du caractère néfaste du repli sur soi ; comme la justice veillera à ce que la droit à la vie privée ne couvre ni exactions contraires à l'ordre public et aux bonnes moeurs, ni une secte dont les principes annihileraient la liberté individuelle des membres de la "famille". Ainsi, ni la structure, ni la nature du lien familial ne sont ici attentées par une quelconque visite domiciliaire.
Et finalement, La République épistolaire, comme la République des temps modernes se méfient de la seule acception oikos de la maison ; celle qui justifie l'intrusion, pour s'assurer que l'économie, les échanges qui y sont développés ne vont pas à l'encontre de l'intérêt collectif, en cherchant à corroborer de sérieuses présomptions de fraude, du moins de dissimulations contra legem. Pour Platon, la dimension autocentrée de la famille, non pas clanique, mais proprement économique, présente un risque pour le développement de la cité -c'est presque la condamnation de l'entente en matière de droit de la concurrence !-. Au point qu'un auteur, Etienne Helmer, écrira qu'il souhaitait l'élimination de l'oikos comme unité de production économique privée, tournée vers l'expansion et la concurrence, au profit d'une économie pensée à l'aune de la cité tout entière. Voici donc les bases du libéralisme jetées dans l'oeuvre constitutive de la démocratie occidentale ! Il s'agit, dès lors, poursuit-il, de contrer la force antipolitique de l'oikos pour le transformer en instrument d'unification de la cité juste : et pour cela, le droit moderne s'autorise quelques visites pour s'assurer que la "maison" ne recèle pas quelque secret -désir de richesse pour Platon- contraire au droit économique (essentiellement) et donc à l'intérêt de la cité toute entière. Au final, la visite domiciliaire est l'une des expressions du droit moderne de la politisation -au sens littéral- de la "maison".
"Trois choses entrent dans une maison sans se faire annoncer : les dettes, la vieillesse et la mort", dit le proverbe. Remarquez que l'administration et la justice ne s'intéressent bien qu'à ces dernières et il convient, effectivement, qu'elles ne se préoccupent que peu de la propriété comme du lien familial qui constitue la maison, terrain inviolable. Il est là le combat contre l'atteinte à la vie privée et au droit de propriété.
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