Le Quotidien du 11 mars 2025 : Successions - Libéralités

[Commentaire] Où l’héritier sommé ne peut plus être assommant : retour sur les effet de la sommation d’avoir à opter

Réf. : Cass. civ. 1, 5 février 2025, n° 22-22.618, F-B+R N° Lexbase : A60546TE ; Rejet pourvoi c/ CA Nîmes, 7 juillet 2022, n° 21/00552 N° Lexbase : A04748B8

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par Jérôme Casey, Avocat associé au Barreau de Paris, Ancien Maître de conférences des Universités

le 10 Mars 2025

Mots-clés : successions • option successorale • délai d'option • sommation • acceptation pure et simple

Il résulte des articles 771 et 772 du Code civil que l'héritier qui, à l'expiration d'un délai de quatre mois à compter de l'ouverture de la succession, a été sommé de prendre parti dans les deux mois qui suivent la sommation, et qui, s'étant abstenu de le faire à l'expiration de ce délai sans solliciter de délai supplémentaire auprès du juge, est réputé acceptant pur et simple de la succession et ne peut plus ni y renoncer, ni l'accepter à concurrence de l'actif net.


 

Selon l'article 771 du code civil N° Lexbase : L9844HNW, à l'expiration d'un délai de quatre mois à compter de l'ouverture de la succession, l'héritier peut être sommé, par acte extrajudiciaire, de prendre parti à l'initiative d'un créancier de la succession, d'un cohéritier, d'un héritier de rang subséquent ou de l'Etat.

L'article 772 du même code N° Lexbase : L9845HNX dispose :

Dans les deux mois qui suivent la sommation, l'héritier doit prendre parti ou solliciter un délai supplémentaire auprès du juge lorsqu'il n'a pas été en mesure de clôturer l'inventaire commencé ou lorsqu'il justifie d'autres motifs sérieux et légitimes. Ce délai est suspendu à compter de la demande de prorogation jusqu'à la décision du juge saisi.

A défaut d'avoir pris parti à l'expiration du délai de deux mois ou du délai supplémentaire accordé, l'héritier est réputé acceptant pur et simple. »

Il en résulte qu'à l'expiration de ce délai, s'il n'a pas pris parti et n'a pas sollicité de délai supplémentaire auprès du juge, étant réputé acceptant pur et simple de la succession, il ne peut plus y renoncer, ni l'accepter à concurrence de l'actif net.

Après avoir relevé que par actes d'huissier de justice des 17, 18 et 19 juillet 2019, le syndicat des copropriétaires avait, en application de l'article 771 du code civil, sommé M. [U] [L], Mme [Z] [L] et M. [G] [L] d'exercer leur option successorale, la cour d'appel a exactement retenu que le délai de deux mois imparti avait valablement couru à compter de ces sommations et qu'à défaut d'avoir pris parti dans ce délai, ceux-ci avaient perdu le droit de renoncer à la succession respectivement à compter des 18, 19 et 20 septembre 2019, de sorte que les actes de renonciation établis par eux postérieurement à ces dates étaient inopérants et que la copropriété, créancière de leur père, était recevable à agir à leur encontre en paiement de la dette du défunt, en leur qualité d'héritiers.

Observations. Un défunt meurt en laissant une ardoise au syndicat des copropriétaires de son immeuble. Le syndic somme les enfants du défunt d’avoir à opter sur le fondement de l’article 771 du Code civil N° Lexbase : L9844HNW. À l’issue du délai de deux mois prévu par ce texte, la situation est inchangée puisqu’ aucun héritier n’a exprimé sa position quant à l’option successorale. Le syndic, les considérant comme acceptants purs et simples, assigne donc les héritiers en paiement de la dette du défunt. Une cour d’appel accueille cette demande et condamne les héritiers solidairement au paiement de la dette. Ces derniers forment un pourvoi, estimant que la sanction de l’article 771 du Code civil (être réputé acceptant à défaut de réponse dans les deux mois de la sommation) n’empêche pas l’héritier sommé « de renoncer efficacement à la succession, même après l'expiration de ces délais, tant qu'une décision judiciaire le déclarant acceptant pur et simple n'est pas encore passée en force de chose jugée ».

 La Cour de cassation rejette le pourvoi, estimant que, passé le délai de deux mois, si l’héritier n'a pas pris parti et n'a pas sollicité de délai supplémentaire auprès du juge, il est réputé être acceptant pur et simple de la succession, de sorte qu’il ne peut plus y renoncer, ni l'accepter à concurrence de l'actif net.

 La solution ne suprendra personne. En effet, la thèse du pourvoi était un peu datée, puisqu’elle reprenait la doctrine d’un arrêt de 1975 qui avait posé en principe (sur le fondement de l’article 789 ancien du Code civil) que tant que l’héritier n’a pas fait d’acte d’héritier, il peut valablement renoncer à la succession (bien que le délai pour prendre parti sur la succession soit expiré) tant que la condamnation au passif  n’est pas passée en force de chose jugée (Cass. civ. 1, 4 mars 1975, n° 73-14.859, publié au bulletin N° Lexbase : A9945CE3).

 Rénovant son analyse, la Cour de cassation refuse ce raisonnement en affirmant que l’acquisition du délai de deux mois de l’article 771 fait basculer l’héritier dans un dispositif légal aux termes duquel l’héritiers silencieux « est » renonçant pur et simple. La Cour dit qu’il « est réputé » (acceptant), en une formule bien connue, qui marque soit une présomption irréfragable, soit une fiction légale. En l’espèce, c’est la fiction légale qui est utilisée : l’héritier est, par fiction de la loi, réputé avoir déjà exercé l’option (acceptation pure et simple). Ainsi, ayant déjà exercé l’option, point n’est besoin qu’un jugement de condamnation passe en force de chose jugée pour que le délai de deux mois déploie tous ses effets : l’héritier « est » un héritier acceptant pur et simple. Il nous semble qu’il eût été peut-être plus simple de juger que, par l’acquisition du délai de deux mois, l’héritier resté silencieux devient acceptant pur et simple par l’effet de la loi, car c’est bien cela qui se produit. L’héritier est confirmé dans son titre de successeur (avec l’obligation ultra vires qui va avec), et c’est en raison de cette obligation au passif que le créancier peut agir contre lui immédiatement.

 Ainsi, on voit que le dispositif légal des articles 771 N° Lexbase : L9844HNW et 772 N° Lexbase : L9845HNX du Code civil ménage la liberté d’option de l’héritier. Ce dernier est libre de renoncer ou d’accepter la succession, mais cette liberté est encadrée. Les tiers (ou ses cohéritiers) n’ont pas à attendre son bon vouloir. Il bénéficie déjà d’une période de « deuil » de quatre mois (C. civ., art. 771), pendant laquelle personne ne peut le sommer d’avoir à opter. Mais au-delà de cette période initiale, les tiers (ou ses cohéritiers) peuvent le contraindre à opter, et cette option s’exprimera soit expressément, soit découlera du silence conservé. Mais dans les deux cas, l’option aura été exercée, par l’effet de sa volonté expresse ou par l’effet de la loi (laquelle tire toutes conséquences de sa volonté de rester silencieux).

 On voit donc bien que le délai de deux mois n’est en rien un délai de prescription, lequel serait assez baroque puisque la prescription de l’option successorale est de dix ans à compter de l’ouverture de la succession. La présente décision pose un principe plus cohérent. Le délai de l’option successorale se prescrit par dix ans (en l’absence de sommation ou d’acte d’héritier), mais si d’aventure un créancier (ou un cohéritier) utilise, après les quatre mois suivant le décès, le système de la sommation d’avoir à opter, on change de logique, en abandonnant celle de la prescription pour celle de l’exercice de l’option. À compter de la sommation, l’héritier peut soit opter expressément, soit opter silencieusement, mais alors ce sera seulement en faveur de l’acceptation pure et simple de la succession, et ceci par l’effet de la loi, ainsi qu’il a été vu.

 On peut donc le dire simplement : sommer d’avoir à opter, c’est sommer d’avoir à exercer l’option successorale, et la loi, vigilante, déclare que l’option est l’acceptation pure et simple si d’aventure l’héritier sommé devait rester silencieux. On ne peut qu’approuver le choix opéré par la Cour en l’espèce, qui sécurise les créanciers et leur évite tous les errements (et les pertes de temps) auxquels la jurisprudence de 1975 pouvait conduire. Le silence post-sommation constitue donc, par effet de la loi,  une forme d’exercice de l’option successorale. Se taire après sommation, c’est donc exercer un choix en toute connaissance de cause, celui de devenir acceptant pur et simple. Voilà qui est heureux en termes d’accélération du règlement de la succession. Encore faut-il que les tiers (ou les cohéritiers) fassent sommation d’avoir à opter. Cette pratique se répand doucement, et la présente décision, promise à publication au Rapport annuel de la Cour, n’en est donc que plus utile et nécessaire.

 En conclusions, on peut donc dire que l’héritier sommé, par son silence conservé pendant plus de deux mois, ne sera plus assommant puisqu’il sera déclaré acceptant pur et simple de la succession. Il est donc vivement conseillé à l’héritier ayant reçu une sommation d’avoir à opter de ne pas laisser la loi décider à sa place, et donc de lui recommander d’opter positivement dans le délai requis. Cependant, si jamais il estimait ne pas avoir les éléments nécessaires pour cela, deux solutions s’offrent à lui : l’acceptation à concurrence de l’actif net et la demande judiciaire de prorogation de délai. La demande de prorogation est sans doute plus risquée que l’acceptation concurrentielle, mais cette dernière l’obligera à régler le passif réclamé dès la créance déclarée avec l’actif successoral disponible, ce qui n’est pas toujours possible, ou aisé. On voit donc bien que la sommation d’avoir à opter provoque une brutale accélération de l’option successorale, et donc du règlement de la succession. Cela est indiscutablement une bonne chose, même s’il nous semble que le délai pour prendre parti (deux mois) est sans doute un peu bref, du moins si la sommation est délivrée pile quatre mois après le décès. Avant d’en arriver à une demande judicaire de prorogation, on aurait pu imaginer un délai un peu plus long, le temps de réunir les informations liées au passif possible grevant la succession. On sait, par exemple, que les banques ne répondent pas toujours très rapidement (parfois c’est par retour, parfois c’est bien plus long), De même, la recherche d’immeubles peut être longue, de sorte que la reconstitution de l’actif successoral est loin d’être toujours aisée. Dans ces conditions, le délai de deux mois post sommation peut sembler très court, même si une prorogation judicaire est possible. La judiciarisation, même à fins de réflexion et de recherche d’éléments sur la composition (active ou passive) de la succession, n’est jamais la bonne solution pour les justiciables.

 Au total, l’arrêt commenté ne peut qu’être approuvé, tant il est cohérent par rapport aux intentions du législateur et à la nécessité d’accélérer les règlements successoraux. Cependant, dans ce dispositif légal, on peut se demander si le délai de deux mois n’est quand même pas un peu bref, surtout quand la sommation est délivrée juste après le délai de carence de quatre mois. Mais c’est évidemment la loi qui est ici en cause, non la présente décision, laquelle est pleinement justifiée.

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