La lettre juridique n°621 du 16 juillet 2015 : Droits de l'Homme

[Chronique] Chronique de droit public pénitentiaire - Juillet 2015

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par Christophe de Nantois, Maître de conférences en droit public à l'Université de Lorraine

le 16 Juillet 2015

La jurisprudence pénitentiaire des derniers mois a été marquée par le renforcement du contrôle effectué par le Conseil d'Etat sur les décisions disciplinaires relatives aux détenus. Celui-ci continue et amplifie le mouvement entamé en 1995 avec l'arrêt "Marie" (1) qui consiste à ce que les décisions de l'administration pénitentiaire soient toujours plus examinées par le juge administratif (CE 9° et 10° s-s-r., 1er juin 2015, n° 380449, mentionné aux tables du recueil Lebon). D'autre part, de façon logique et largement anticipée, le contentieux relatif aux questions prioritaires de constitutionnalité continue d'augmenter : le Conseil d'Etat saisissant occasionnellement le Conseil constitutionnel (CE, 10° et 9° s-s-r., 6 juillet 2015, n° 389324, inédit au recueil Lebon ; CE, 10° et 9° s-s-r., 6 juillet 2015, n° 389324, inédit au recueil Lebon), mais écartant la plupart des demandes de saisine (CE 1° et 6° s-s-r., 25 mars 2015, n° 374401, mentionné aux tables du recueil Lebon). La Haute juridiction se montre relativement libérale vis-à-vis de l'administration pénitentiaire quant à la fourniture de repas conformes aux principes religieux des détenus (CE 1° et 6° s-s-r., 25 février 2015, n° 375724, mentionné aux tables du recueil Lebon), puis indique que les inondations occasionnant la perte des biens personnels dont disposait un détenu dans sa cellule ne peuvent aboutir à l'engagement de la responsabilité de l'Etat (CE 9° et 10° s-s-r., 6 juillet 2015, n° 373267, mentionné aux tables du recueil Lebon). Elle indique aussi, dans le domaine du référé "mesures utiles" en matière pénitentiaire, qu'il n'appartient pas au juge d'édicter des mesures à caractère réglementaire (CE, Sect., 27 mars 2015, n° 385332, publié au recueil Lebon). Cette chronique se conclut par la condamnation à deux reprises de la France par la Cour de Strasbourg (CEDH, 19 février 2015, Req. 10401/12 ; CEDH, 21 mai 2015, Req. 50494/12).
  • Les mesures disciplinaires relatives aux détenus peuvent désormais être examinées par le juge administratif (CE 9° et 10° s-s-r., 1er juin 2015, n° 380449, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9222NIE)

Le directeur de la maison centrale de Clairvaux avait placé le 23 juillet 2012 le requérant, M. A., en cellule disciplinaire pour vingt-cinq jours, placement implicitement confirmé par le directeur interrégional des services pénitentiaires centre-est Dijon. Cette décision a fait l'objet d'un recours devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne qui l'a rejeté le 2 mai 2013. La cour administrative d'appel de Nancy a certes annulé ce jugement pour irrégularité, mais a néanmoins rejeté la demande de M. A. le 13 février 2014 (2).

Dans un considérant de principe, le Conseil d'Etat a modifié sa jurisprudence antérieure : "considérant qu'il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un détenu ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes". Par ce considérant, le juge administratif abandonne le contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation jusque là en vigueur et le remplace par un contrôle normal, plus protecteur.

Une logique en deux temps est désormais mise en place : le juge va pouvoir vérifier, d'une part, la matérialité des faits et si ces faits justifient une sanction et, d'autre part, s'il existe une proportionnalité entre la faute incriminée et la faute retenue.

Concernant la matérialité des faits, le contrôle est parfaitement logique et justifié, le juge vérifiait déjà l'existence de ceux-ci, sans le dire vraiment, par l'erreur manifeste d'appréciation. Plus complexe était la question de savoir si les faits devaient être sanctionnés. C'est notamment dans l'arrêt "Letona Biteri" de 2011 (3) que des questions avaient vu le jour sur ce point. M. X, détenu alors à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis a fait l'objet le 29 avril 2005 d'une sanction de mise en cellule disciplinaire de sept jours avec sursis pour "avoir refusé d'obéir à la demande d'un surveillant de quitter le muret sur lequel il se trouvait assis et qui se trouvait à l'intérieur du parloir dans lequel il recevait sa famille".

Cette injonction de quitter un muret avait en effet fait douter les juges : s'agissait-il d'un ordre légitime ou d'un ordre abusif ? Le tribunal administratif de Melun avait estimé le 5 avril 2007 que "l'injonction du gardien n'avait aucune base légale ou réglementaire, ni dans les dispositions du Code de procédure pénale, ni dans le règlement intérieur de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis". En conséquence, le tribunal avait annulé la sanction de quartier disciplinaire. Mais la cour administrative d'appel de Paris (4) avait estimé au contraire que l'ordre était justifié. Le Conseil d'Etat avait tranché cette question sans tergiverser en se basant directement sur le Code de procédure pénale, jugeant que "constitue une faute disciplinaire du troisième degré le fait, pour un détenu [...] de refuser d'obtempérer aux injonctions des membres du personnel de l'établissement" (5). Le Conseil d'Etat avait ajouté que la cellule disciplinaire était une sanction possible dès lors qu'une faute disciplinaire était constatée. Le Conseil concluait assez sèchement que : "tout ordre du personnel pénitentiaire doit être exécuté par les détenus [sauf dans] l'hypothèse où l'injonction adressée à un détenu par un membre du personnel de l'établissement pénitentiaire serait manifestement de nature à porter atteinte à la dignité de la personne humaine".

Cette interprétation stricte du Code de procédure pénale avait suscité ici ou là quelques interrogations (6), mais elle avait pour mérite d'être claire et elle avait réaffirmé sans détours l'autorité des personnels pénitentiaires. C'est pour cette raison que cet arrêt avait été très apprécié par l'administration pénitentiaire, dont les relations, disons d'incompréhension voire parfois de défiance, avec le Conseil d'Etat sont fréquentes depuis l'arrêt "Marie" de 1995.

La rédaction retenue ici : "il appartient au juge de l'excès de pouvoir [...] de rechercher si les faits reprochés à un détenu ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction" est un lointain écho à cet arrêt "Letona Biteri" de 2011.

Mais le plus important apport de cet arrêt du 1er juin 2015 se situe dans la seconde partie de ce considérant : "il appartient au juge de l'excès de pouvoir [...] de rechercher si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes". Désormais, le juge va pouvoir vérifier la proportionnalité des sanctions disciplinaires des détenus. Ce passage du contrôle restreint du juge au contrôle normal est particulièrement bienvenu.

L'arrêt "Dahan" (7) avait effectué cette avancée pour les sanctions disciplinaires relatives aux fonctionnaires en 2013. Depuis cet arrêt "Dahan" (qui revient sur la jurisprudence "Lebon" de 1978 (8)), les agents publics bénéficient d'un contrôle normal sur leurs sanctions disciplinaires et non plus d'un contrôle restreint. Le régime juridique appliqué aux sanctions disciplinaires aux fonctionnaires et celui appliqué aux sanctions des détenus auraient toutefois pu continuer à être différents quelques années encore, les injonctions données aux fonctionnaires et aux détenus n'étant pas strictement comparables. En d'autres termes, l'incitation créée par l'arrêt "Dahan" aurait sans doute pu rester lettre morte encore longtemps.

L'intérêt le plus grand d'accorder au juge le contrôle de proportionnalité des sanctions disciplinaires est de mettre fin à une pratique fréquemment observée. On rapporte en effet que les personnels pénitentiaires présents dans les commissions disciplinaires (ces commissions sont à l'origine des décisions disciplinaires des directeurs relatives aux détenus), demandent presque systématiquement la sanction maximale dès que l'acte incriminé est une violence à l'égard d'un personnel. En l'espèce, tel devait être le cas, car la sanction retenue de vingt-cinq jours de quartier disciplinaire ne peut être infligée que pour "acte de violence physique contre les personnes" (9). La peur ressentie par les personnels de l'administration pénitentiaire qui subissent une agression est à la fois parfaitement humaine et totalement compréhensible mais demander en ce cas, presque systématiquement, la peine maximale de trente jours ne permet sans doute pas de faire oeuvre de pédagogie en la matière.

Pour toutes ces raisons, cet arrêt constitue une avancée des droits des détenus et une limitation de l'arbitraire, réel ou supposé, au sein des prisons. Espérons simplement que les délais des justiciables ne soient pas trop allongés par cet arrêt. En effet, si le juge a si longtemps résisté à étendre ses compétences à ces mesures de moindre importance c'est, en partie au moins, en raison du risque d'augmentation du nombre de contentieux. Si l'amélioration des droits que constitue l'examen des sanctions disciplinaires par le juge est diminuée par l'augmentation des délais de décision, le détenu, n'y aura peut-être pas tant gagné que cela.

  • Renvoi au Conseil constitutionnel d'une QPC relative au travail des détenus : une réponse attendue sur le droit à l'emploi, la liberté syndicale et le droit de grève (CE, 10° et 9° s-s-r., 6 juillet 2015, n° 389324, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5773NMR)

A l'occasion d'un litige classique relatif au déclassement d'un détenu, le Conseil d'Etat a été invité à se pencher sur la question du travail en prison. C'est ici, plus précisément, l'article 33 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 (loi n° 2009-1436 N° Lexbase : L9344IES) qui est visé : "la participation des personnes détenues aux activités professionnelles organisées dans les établissements pénitentiaires donne lieu à l'établissement d'un acte d'engagement par l'administration pénitentiaire". Cet acte, signé par le chef d'établissement et la personne détenue, énonce les droits et obligations professionnels de celle-ci ainsi que ses conditions de travail et sa rémunération. Ces dispositions n'ayant pas été examinées par le Conseil constitutionnel et commandant la résolution du litige en cours, elles peuvent faire l'objet d'une QPC. En l'espèce, le moyen soulevait une atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, "notamment au droit à l'emploi, à la liberté syndicale, au droit de grève et au principe de participation des travailleurs, respectivement garantis par les alinéas 5, 6, 7 et 8 du Préambule de la Constitution de 1946". Le Conseil d'Etat a estimé, à juste titre, que ce moyen soulevait une question présentant un caractère sérieux et a, de ce fait, renvoyé cette question au Conseil constitutionnel.

Quelle que soit la réponse du Conseil constitutionnel, ce recours va venir utilement compléter la décision n° 2013-320/321 QPC du 14 juin 2013 (10) qui concernaient le contrat de travail pour les relations de travail des personnes incarcérées, sur un recours de la Cour de cassation. Le requérant considérait qu'il n'y a avait pas de véritable contrat de travail pour les détenus ; le Conseil constitutionnel avait écarté ces griefs et jugé que ces dispositions étaient conformes à la Constitution.

  • Le Conseil d'Etat refuse de saisir le Conseil constitutionnel d'une QPC relative au "permis de communiquer" accordé aux avocats lorsqu'ils doivent rencontrer leurs clients dans un établissement pénitentiaire (CE 1° et 6° s-s-r., 25 mars 2015, n° 374401, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6855NEM)

Aux termes de l'article 25 de la loi pénitentiaire de 2009, "les personnes détenues communiquent librement avec leurs avocats", alors qu'aux termes de l'article R. 57-6-5 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0339IPA), un "permis de communiquer est délivré aux avocats, pour les condamnés, par le juge de l'application des peines ou son greffier pour l'application des articles 712-6 (N° Lexbase : L9396IEQ), 712-7 (N° Lexbase : L9476IEP) et 712-8 (N° Lexbase : L7104IG9) et, pour les prévenus, par le magistrat saisi du dossier de la procédure. / Dans les autres cas, il est délivré par le chef de l'établissement pénitentiaire". C'est cette opposition potentielle entre la liberté de communication proclamée par l'article 25 et la restriction possible du fait de l'existence même du "permis de communiquer" qui était soulevée par le requérant qui demandait l'abrogation des articles R. 57-6-5, D. 115-15 (N° Lexbase : L4821HZL), D. 115-16 (N° Lexbase : L4822HZM) et D. 115-18 (N° Lexbase : L8238G7A) du Code de procédure pénale ou la saisine du Conseil constitutionnel par la voie de la QPC.

Si le Conseil d'Etat ne donne pas droit à cette requête concernant l'annulation ou la saisine du Conseil constitutionnel, il opère néanmoins d'importants rappels concernant le permis de communiquer et crée ainsi de véritables garde-fous en cette matière.

Dans son troisième considérant, le Conseil d'Etat précise en effet que "les détenus disposent du droit de communiquer librement avec leurs avocats ; que ce droit implique notamment qu'ils puissent, selon une fréquence qui, eu égard au rôle dévolu à l'avocat auprès des intéressés, ne peut être limitée à priori, recevoir leurs visites, dans des conditions garantissant la confidentialité de leurs échanges". Le Conseil ajoute également que "ce droit s'exerce dans les limites inhérentes à la détention ; qu'ainsi, si les dispositions de l'article R. 57-6-5 du Code de procédure pénale prévoient que les avocats doivent obtenir un permis de communiquer pour pouvoir rencontrer leurs clients lorsque ceux-ci sont détenus, afin de préserver le bon ordre et la sécurité des établissements pénitentiaires, elles n'ont ni pour objet ni pour effet de subordonner l'obtention de ce permis à l'exercice par l'autorité chargée de délivrer le permis, d'un contrôle portant sur l'opportunité ou la nécessité de telles rencontres".

Tous ces éléments permettent des garanties tant pour les détenus, que pour les avocats, que pour l'administration pénitentiaire, chacun ayant des intérêts légitimes à préserver.

Si toutes ces précisions sont les bienvenues, la suite laisse néanmoins l'observateur plus dubitatif : "ces dispositions n'imposent pas au détenu ou à l'avocat de mentionner les motifs justifiant la nécessité qu'ils puissent communiquer, mais leur imposent seulement d'identifier la procédure juridictionnelle au titre de laquelle l'avocat est sollicité". Cette dernière précision a-t-elle une réelle utilité ? Pourquoi un avocat doit-il, pour entrer dans un centre pénitentiaire et rencontrer son client, identifier la procédure juridictionnelle concernée ? A la réflexion, il n'est pas certain que cette dernière mention soit totalement indispensable.

  • Le Conseil d'Etat n'impose pas à l'administration pénitentiaire de fournir systématiquement des repas aux détenus conformes à leurs prescriptions religieuses (CE 1° et 6° s-s-r., 25 février 2015, n° 375724, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5172NCK)

Aux termes de la législation actuelle en vigueur, "chaque personne détenue reçoit une alimentation variée, bien préparée et présentée, répondant tant en ce qui concerne la qualité que la quantité aux règles de la diététique et de l'hygiène, compte tenu de son âge, de son état de santé, de la nature de son travail et, dans toute la mesure du possible, de ses convictions philosophiques ou religieuses" (11). L'objet principal du recours portait sur les repas conformes aux prescriptions religieuses et, plus précisément, sur le fait que dans la législation actuelle l'administration pénitentiaire n'est pas contrainte de fournir de tels repas mais seulement incitée "dans toute la mesure du possible".

Le Conseil d'Etat effectue un raisonnement en deux temps dans son quatrième considérant en reconnaissant que, "si l'observation de prescriptions alimentaires peut être regardée comme une manifestation directe de croyances et pratiques religieuses au sens de l'article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4799AQS)", il tempère immédiatement les effets de ce constat et maintient ces dispositions en vigueur "eu égard à l'objectif d'intérêt général du maintien du bon ordre des établissements pénitentiaires et aux contraintes matérielles propres à la gestion de ces établissements".

Que quelques dispositions juridiques soient écartées au profit "du bon ordre et des contraintes matérielles" n'est pas rare en matière pénitentiaire et cela se justifie la plupart du temps. Mais ici il existe une double difficulté. Cette décision est en effet surprenante car elle est contraire à la fois aux règles pénitentiaires européennes, qui sont de plus en plus incitatives, et, surtout, à la jurisprudence de la CEDH.

D'une part, les règles pénitentiaires européennes (RPE) imposent des repas conformes aux prescriptions religieuses : "Les détenus doivent bénéficier d'un régime alimentaire tenant compte de leur âge, de leur état de santé, de leur état physique, de leur religion, de leur culture et de la nature de leur travail" (règle 22.1.). Certes, les RPE n'ont pas de valeur contraignante mais le ministère de la Justice a fait de l'adoption de ces RPE un objectif pour 2015 : "l'administration pénitentiaire a ainsi décidé de faire du respect des règles pénitentiaires européennes un objectif prioritaire en ce qui concerne l'orientation de sa politique de modernisation et ses pratiques professionnelle" (12).

D'autre part, et ce motif est nettement plus sérieux, la CEDH a condamné la Pologne en 2010 précisément pour n'avoir pas fourni un régime alimentaire conforme aux prescriptions religieuses du requérant (13). Certes, le régime alimentaire en cause n'est peut-être pas identique puisque dans cet arrêt, il s'agissait d'un régime végétarien destiné à un détenu bouddhiste, alors qu'on suppose du fait de la composition des prisons françaises, qu'un régime hallal ou éventuellement casher était demandé, mais, au plan des principes, il n'y a guère de différences. L'argumentation de la CEDH ne laissait d'ailleurs guère de doutes : "la Cour n'est pas convaincue que le fait de fournir au requérant un régime végétarien aurait entraîné une gêne pour le fonctionnement de la prison ou une baisse de la qualité des repas servis aux autres détenus ; elle note que, aux termes de la Recommandation Rec(2006)2 du Comité des ministres sur les règles pénitentiaires européennes, les détenus doivent bénéficier d'un régime alimentaire tenant compte de leur religion" (14), et la CEDH a conclu à la violation de la Convention à l'unanimité, ce qui restreint encore la marge de négociation possible de la France.

On peut raisonnablement supposer que l'administration pénitentiaire utilise ici une stratégie dilatoire pour se donner le temps de mettre en place de telles mesures, évidemment très contraignantes. La grande compréhension qu'a manifestée le Conseil d'Etat dans cette décision est plus surprenante. Il n'est cependant pas certain que cette position puisse tenir très longtemps.

  • Exonération de la responsabilité de l'Etat dans le cadre d'une inondation ayant causé la perte des biens d'un détenu (CE 9° et 10° s-s-r., 6 juillet 2015, n° 373267, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6221NMD)

De très sérieuses intempéries ont touché le département du Var les 15 et 16 juin 2010. Ces intempéries exceptionnelles ont entraîné d'importantes inondations qui ont nécessité un transfert en urgence de tous les détenus du centre pénitentiaire de Draguignan vers les établissements pénitentiaires voisins. Cette évacuation d'une prison, rarissime, avait, à l'époque, fait la une des journaux qui avaient souligné le bon déroulement des opérations malgré les difficultés dues à l'urgence, à l'inondation des routes, à l'inondation du centre pénitentiaire et surtout, à l'indispensable maintien des conditions de sécurité lors du transfèrement de détenus.

Dans l'urgence cependant, il n'avait pas été possible de mettre à l'abri les effets de tous les détenus. Le requérant avait ainsi perdu les objets personnels qui se trouvaient dans sa cellule. L'administration pénitentiaire avait proposé une indemnisation au détenu mais, celui-ci la trouvant trop faible, il avait effectué un recours. En première instance, le tribunal administratif de Toulon donne droit à cette demande en accordant 2 500 euros au requérant. Le Garde des Sceaux s'est pourvu en cassation contre cette décision.

Dans l'arrêt rapporté, le Conseil d'Etat annule le jugement du tribunal administratif de Toulon car ce dernier n'a pas reconnu le caractère de force majeure aux intempéries. Il relève "qu'en jugeant que les inondations qui ont ravagé, notamment, la commune de Draguignan les 15 et 16 juin 2010, ne revêtaient pas la nature d'un cas de force majeure, alors que cet événement, qui a résulté de la conjonction imprévisible de plusieurs phénomènes, a présenté une intensité exceptionnelle, sans précédent dans ce département depuis 1827, le tribunal administratif a inexactement qualifié les faits de l'espèce".

Le Conseil d'Etat, après avoir requalifié les événements en force majeure, exonère intégralement l'Etat de sa responsabilité. Il n'exclut cependant pas une "une indemnisation forfaitaire à titre gracieux" à destination du détenu qui a tout perdu.

Si cette décision est mentionnée dans les tables du recueil Lebon, c'est en raison des circonstances de fait, tout à fait exceptionnelles, qui sont à l'origine de cet arrêt. En effet, la force majeure n'est que rarement retenue et, si celle-ci est retenue, l'Etat n'est pas toujours exonéré de toute responsabilité. Ici, l'action remarquable des services pénitentiaires, compte tenu des circonstances, exonère intégralement l'Etat. Pour ne pas créer d'injustice vis à vis du détenu qui a tout perdu, le Conseil d'Etat ménage cependant la possibilité d'une indemnisation "forfaitaire à titre gracieux". Cette indemnisation sera, par conséquent, fixée par la seule administration pénitentiaire et sans possibilité pour le détenu d'exercer le moindre recours. Avec cet arrêt, toutes les autres demandes d'indemnisation en cours relatives aux mêmes événements vont donc être interrompues.

  • Précisions relatives à la notion de référé "mesures utiles" en matière pénitentiaire : il n'appartient pas au juge d'édicter des mesures à caractère réglementaire (CE, Sect., 27 mars 2015, n° 385332, publié au recueil Lebon)

La section française de l'Observatoire International des Prisons (OIP) a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre, en Guadeloupe, sur la base de la procédure du référé "mesures utiles" (CJA, art. L. 521-3 N° Lexbase : L3059ALU) afin que l'administration pénitentiaire mette en place une expression collective des détenus.

L'expression collective des détenus est une revendication fort ancienne dont l'administration pénitentiaire se méfie car elle induit des rassemblements dans lesquels la parole, en particulier la critique, serait libre tant sur le fond que sur la forme. On comprend aisément ces réticences à propos de tels rassemblements qui pourraient tourner à de véritables meetings, voire générer des émeutes. Aussi, sans aller aussi loin, l'OIP demandait des mesures que l'administration pénitentiaire aurait pu encadrer tout en permettant aux détenus de s'exprimer collectivement (et éventuellement anonymement) : "un comité consultatif des personnes détenues, [ou] à titre subsidiaire, un cahier de doléances ou, à défaut, de prendre toutes autres mesures utiles d'organisation du service permettant une expression collective des détenus sur les problèmes de leur vie quotidienne ainsi que sur leurs conditions de détention".

Le tribunal administratif de Basse-Terre a rejeté cette demande. Le Conseil d'Etat, saisi à son tour, a également rejeté cette requête. Il estime que "les mesures demandées par l'OIP revêtent le caractère de mesures réglementaire" et considère par conséquent qu'elles ne relèvent pas des mesures "qu'il appartient au juge des référés [au titre] de l'article L. 521-3 du code de justice administrative d'ordonner".

Cette décision, parfaitement logique sur le fond, ne permet cependant pas de faire avancer ce dossier de l'expression collective des détenus qui, si elle était correctement menée, pourrait peut-être améliorer les conditions de détention, voire apaiser celle-ci en atténuant des revendications inexprimées car inexprimables.

Dans un arrêt du 19 février 2015 devenu définitif, (CEDH, 19 février 2015, Req. 10401/12), la France est condamnée à l'unanimité pour violation de l'article 3 de la Convention (N° Lexbase : L4764AQI) (traitements inhumains ou dégradants) du fait des conditions de détention d'un détenu paraplégique.

En outre, la France est également condamnée à l'unanimité du fait des conditions de détention au centre pénitentiaire de Nouméa (Requête n° 50494/12). A dire vrai, la condamnation de la France sur la base de ce même article 3 ne faisait guère de doutes au vu du rapport extrêmement sévère du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) effectué en novembre 2011. Les conditions de détention observées par le CGLPL étaient telles qu'il a été amené à utiliser la procédure d'urgence pour signaler cette situation au Garde des Sceaux. La défense du Gouvernement s'était d'ailleurs cantonnée à des arguments techniques relatifs à la procédure, notamment sur l'article 13 de la CESDH (N° Lexbase : L4746AQT) et l'absence d'épuisement des voies de recours avant saisine de la CEDH.


(1) CE Ass., 17 février 1995, n° 97754, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1636B84).
(2) CAA Nancy, 1ère ch., 13 février 2014, n° 13NC01290 (N° Lexbase : A0667MMN).
(3) CE 1° et 6° s-s-r., 20 mai 2011, n° 326084, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0317HSK), conc. Mattias Guyomar.
(4) CAA Paris, 1ère ch., 22 mai 2008, n° 07PA02011 (N° Lexbase : A0155D9M).
(5) C. pr. pén., art. R. 57-7-3 (N° Lexbase : L0229IP8).
(6) R. Grand, AJDA, 2011 p. 1056.
(7) CE Ass., 13 novembre 2013, n° 347704, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2475KPD).
(8) CE, Sect., 9 juin 1978, n° 05911, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6577B7Q).
(9) "Le placement en cellule disciplinaire ou le confinement en cellule individuelle ordinaire ne peuvent excéder vingt jours, cette durée pouvant toutefois être portée à trente jours pour tout acte de violence physique contre les personnes", loi pénitentiaire, art. 91.
(10) Cons. const., décision n° 2013-320/321 QPC du 14 juin 2013 (N° Lexbase : A4732KGD).
(11) Règlement type des établissements pénitentiaires annexé à l'article R. 57-6-18 du Code de procédure pénale, relatif à "l'alimentation" des personnes détenues, art. 9, al. 1.
(12) Communication officielle du ministère de la Justice.
(13) CEDH, 7 décembre 2010, Req. 18429/06.
(14) La version ici citée est issue du résumé juridique, l'arrêt n'existe pas en français.

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