Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 29 décembre 2014, trois arrêts, n° 372473, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8333M87), n° 372477, 372479, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8334M88)
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N5431BUP
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par Vincent Daumas, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat et Rapporteur public à la 3ème sous-section
le 17 Mars 2015
Dans une commune d'environ 1 400 habitants située dans le Vaucluse, en limite de la Drôme. M. et Mme X exploitaient un bar-tabac-restaurant au rez-de-chaussée d'un immeuble dont ils étaient propriétaires. Ayant renoncé à l'exploitation du restaurant, ils ont décidé de mettre l'immeuble en vente. La commune, ne souhaitant pas que ce commerce ferme et voyant dans cet immeuble attenant à l'hôtel de ville la possibilité d'étendre la surface de ses bureaux, a décidé de l'acquérir. Son conseil municipal, par délibération du 3 septembre 2010, a décidé à l'unanimité l'acquisition de l'immeuble, pour un prix de 400 000 euros conforme à l'évaluation du service des domaines. Par délibération du 10 septembre 2010, le conseil municipal a décidé de contracter un emprunt d'un montant de 500 000 euros pour financer l'opération. Le contrat de prêt a été conclu le 22 septembre 2010 ; et le contrat de vente le 17 décembre suivant. Puis, le 10 novembre 2011, la commune a conclu un bail commercial avec une SARL pour l'exploitation d'un bar-restaurant au rez-de-chaussée de l'immeuble. La commune a ensuite aménagé le premier étage pour étendre les locaux de l'hôtel de ville.
Toutefois, par un jugement du 5 avril 2012, le tribunal administratif de Nîmes, à la demande d'une association locale, a prononcé l'annulation de la délibération du 3 septembre 2010 décidant le principe de l'acquisition de l'immeuble et, par voie de conséquence, de celle du 10 septembre suivant décidant de recourir à l'emprunt. Par un arrêt du 30 juillet 2013, la cour administrative d'appel de Marseille (1) a confirmé ce jugement. Et, par un arrêt du même jour, saisie d'une demande d'exécution du jugement, elle a enjoint à la commune, d'une part, de procéder à la résolution amiable du bail du 10 novembre 2011 ou, à défaut, de saisir le juge du contrat, d'autre part, de désaffecter et déclasser le premier étage de l'immeuble puis de procéder à la résolution amiable du contrat de vente du 17 décembre 2010 ou, à défaut, de saisir le juge du contrat, enfin, de procéder à la résolution amiable du contrat de prêt du 22 septembre 2010 ou, à défaut, de saisir le juge du contrat. En résumé, la cour administrative d'appel a entendu que fussent effacés tous les effets, y compris passés, des trois contrats conclus à la suite des deux délibérations dont elle a confirmé l'annulation.
La commune se pourvoit en cassation.
1 - Son pourvoi n° 372473 est dirigé contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel a confirmé l'annulation des délibérations des 3 et 10 septembre 2010. Il ne vous retiendra pas trop longtemps.
Pour confirmer l'annulation de la délibération du 3 septembre 2010 décidant l'acquisition de l'immeuble, la cour administrative d'appel a considéré qu'elle était intervenue en méconnaissance des dispositions de l'article L. 2251-3 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L5187IZ7). Cet article trouve sa place dans la partie du code consacrée aux aides économiques que les communes sont susceptibles d'accorder. Relevons que vous n'avez pas encore eu l'occasion de faire application de ses dispositions dans leur rédaction applicable au présent litige, qui est issue de la loi n° 2005-157 du 23 février 2005, relative au développement des territoires ruraux (N° Lexbase : L0198G8T). Ces dispositions prévoient que la commune peut confier la responsabilité de créer ou gérer un service nécessaire à la satisfaction des besoins de la population en milieu rural à une association régie par la loi du 1er juillet 1901, relative au contrat d'association (N° Lexbase : L3076AIR), ou à toute autre personne et qu'elle peut également accorder des aides. Ces interventions sont, toutefois, soumises à la condition que l'initiative privée soit défaillante ou insuffisante pour assurer la création ou le maintien d'un tel service.
La cour administrative d'appel a seulement cité, parmi les dispositions de l'article L. 2251-3, celles prévoyant la possibilité d'accorder des aides. Elle a estimé que la délibération du 3 septembre 2010 avait pour principal objectif de créer ou maintenir "un pôle d'attraction au coeur du village, un restaurant familial, un bar-tabac". Puis elle a jugé que la commune n'établissait pas que la restauration "familial" pratiquant des tarifs attractifs était un service nécessaire aux besoins de la population. Elle en a déduit que les conditions posées par l'article L. 2251-3 n'étaient pas remplies.
Signalons, avant d'exposer le moyen du pourvoi que nous proposons d'accueillir, que ce qu'a jugé la cour administrative d'appel ne pose pas de difficultés en termes de recevabilité ou de compétence juridictionnelle. Elle a regardé les deux délibérations qu'elle a annulées comme des actes détachables des contrats dont elles avaient pour objet d'autoriser la conclusion et cela ne fait pas de doute dans l'état de la jurisprudence antérieur à votre décision d'assemblée "Département de Tarn-et-Garonne" (2) -étant précisé que les nouvelles règles dégagées par cette décision ne s'appliquent qu'aux contrats conclus postérieurement à sa lecture-. Et la juridiction administrative était bien compétente pour connaître de l'acte détachable par lequel une collectivité décide d'acquérir un bien destiné à rejoindre son domaine privé (3).
En cassation, la commune soutient que la cour a commis une erreur de qualification juridique des faits en jugeant que l'acquisition de l'immeuble constituait une aide au sens des dispositions de l'article L. 2251-3 du Code général des collectivités territoriales. Nous pensons qu'il y a lieu de requalifier ce moyen comme tiré d'une inexacte interprétation de la délibération du 3 septembre 2010 puisque ce qui est critiqué, en réalité, c'est la lecture faite par la cour de cette délibération. La cour administrative d'appel y a vu une aide octroyée par la commune, entrant dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 2251-3. Nous croyons que la commune est fondée à soutenir qu'elle s'est méprise sur ce point. Rien dans cette délibération, ni d'ailleurs dans le contexte dans lequel elle a été prise, ne permet d'identifier une aide accordée à quiconque.
La commune, certes, comme la cour l'a d'ailleurs relevé, avait manifesté sans ambiguïté son intention de faire en sorte que le commerce de bar-tabac-restaurant jusqu'alors exploité par les époux X perdure. Cela révélait peut-être un projet d'intervention économique de la part de la commune, mais, tout au moins au stade de la délibération décidant l'acquisition de l'immeuble, aucune aide. A aucun moment d'ailleurs dans son arrêt, la cour administrative d'appel n'explicite qui pourrait en être le bénéficiaire et quelle forme elle serait susceptible de revêtir.
La défense de l'association ne nous fait pas douter du bien-fondé du moyen soulevé par la commune. Si votre décision "Commune de Mercoeur" du 25 juillet 1986 (4) admet que constitue une intervention économique la construction de locaux destinés à être loués à une personne assurant leur exploitation commerciale, elle n'affirme en rien qu'il y aurait là une aide. De même, votre décision "Commune de la Souche" du 25 janvier 2006 (5) se borne à juger que l'acquisition par une commune d'un immeuble afin de l'aménager et l'exploiter en gîte rural emporte affectation de cet immeuble au service public de développement économique et touristique ; mais elle n'affirme nullement qu'elle doit être regardée comme une aide à un bénéficiaire quelconque. Ces jurisprudences concernent des hypothèses d'intervention économique de la commune, que n'épuise pas la notion d'aide : c'est que, outre les aides aux entreprises, les interventions économiques des collectivités publiques peuvent revêtir bien d'autres formes -notamment l'érection en service public d'une activité normalement réservée à l'initiative privée-.
Si vous nous suivez pour accueillir le moyen du pourvoi tiré d'une inexacte interprétation de la délibération du conseil municipal du 3 septembre 2010, vous aboutirez à une annulation totale et non partielle de l'arrêt attaqué. La cour administrative d'appel a, en effet, confirmé l'annulation de la seconde délibération en litige, celle du 10 septembre 2010 décidant de recourir à l'emprunt, par voie de conséquence de l'annulation de la première. Comme le soutient la commune, l'erreur commise par la cour administrative d'appel dans l'interprétation de la première délibération affecte donc l'arrêt attaqué dans son ensemble.
Après annulation de l'arrêt, vous pourrez régler l'affaire au fond. La cour s'était prononcée "sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête" de la commune. Il se trouve que cette requête d'appel est tardive puisqu'il ressort des pièces du dossier, d'une part, que le jugement a été notifié à la commune le 10 avril 2012, d'autre part, que l'appel de la commune n'a été enregistré au greffe de la cour par télécopie que le 12 juin 2012, un mardi, alors que le délai d'appel expirait la veille. La commune a beau faire valoir que ses services n'ont apposé leur tampon sur la notification du jugement que le 12 avril, c'est la date qui figure sur l'avis de réception qui fait foi jusqu'à preuve du contraire (6). Vous rejetterez donc, comme irrecevable car tardive, la requête d'appel de la commune.
Vous devrez aussi rejeter les conclusions présentées par la commune au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4) et, dans les circonstances de l'espèce, nous vous proposons de dire qu'il n'y a pas lieu de faire droit à celles de l'association.
2 - Le pourvoi n° 372477 est dirigé contre l'arrêt par lequel la cour a statué sur la demande d'exécution du jugement prononçant l'annulation des délibérations des 3 et 10 septembre 2010. Il pose une question de droit intéressante.
La cour administrative d'appel a estimé qu'"eu égard à la particulière gravité des illégalités commises", il y avait lieu d'enjoindre à la commune, pour le dire rapidement, de supprimer les effets produits par les trois contrats conclus à la suite des deux délibérations annulées, c'est-à-dire le contrat d'emprunt, le contrat d'achat de l'immeuble et le contrat de bail portant sur la location du rez-de-chaussée. Il était donc enjoint à la commune de rechercher la résolution amiable de ces trois contrats ou, à défaut d'entente sur la résolution, de saisir dans chaque cas le juge du contrat afin qu'il en réglât les modalités s'il estimait que cette résolution pouvait être une solution appropriée.
La cour administrative d'appel, dans la formulation de ces injonctions, ne paraît pas s'être interrogée sur le point de savoir si les pouvoirs du juge de l'exécution qu'elle mettait en oeuvre sont identiques selon qu'il s'agit de tirer les conséquences de l'annulation d'un acte détachable d'un contrat de droit public ou d'un contrat de droit privé. Or, l'office du juge de l'exécution ne nous paraît pas devoir être le même dans l'un et l'autre cas.
2.1 - Disons d'abord qu'étaient bien en cause, devant la cour administrative d'appel, des contrats de nature différente.
Le contrat d'emprunt nous paraît avoir le caractère d'un contrat administratif par détermination de la loi puisque l'article 3, 3° du Code des marchés publics (N° Lexbase : L1069IRZ) fait entrer dans son champ d'application les "contrats de services financiers conclus en relation avec le contrat d'acquisition [d'un bien immeuble]" (7). En revanche, le contrat d'achat de l'immeuble était évidemment un contrat de droit privé (8). Et il en allait de même du bail commercial conclu pour l'exploitation d'un bar-restaurant au rez-de-chaussée de l'immeuble, contrat conclu pour l'occupation d'une dépendance du domaine privé (9). Etant précisé que, dans l'un et l'autre cas, on ne peut identifier dans les contrats en cause aucune clause qui impliquerait qu'ils relèvent du régime exorbitant des contrats administratifs (10).
2.2 - Rappelons ensuite quel est l'état de votre jurisprudence sur l'articulation des pouvoirs respectifs du juge de l'exécution et du juge du contrat.
La décision fondatrice en la matière est une décision de section du 7 octobre 1994 (11). Vous avez jugé que le juge administratif de l'exécution était compétent pour ordonner à la personne publique partie au contrat de saisir le juge du contrat pour qu'il tire les conséquences d'une annulation pour excès de pouvoir d'un acte détachable de ce contrat. En l'occurrence, il s'agissait d'enjoindre à une commune de saisir le juge du contrat "en vue d'obtenir le retour dans le domaine privé de la commune de la propriété aliénée". Vous relèverez que ce précédent fondateur portait, précisément, sur les conséquences à tirer, pour le juge de l'exécution, de l'annulation d'un acte détachable d'un contrat de droit privé -un contrat de vente d'un bien relevant du domaine privé d'une commune-.
Vous avez ensuite précisé que le juge de l'exécution devait non seulement tenir compte de la nature de l'acte annulé et du vice dont il est entaché, mais encore vérifier que la nullité du contrat ne porterait pas, si elle était constatée, une atteinte excessive à l'intérêt général. Et ce n'est que si, d'une part, la nature de l'acte et le vice qui l'entache impliquent la nullité du contrat et si, d'autre part, le constat de cette nullité ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général, que le juge de l'exécution devait ordonner aux parties de saisir le juge du contrat "afin de faire constater la nullité du contrat" (12).
Il vous a fallu ensuite adapter cette jurisprudence à l'évolution de celle sur les irrégularités affectant les contrats administratifs. Nous faisons référence ici à votre décision d'Assemblée dite "Béziers I" de 2009 (13). Jusqu'à cette décision, le juge du contrat était, pour reprendre les termes d'Emmanuel Glaser, "enfermé dans un choix binaire" : il ne pouvait guère que reconnaître la parfaite régularité du contrat ou, au contraire, admettre qu'il était entaché d'une irrégularité et, dans ce cas, constater sa nullité. Vous avez considérablement redessiné son office en lui donnant mission d'apprécier, au cas par cas, la gravité des irrégularités susceptibles d'affecter le contrat et les conséquences qu'il faut en tirer sur son exécution, compte tenu de l'intérêt général qui s'attache à sa poursuite -l'annulation du contrat faisant désormais figure d'exception réservée aux irrégularités les plus graves-. Cette extension des pouvoirs du juge du contrat ouvrait de nouvelles possibilités au juge de l'exécution -et aussi quelques risques supplémentaires de chevauchement de leurs missions respectives-.
La nécessaire redéfinition de l'équilibre entre les interventions respectives du juge de l'exécution et du juge du contrat a été le fait d'une décision "Société Ophrys" du 21 février 2011 (14). Conformément au parti déjà pris dans votre décision "Institut de recherche pour le développement" (15), vous avez attribué au juge de l'exécution un rôle particulièrement développé, afin d'éviter, dans la mesure du possible, la saisine du juge du contrat, c'est-à-dire l'ouverture d'une nouvelle instance. Mais vous avez bien pris le soin, dans la définition de l'office du juge de l'exécution, de ne pas aller jusqu'à paralyser les pouvoirs du juge du contrat. Vous avez ainsi permis au juge de l'exécution de constater que l'annulation de l'acte détachable n'interdit pas la poursuite de l'exécution du contrat, le cas échéant sous réserve de mesures de régularisation. Vous lui avez aussi permis, lorsque la poursuite du contrat n'est pas possible, d'enjoindre à la personne publique de le résilier -c'est-à-dire d'en faire cesser les effets pour l'avenir-. Et dans l'hypothèse d'une illégalité d'une particulière gravité, vous avez également reconnu que le juge de l'exécution pouvait inviter les parties à résoudre le contrat ou, faute d'entente sur les modalités de cette résolution, leur enjoindre de saisir le juge du contrat "afin qu'il en règle les modalités s'il estime que la résolution peut être une solution appropriée" -cette proposition conditionnelle manifestant la liberté laissée au juge du contrat, dans une telle hypothèse, d'envisager toute autre mesure que la résolution tirant les conséquences de l'annulation de l'acte détachable-.
Si le considérant de principe de la décision "Société Ophrys" ne le précise pas, nous n'avons aucun doute qu'il s'applique aux seuls contrats administratifs. Deux raisons à cela : d'une part, le juge de l'exécution ne saurait enjoindre à l'administration de résilier un contrat de droit privé puisqu'elle ne dispose pas, lorsque le contrat a cette nature, d'un pouvoir de résiliation unilatéral ; d'autre part, et plus fondamentalement, l'office du juge de l'exécution dessiné par la décision "Ophrys" amène celui-ci à statuer sur le devenir des relations nouées au travers du contrat, ce qu'il ne pourrait compétemment faire -puisque le juge de l'exécution est évidemment un juge administratif- s'agissant d'un contrat de droit privé.
2.3 - Il vous revient donc, pour résoudre la présente affaire, de définir l'office du juge saisi d'une demande d'exécution d'une décision juridictionnelle prononçant l'annulation d'un acte administratif détachable d'un contrat de droit privé.
Il faut certainement repartir de la décision de section du 7 octobre 1994 (16), rendue à propos d'un contrat de droit privé. Il en découle que le juge de l'exécution a le pouvoir d'enjoindre aux parties de saisir le juge du contrat afin qu'il tire les conséquences de l'annulation de l'acte détachable. Restent deux questions : de quelle palette d'injonctions le juge de l'exécution dispose-t-il ? Et sur quels éléments doit-il se fonder ?
Il nous semble que vous devez avoir en tête, mutatis mutandis, les mêmes considérations que celles qui ont présidé à l'élaboration de votre jurisprudence "Ophrys". D'une part, il s'agit de donner au juge de l'exécution des pouvoirs étendus afin de lui permettre, le cas échéant, de clore le litige en évitant ainsi la saisine du juge du contrat. D'autre part, il n'est pas question de l'autoriser à empiéter sur les pouvoirs du juge du contrat, qui est ici un juge judiciaire, quand bien même cet empiètement ne limiterait pas la marge de manoeuvre de ce dernier. La ligne de partage qui en découle recoupe largement la frontière définissant la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction : au juge judiciaire du contrat, et à lui seul, il reviendra de tirer les conséquences de l'illégalité sur le contrat ; au juge administratif de l'exécution, il appartiendra d'apprécier, non pas dans quelle mesure l'illégalité remet en cause la relation contractuelle, mais si l'annulation de l'acte détachable peut avoir une incidence sur le contrat.
Cela implique que le juge de l'exécution recherche, tout d'abord, s'il existe des possibilités que l'administration régularise l'illégalité sanctionnée par le juge de l'excès de pouvoir, auquel cas il doit lui enjoindre de procéder à cette régularisation (17). Cela implique ensuite, si l'administration ne peut remédier à cette illégalité, que le juge de l'exécution s'interroge sur la nécessité d'enjoindre à l'administration de saisir le juge du contrat -et comme il ne peut en rien préjuger de ce que déciderait ce dernier, il doit prendre en considération la mesure la plus attentatoire aux relations contractuelles que le juge du contrat est susceptible de prononcer, c'est-à-dire l'annulation ou la résolution du contrat-. Partant de là, deux critères sont pertinents pour apprécier si l'annulation prononcée doit avoir un impact sur la relation contractuelle. Il y a, d'une part, pour reprendre les termes de votre jurisprudence "Ophrys", la "nature de l'illégalité commise", laquelle recouvre, à notre avis, à la fois la nature de l'acte détachable annulé, celle du motif d'illégalité retenu et le lien plus ou moins étroit qu'ils entretiennent avec le contrat : ce sont ces éléments qui permettent d'apprécier si l'annulation prononcée par le juge de l'excès de pouvoir affecte la régularité du contrat. Il y a, d'autre part, l'intérêt général qui peut s'attacher à la poursuite de l'exécution du contrat : alors même que l'examen de la nature de l'illégalité commise permettrait au juge de l'exécution de conclure que le contrat est affecté par l'annulation de l'acte détachable, c'est cet intérêt général qui est susceptible de s'opposer à ce qu'il prononce une injonction de saisir le juge du contrat -étant observé que, puisque l'on parle de contrats de droit privé, cet intérêt général sera, dans la plupart des cas, d'assez faible intensité-. Précisons que tout ce raisonnement tenu par le juge de l'exécution ne préjuge, ni de ce que les parties pourraient librement choisir de faire, ni de ce que pourrait décider le juge judiciaire en cas de contentieux contractuel, si la nullité du contrat venait à être soulevée.
Nous vous proposons donc de juger qu'il appartient au juge de l'exécution, saisi des conséquences à tirer de l'annulation d'un acte détachable d'un contrat de droit privé, de rechercher tout d'abord si l'illégalité commise peut être régularisée. Dans l'affirmative, il doit enjoindre à la personne publique de procéder à cette régularisation. Dans la négative, il lui revient d'apprécier si, eu égard à la nature de l'illégalité et à l'atteinte que l'annulation ou la résolution du contrat est susceptible de porter à l'intérêt général, il y a lieu d'enjoindre à la personne publique de saisir le juge du contrat afin qu'il tire les conséquences de l'annulation de l'acte détachable.
Vous constaterez que les pouvoirs du juge de l'exécution ainsi définis sont très proches de ceux que vous lui reconnaissiez dans le cadre de votre jurisprudence "Institut de recherche pour le développement", lorsqu'étaient en cause des contrats administratifs. A la réflexion, ce n'est guère étonnant : la relative limitation des pouvoirs du juge de l'exécution découlait alors du caractère limité des pouvoirs du juge administratif du contrat lui-même ; on retrouve une limitation similaire lorsque sont en cause des contrats de droit privé, même si sa justification est toute autre puisqu'elle découle cette fois des limites à la compétence de l'ordre administratif qu'impose le dualisme juridictionnel.
2.4 - Ce cadre posé, qu'en déduire sur le sort du pourvoi qui vous est soumis ?
Vous constaterez que les parties ne s'interrogent guère sur l'office du juge de l'exécution, selon qu'il s'agit de tirer les conséquences de l'annulation d'un acte détachable sur un contrat administratif ou sur un contrat de droit privé. La cour administrative d'appel a seulement cité le considérant de principe issu de votre jurisprudence "Ophrys" avant de statuer et les parties s'en tiennent à ce cadre, même s'il ne leur a nullement échappé que deux des contrats en cause étaient des contrats de droit privé et que le juge compétent à leur égard était par conséquent un juge judiciaire.
Vous n'aurez pas, cependant, à vous interroger sur le point de savoir si vous devriez relever d'office l'erreur consistant pour la cour à se placer exclusivement dans le cadre de la jurisprudence "Ophrys", alors qu'il lui était demandé, pour partie au moins, de tirer les conséquences de l'annulation des délibérations des 3 et 10 septembre 2010 sur des contrats de droit privé (18). Le pourvoi de la commune soulève, en effet, des moyens d'insuffisance de motivation qui font mouche et conduisent à la cassation totale de l'arrêt attaqué.
Par le troisième moyen qu'elle soulève, la commune reproche à la cour, en substance, d'avoir procédé à un examen beaucoup trop rapide des conséquences des illégalités censurées par le juge de l'excès de pouvoir sur les trois contrats en cause dans cette affaire, à savoir le contrat d'emprunt, le contrat d'acquisition de l'immeuble et le contrat de bail. Et effectivement, pour conclure qu'il y avait lieu d'enjoindre à la commune de saisir le juge du contrat à défaut de résolution amiable des trois contrats en cause, la cour s'est contentée de se référer à la "particulière gravité des illégalités commises". Elle n'a à aucun moment dans son raisonnement mis en évidence l'existence d'un lien entre les illégalités affectant chacune des délibérations annulées et chacun des contrats considérés, permettant d'estimer que l'illégalité des premières devait rejaillir sur la régularité des seconds. Le moyen d'insuffisance de motivation pointe en réalité une faille dans le raisonnement de la cour qui pourrait bien révéler une erreur de droit : la cour administrative d'appel devait examiner la nature des illégalités sanctionnées par le juge de l'excès de pouvoir, ce qui nous paraît inclure, nous l'avons dit, à la fois la nature de l'acte détachable annulé, celle du motif d'annulation retenu et leur lien avec le contrat ; or la cour s'est bornée à apprécier la gravité des illégalités commises.
Par le cinquième moyen qu'elle soulève, la commune reproche également à la cour administrative d'appel de n'avoir pas suffisamment explicité le raisonnement la conduisant à estimer que l'intérêt général ne faisait pas obstacle à la résolution des contrats litigieux. Et de fait, la cour administrative d'appel n'a pas examiné, contrat par contrat, les effets de la résolution et les éventuelles atteintes à l'intérêt général qui pourraient en découler. Elle a seulement jugé que la commune n'apportait pas suffisamment d'éléments permettant d'établir que le projet qu'elle poursuivait, à savoir le maintien d'un restaurant au rez-de-chaussée du bâtiment et l'affectation du premier étage à ses services, répondait à des considérations d'intérêt général. Là aussi, vous noterez que le moyen d'insuffisance de motivation confine à l'erreur de droit. Il appartenait, en effet, à la cour administrative d'appel, en tant que juge de l'exécution, non pas de rechercher si le projet de la commune était justifié par un motif d'intérêt général, mais de déterminer si les injonctions qu'elle envisageait de prononcer ne risquaient pas, pour chacun des contrats, de porter une atteinte excessive à l'intérêt général.
2.5 - Après cassation, il nous semble opportun de régler l'affaire au fond.
Vous serez saisi de la demande présentée à la cour par l'association tendant à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Nîmes du 5 avril 2012 -jugement qui, si vous nous suivez dans la résolution du litige d'excès de pouvoir qui fait l'objet du pourvoi n° 372473, deviendra définitif-. Par ce jugement, rappelons-le, le tribunal administratif a annulé la délibération du conseil municipal du 3 septembre 2010 décidant le principe de l'acquisition de l'immeuble et, par voie de conséquence, également annulé la délibération du 10 septembre 2010 décidant de souscrire un emprunt pour financer cette acquisition.
L'association fait dire beaucoup plus à ce jugement que ce qu'on y trouve. Elle y voit la condamnation par le tribunal d'une aide économique consentie par la commune. Aide qui consisterait en la prise en charge par la commune des investissements représentés par l'achat de l'immeuble et les travaux de remise en état, suivie de la mise à la disposition de l'exploitant du restaurant d'un local commercial adapté aux besoins de son activité. Aide qui aurait été jugée illégale, faute pour la commune de justifier d'un intérêt public, compte tenu de l'exploitation sur son territoire de plusieurs autres fonds de commerce de restauration. Nous ne partageons pas cette lecture du jugement -qui, il faut le dire, n'est pas clair-.
Quel est le motif retenu par le tribunal administratif pour annuler la délibération du 3 septembre 2010 ? Celui-ci a commencé par citer diverses dispositions du Code général des collectivités territoriales encadrant l'action économique des collectivités et, plus particulièrement, les interventions économiques de la commune. Il en a tiré que les personnes publiques qui entendent prendre en charge une activité économique ne peuvent le faire qu'à la condition, entre autres, de justifier d'un intérêt public (19). Puis, examinant les faits de l'espèce, le tribunal administratif a estimé que la commune, en se bornant à invoquer l'intérêt pour elle de posséder l'immeuble, ne justifiait pas d'un intérêt public.
Le motif déterminant du jugement tient donc, à notre sens, dans la circonstance que la commune, selon le tribunal administratif, n'a pas établi qu'un intérêt public s'attachait à ce qu'elle prenne en charge une activité économique. Le tribunal administratif ne précise pas de quelle activité économique il s'agit mais compte tenu des écritures qui lui étaient soumises, on comprend qu'il s'agit de l'activité de restauration. Une telle illégalité n'est certainement pas régularisable. Doit-elle avoir un retentissement sur les contrats que l'association voudrait voir remis en cause ? Il nous semble que non, dès lors qu'aucun de ces trois contrats n'a pour objet ou pour effet de faire prendre en charge par la commune l'exploitation d'un restaurant.
Cela est évident, s'agissant aussi bien du contrat d'achat de l'immeuble, que du contrat d'emprunt. Quant au bail commercial conclu par la commune, il n'a pas été produit dans son intégralité au dossier mais, des clauses que l'on peut en voir, il n'implique en aucune manière un contrôle par la commune de l'activité de restauration de son cocontractant. L'association, au demeurant, ne l'a jamais soutenu. Vous pourrez donc juger qu'il résulte de l'instruction que le contrat en cause n'a ni pour objet, ni pour effet, de faire prendre en charge par la commune une activité de restauration -tout au contraire, la conclusion de ce bail a pour effet, précisément, que la commune n'exploite pas une activité de restauration au sein des locaux dont elle est devenue la propriétaire-.
Vous pourrez déduire de tout cela que, s'agissant du contrat d'emprunt, et dans le cadre de votre jurisprudence "Ophrys", la poursuite de l'exécution du contrat est possible et, s'agissant du contrat d'achat de l'immeuble et du contrat de bail, dans le cadre distinct que nous avons tenté de tracer tout à l'heure, il n'y a pas lieu d'enjoindre à la commune de saisir le juge du contrat.
Terminons en indiquant que la solution ne serait sans doute pas la même si le tribunal administratif avait jugé que la commune ne pouvait légalement acheter l'immeuble et y effectuer des travaux en vue d'offrir à l'exploitant d'un fonds de commerce de restauration un local commercial équipé, adapté aux besoins de son activité. Mais, nous l'avons dit, au regard des motifs adoptés par le tribunal administratif, il nous semble exclu de lire ainsi son jugement.
Nous sommes donc d'avis qu'il faut, après cassation, rejeter la demande de l'association tendant à l'exécution du jugement du 5 avril 2012.
3 - Enfin, ayant statué sur le pourvoi n° 372477, vous prononcerez, dans le n° 372479, un non-lieu à statuer sur la demande de sursis à exécution de l'arrêt contre lequel ce pourvoi était dirigé.
Et dans ces deux dernières affaires, au regard des circonstances de l'espèce, nous vous proposons de dire qu'il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la commune au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Par ces motifs nous concluons dans le sens qui suit :
- dans l'affaire n° 372473 : 1. Annulation de l'arrêt attaqué ; 2. Rejet de la requête d'appel de la commune ; 3. Rejet de l'ensemble des conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ;
- dans l'affaire n° 372477 : 1. Annulation de l'arrêt attaqué ; 2. Rejet des conclusions à fin d'exécution présentées par l'association ; 3. Rejet de l'ensemble des conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ;
- dans l'affaire n° 372479 : 1. Non-lieu à statuer ; 2. Rejet de l'ensemble des conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
(1) CAA Marseille, 5ème ch., 30 juillet 2013, n° 12MA04828 (N° Lexbase : A6286KKZ).
(2) CE, Sect., 4 avril 2014, n° 358994, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6449MIP).
(3) Cf. CE 3° et 8° s-s-r., 22 novembre 2002, n° 229192, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1663A4D), p. 653 ; solution non remise en cause par T. confl., 22 novembre 2010, n° 3764, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4408GLT), p. 590 ; voir, pour un cas d'application postérieur à cette jurisprudence, CE 1° s-s., 30 décembre 2013, n° 365610, inédite au recueil Lebon (N° Lexbase : A2487KTB), point n° 4.
(4) CE 3° et 5° s-s-r., 25 juillet 1986, n° 56334, inédite au recueil Lebon (N° Lexbase : A6478AMU).
(5) CE 3° et 8° s-s-r., 25 janvier 2006, n° 284878, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5443DMK), pp. 743-756-862-1021.
(6) Voyez, par analogie, CE 2° et 6° s-s-r., 28 janvier 1998, n° 139436, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6005AS9).
(7) Sur le caractère administratif des contrats entrant dans le champ d'application du Code des marchés publics en vertu de l'article 2 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier(N° Lexbase : L0256AWE), dite "MURCEF", voyez CE avis, 29 juillet 2002, n° 246921, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3022AZX).
(8) T. confl., 13 juillet 1938, Sieur Batté, n° 846, au recueil Lebon, p. 1004 ; CE 7 janvier 1966, B..., n° 7066, mentionné aux tables du recueil Lebon, pp. 666-742.
(9) Cf. T. confl., 2 juin 1975, n° 02003, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8060BDU).
(10) Cf. en dernier lieu, abandonnant la terminologie de "clause exorbitante du droit commun", T. confl., 13 octobre 2014, n° 3963, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6721MYL).
(11) CE, Sect., 7 octobre 1994, n° 124244, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3055ASX), p. 430, avec les conclusions de R. Schwartz.
(12) CE 5° et 7° s-s-r., 10 décembre 2003, n° 248950, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4046DA4), p. 501.
(13)CE, Ass., 28 décembre 2009, n° 304802, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0493EQC), p. 509.
(14) CE 2° et 7° s-s-r., 21 février 2011, n° 337349, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7022GZ4).
(15) CE 5° et 7° s-s-r., 10 décembre 2003, n° 248950, publié au recueil Lebon, préc..
(16) CE, Sect., 7 octobre 1994, n° 124244, publié au recueil Lebon, préc..
(17) Voyez, pour un exemple de régularisation après l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte détachable d'un contrat, CE 2° et 7° s-s-r., 8 juin 2011, n° 327515, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5427HT8), p. 278.
(18) Thèse qui paraît séduisante puisque la différence d'office du juge de l'exécution, selon qu'est en cause un contrat administratif ou de droit privé, recouvre à notre sens une question de compétence juridictionnelle.
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