Le Quotidien du 20 mars 2025 : Expropriation

[Jurisprudence] Méthode d’identification d’un terrain en situation privilégiée en cas d’expropriation partielle

Réf. : Cass. civ. 3, 6 mars 2025, n° 23-22.427, FS-B N° Lexbase : A4423639

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N1861B3C

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par Goulven Le Ny, Avocat au barreau de Nantes

le 12 Mars 2025

Mots clés : expropriation • situation privilégiée • expropriation partielle • terrain à bâtir • indemnités

La notion de terrain en situation privilégiée désigné le terrain situé à proximité d’infrastructures, de zones urbanisées ou d’une situation exceptionnelle, lui conférant un potentiel de valorisation supérieur à celui d’un terrain inconstructible, sans pour autant être assimilable à un terrain à bâtir (I). Si la Cour de cassation a précisé les modalités d’évaluation d’un terrain à bâtir en cas d’expropriation partielle il y a plusieurs années, la transposition du principe dégagé aux terrains en situation privilégiée était attendue pour trancher la question. Il est désormais acté qu’en cas d’expropriation partielle d’un terrain en situation privilégiée, l’évaluation doit prendre en compte l’ensemble de la parcelle d’origine et non uniquement la partie expropriée. En particulier, l’expropriant ne peut arguer que la partie expropriée est dans une situation moins privilégiée que l’ensemble pour prétendre à verser une indemnisation moindre (II).


 

I. Identification d’un terrain en situation privilégiée

Le terrain en situation privilégiée est une notion prétorienne, dégagée par la jurisprudence de la Cour de cassation : « situé à proximité immédiate, d'une part, d'un établissement industriel, d'autre part, d'une voie de circulation comportant tous les éléments de viabilité même s'il n'est pas contesté qu'ils étaient de capacité insuffisante pour la superficie des parcelles expropriées, le terrain se trouvait en situation privilégiée » [1].

La situation privilégiée ne peut être reconnue que si la parcelle expropriée présente des caractéristiques différentes de celles des parcelles objet des cessions amiables voisines et faisant partie de la même opération [2].

Cette qualification a pu être admise en raison :

  • de « la proximité d'une zone fortement urbanisée et la situation en bordure d'une voie de circulation asphaltée » [3] ;
  • de la situation « en surplomb dominant la mer, desservie par une route bitumée pour l'un et par un accès aisé mais non bitumé pour l'autre, à proximité immédiate d'un lotissement situé en zone urbanisée constructible, des réseaux desservant ce lotissement et de nombreux services » [4].

Un terrain placé dans une telle situation ne peut être évalué comme un terrain inconstructible en raison de son potentiel, quand bien même le législateur interdit la prise en compte « des changements de valeur subis depuis cette date de référence, s'ils ont été provoqués par l'annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d'utilité publique est demandée, par la perspective de modifications des règles d'utilisation des sols ou par la réalisation dans les trois années précédant l'enquête publique de travaux publics dans l'agglomération où est situé l'immeuble » [5].

Il ne peut pas pour autant être évalué comme un terrain à bâtir, puisque la définition de terrain à bâtir est strictement définie par la loi [6].

Le juge doit rechercher si les parcelles expropriées, auxquelles la qualification de terrain à bâtir était refusée, peuvent bénéficier d'une plus-value compte tenu de leur situation privilégiée [7]. Cette situation privilégiée doit être caractérisée à la date de référence [8].

II. Application en cas d’expropriation partielle

L’expropriation partielle concerne la situation dans laquelle seule une fraction de la parcelle fait l’objet de l’expropriation.

La Cour de cassation complète cette jurisprudence pour préciser les modalités de prise en compte de la situation privilégiée d’un terrain en cas d’expropriation partielle.

La Cour réitère que la situation privilégiée doit être caractérisée à la date de référence [9].

Elle ajoute que « en cas d'expropriation partielle, la qualification, à la date de référence, des terrains expropriés et leur éventuelle situation privilégiée s'apprécient, à cette même date, au regard de l'entière parcelle dont l'emprise a été détachée, et non en fonction de la seule emprise, qui résulte de l'expropriation » et que « la configuration à prendre en compte était celle de la parcelle dans son ensemble et non celle de l'emprise » [10].

En l’espèce, la cour d’appel a correctement tenu compte de cette exigence en constatant que la parcelle partiellement expropriée était vouée à l'habitat en raison de son classement en zone AU1, et non à un seul usage de parking et de voirie, et a souverainement retenu les termes de comparaison qui lui apparaissaient les mieux appropriés, et calculé, en conséquence, l'indemnité devant revenir à l’exproprié en fonction de la superficie de la seule emprise [11].

Cette solution ne paraît pas surprenante, puisque la Cour de cassation avait déjà jugé en 2016 qu’en cas d'expropriation partielle d'un terrain, la qualification de terrain à bâtir doit être examinée en tenant compte de la situation de l'unité foncière d'origine et non de la situation de l’emprise expropriée.

Elle avait ainsi écarté l’argumentaire de l’expropriant repris par la cour d’appel, laquelle avait jugé que située en fond de terrain, la fraction expropriée était éloignée du chemin et des réseaux entraînant une moindre valeur [12].

Cette solution protectrice des expropriés doit conduire les expropriants à revoir leurs approches d’évaluation des indemnités à verser en cas d’expropriation partielle d’un terrain en situation privilégiée.

 

[1] Cass. civ. 3, 1er décembre 1993, n° 92-70.457 N° Lexbase : A8493CKR.

[2] Cass. civ. 3, 20 janvier 2015, n° 13-15.543 N° Lexbase : A2654NAK.

[3] Cass. civ. 3, 10 octobre 1995, n° 94-70.252 N° Lexbase : A0494CRQ.

[4] Cass. civ. 3, 25 juin 2020, n° 19-15.679 N° Lexbase : A0494CRQ.

[5] C. expr., article L. 322-2 N° Lexbase : L9923LMH ; Cass. civ. 3, 1er décembre 1993, n° 92-70.457, préc.

[6] C. expr., article L. 322-3 N° Lexbase : L7995I4U.

[7] Cass. civ. 3, 23 septembre 2020, 19-20.431 N° Lexbase : A06713WR.

[8] Cass. civ. 3, 30 janvier 2019, 17-31.797 N° Lexbase : A9892YUW.

[9] Cass. civ. 3, 6 mars 2025, n° 23-22.427 N° Lexbase : A4423639 ; Cass. civ. 3, 30 janvier 2019, 17-31.797, préc.

[10] Cass. civ. 3, 6 mars 2025, n° 23-22.427, préc.

[11] CA Aix-en-Provence, 7 septembre 2023, n° 22/00035.

[12] Cass. civ. 3, 7 janvier 2016, 14-24.969 N° Lexbase : A3876N3X ; voir également pour une application : CA Paris, 15 février 2024, n° 23/05971 N° Lexbase : A12252P3.

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