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[Observations] Constat internet : liens profonds et autres complications

Réf. : TJ Paris, 3ème chambre, 1ère section, 23 janvier 2025, n° 22/03006 N° Lexbase : A20936SC

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N1807B3C

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par Sébastien Racine, commissaire de justice à Paris

le 06 Mars 2025

Mots clés : droit des marques • parasitisme • constat • commissaire de justice • liens profonds • horodatage des captures d’écran.

En matière de procès-verbal de constat, la méthode et la forme sont deux exigences de premier plan pour tout professionnel de la preuve qui souhaite voir ses constatations revêtues d’une force probante peu contestable. La matière des constatations sur internet, loin de déroger à cette affirmation, y donne au contraire un écho particulièrement strict, soumettant le procès-verbal de constat à un contrôle minutieux. C’est ce que la 3ème chambre du tribunal judiciaire de Paris est venue nous rappeler dans une matière particulièrement friande de constat internet, à savoir la propriété intellectuelle.


 

La décision du 23 janvier 2025 rendue par la 3ème chambre, 1ère section, du tribunal judiciaire de Paris concerne un litige relativement courant entre deux sociétés dans le domaine du droit des marques. D’un côté, la société suisse Swixim International, qui a développé un réseau international de professionnels de l’immobilier (agents et courtiers) dans plusieurs pays, dont la Suisse et la France, dans le cadre juridique de la franchise. La société Swixim France Développement (Swixim France) est licenciée exclusive des marques déposées par Swixim International sur le territoire français, notamment la marque française SWIXIM (n° 3340406) et la marque semi-figurative de l’Union européenne (n° 6316574).

De l’autre côté, la société Suisse Immo a mis en place un réseau de professionnels de l’immobilier, constitué d’agences physiques et d’agents mandataires, sous la dénomination Suisse Immo, qu’elle a étendu sous forme de franchises dans plusieurs départements français. À ce titre, Suisse Immo est titulaire des marques françaises semi-figurative (n° 4372113) et verbale Suisse Immo (n° 4504295).

Comme souvent dans ce secteur, les deux sociétés exploitent chacune un site internet pour leurs activités commerciales. C’est à cette occasion que Swixim France a reproché à la société Suisse Immo de reproduire son nom ainsi que son logo dans des annonces immobilières publiées sur les sites « suisse-immo.fr » et « suisse-immo-besançon.fr ». Pour préserver ses droits, Swixim France a fait appel à un commissaire de justice pour dresser un procès-verbal de constat portant sur cette utilisation qu’elle considère comme illicite.

Outre la question de la contrefaçon, le principal intérêt de cette décision réside dans le traitement de la preuve, à savoir le procès-verbal de constat établi sur Internet. En effet, ce constat a été privé de toute force probante et a été écarté des débats. Cette sanction [1] s’inscrit dans une logique cohérente et mérite d’être saluée.

Cependant, les raisons ayant conduit à cette privation de force probante méritent une analyse plus approfondie et nuancée. La décision repose sur une approche méthodologique dans l’appréciation de la validité du constat, en vérifiant dans un premier temps la bonne application du protocole prétorien préalable aux constatations. Après cette vérification, le tribunal se penche successivement sur la question de l’utilisation des liens profonds et sur celle de l’horodatage des captures d’écran.

À la lecture de cette décision, une interrogation se pose sur la portée de celle-ci, notamment en ce qui concerne la création de nouvelles contraintes techniques, méthodologiques et formelles à la charge du commissaire de justice dans l’exercice de sa mission de constatation.

Ainsi, il apparaît pertinent d’analyser dans un premier temps l’exigence du protocole prétorien et son impact sur la question de l’horodatage (I). Dans un second temps, il convient d’aborder la pratique des liens profonds, dont la prohibition doit être nuancée (II).

I. Protocole prétorien et horodatage, lien étroit

La jurisprudence et la doctrine ont établi, au fil du temps, une hiérarchie dans les règles dites de prérequis techniques, considérées comme nécessaires pour garantir l’intégrité, la fiabilité et l’efficacité des constatations dressées par un commissaire de justice sur Internet. La décision de la troisième chambre ne déroge pas à ce courant (A). Cependant, elle semble vouloir limiter leur portée pourtant bien établi en sanctionnant l’absence d’horodatage des captures d’écran (B).

A. Prééminence du protocole prétorien

Pendant plusieurs années, la norme AFNOR NF Z67-147 de septembre 2010 fut considérée comme une exigence incontournable et obligatoire, tant par la doctrine que par la jurisprudence. Cependant, ce courant s’est finalement inversé sous l’impulsion de la jurisprudence, qui a estimé qu’elle ne pouvait avoir une force contraignante [2]. La conséquence fut la mise en avant d’un protocole prétorien, au fil des décisions de justice. Ce protocole, plus pragmatique, a relégué la norme AFNOR au statut de simple recueil de bonnes pratiques [3].

L’objectif de ces vérifications techniques préalables est rappelé par la décision qui souligne que « garantir la fiabilité et la force probante des constatations sur Internet ».

Le contenu du protocole [4] est rappelé par la décision comme suit « il appartient au commissaire de justice instrumentaire de procéder à la description du matériel ayant servi aux constatations, de mentionner l’adresse IP de l’ordinateur ayant servi aux opérations de constat, de s’assurer d’une connexion directe entre l’ordinateur et le site visité, de vider la mémoire cache du navigateur préalablement à l’ensemble des constatations, de supprimer l’ensemble des fichiers temporaires stockés sur l’ordinateur ainsi que les cookies et l’historique de navigation ». Il y est également ajouté « Il a en outre décrit dans le corps du procès-verbal les diligences opérées relativement […] à la synchronisation de la date et de l’horloge de l’ordinateur […]. »

Il ressort de ces vérifications que le commissaire de justice doit s’assurer de la maîtrise technique de l’outil servant à ces constatations. En outre, il doit également s’assurer qu’aucun élément sur l’ordinateur n’est de nature à altérer le contenu des pages visitées au cours de sa navigation. Sur ce point, la décision confirme que le procès-verbal est conforme aux règles en vigueur.

B. L’horodatage, obligatoire ou opportun ?

Parmi les vérifications réalisées dans le cadre du constat attaqué, il est indiqué que la synchronisation de la date et de l’heure a été effectuée préalablement et constatée.

Cette vérification préalable permet deux choses : garantir la précision de l’heure de l’ordinateur et acter le début des opérations de constatation.

Dans les faits, la mention de l’heure n’est pas obligatoire. Elle n’est à ce titre pas visée par l’article 648 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6811H7E. À ce titre, il semble opportun de rappeler que ces mentions présentes dans le procès-verbal de constat font foi jusqu’à inscription de faux. Pour autant, la mention de l’heure est parfois requise dans certains actes de procédure comme le procès-verbal de saisie-attribution. En tout état de cause, cette mention revêt de fait, au même titre que la date, une force authentique.

En matière de constat, la mention de l’heure s’avère parfois opportune, sans pour autant être obligatoire. En matière de tapage nocturne, par exemple, ou encore lors d’un constat de non-présentation d’enfant. À l’inverse, la mention de l’heure est indifférente, par exemple, en matière d’état des lieux.

Sa mention peut être directe, avec la mention aux côtés de la date de l’heure du début des constatations, ou indirecte, par exemple au moment de la vérification de la bonne synchronisation des dates et heures de l’ordinateur, ou alors lorsqu’elle apparaît sur les captures d’écran englobant la barre des tâches. En revanche, l’horodatage des captures d’écran n’est pas une obligation, même si, dans certains cas, elle peut être opportune, voire nécessaire pour rendre les constatations utiles.

Dans le cas d’espèce, il n’est pas fait mention d’une absence de date, et il est indiqué que la vérification de la synchronisation de la date et de l’heure de l’ordinateur préalablement aux constatations a été réalisée. Il ressort donc des affirmations du magistrat que la date de début des opérations de constatation est connue. En conséquence, l’affirmation du magistrat selon laquelle « les captures d’écran des pages internet annexées au procès-verbal ne comportent ni date ni heure, ce qui ne garantit pas que les pages étaient accessibles au jour du constat » semble de prime abord contradictoire, et doit, à notre sens, être nuancée. En effet, l’indication des dates et heures des constatations remplit ce rôle.

De plus, cette affirmation en paragraphe numéro 35 de la décision fait suite à la mention du paragraphe précédent qui vise la présence dans le constat de captures d’écran annexées, sans qu’il en soit pour autant fait mention par le commissaire de justice. Ces captures d’écran ne semblent pas s’intégrer dans les constatations réalisées par le commissaire de justice, de sorte qu’elles ne bénéficient pas de la date du procès-verbal de constat. Il est important de préciser que, si ces documents sont ceux du requérant et servent à soutenir les constatations du commissaire, leur horodatage peut présenter un intérêt formel, bien que l’ajout de ces éléments au constat ne leur confère aucune force probante, puisqu’ils n’ont pas été constatés personnellement par le commissaire de justice.

Il ne nous semble donc pas qu’une règle de principe soit ici établie, de sorte que l’exigence d’horodatage concernerait ici les éléments annexés au procès-verbal non constatés par le commissaire de justice personnellement.

Il est enfin important de rappeler que, en ce qui concerne le rapport au temps, les constatations sont parfois transportées dans le passé. Ainsi, il a été reconnu à plusieurs reprises la validité des constatations sur des sites comme Webarchive, qui ont pour particularité de présenter des pages dans leurs versions antérieures. Dans ce cas précis, l’horodatage de la capture d’écran ne semble pas déterminant.

II. Lien profond, bon et mauvais usages

Lors de la réalisation d’un constat, la clarté et la précision des opérations et manipulations réalisées par le commissaire de justice sont la clé. Lorsque l’on souhaite accéder à une page, l’utilisation d’un lien profond est souvent considérée comme un raccourci malvenu. C’est la raison pour laquelle on lui préfère la navigation détaillée dite correspondant à celle de l’internaute moyen.

Cependant, une sanction absolue de l’utilisation d’un lien profond semble peu opportune et dangereuse (A). En revanche, la clarté des opérations de navigation réalisées par le commissaire de justice demeure une exigence absolue (B).

A. La prohibition de l’utilisation de lien profond, une sanction à nuancer

Le lien profond est une notion fréquemment utilisée dans le domaine du référencement. Il désigne un type d’URL de destination dans une annonce qui redirige les utilisateurs vers une page spécifique d’un site internet. L’intérêt de ce procédé est de guider directement l’utilisateur vers un contenu précis, sans qu’il ait à passer par une navigation parfois longue et fastidieuse sur le site.

L’utilisation de ces liens est devenue stratégique, notamment en termes de référencement. Par ailleurs, à notre époque où plus de 90 % du trafic internet provient des moteurs de recherche, dont la fonctionnalité principale est de proposer ces liens profonds sous différentes formes, reléguant aux oubliettes la navigation traditionnelle par saisie dans l’adresse URL du navigateur pour l’adresse d’un site internet.

Il est donc correct d’indiquer que le mode de navigation de l’internaute moyen est la navigation via les moteurs de recherche et donc les liens profonds.

Dans la pratique du constat internet, il est de plus en plus fréquent de passer volontairement par le moteur de recherche, afin notamment d’apporter la preuve d’une accessibilité accrue à la page concernée en raison de son référencement. En matière de droit des marques, et de parasitisme, c’est d’ailleurs une preuve qui semble incontournable à rapporter, quand la société qui s’estime lésée fait constater que l’utilisation de sa marque comme requête de recherche renvoie directement vers des liens d’un site concurrent, qu’ils soient normaux ou sponsorisés.

Notre cas d’espèce est clairement différent puisque le commissaire de justice a procédé à la visite de pages internet en saisissant directement l’adresse URL de la page concernée. Si le magistrat ne fait pas de distinction entre l’utilisation d’un lien profond - qui est par nature cliquable - et la saisie directe de l’URL dans le navigateur, il sanctionne le constat dans la mesure où le procédé choisi pour la navigation n’est pas de nature à apporter la preuve de l’accessibilité de la page par l’internaute via une navigation classique, qu’il estime comme nécessaire pour cette affaire. S’il est vrai que cette preuve n’est pas apportée, il semble également juste d’indiquer que dans l’hypothèse où le commissaire de justice avait pris soin de passer par un moteur de recherche et un lien profond proposé, la solution aurait été différente.

Par ailleurs, cette décision semble occulter l’idée selon laquelle il est tout de même apporté la preuve de l’existence et du contenu de la page, et malgré tout d’une certaine accessibilité. En effet, des liens profonds peuvent perdurer, alors que la page n’est plus accessible via une navigation classique sur le site internet qui l’héberge. Ainsi, si le lien profond est actif et sa page de destination, par voie de conséquence, par exemple dans des campagnes de publicité, qu’il s’agisse de SMS, de réseaux sociaux ou de courriels.

B. L’exigence de clarté dans le constat, une obligation sans nuance

Notre rôle de « constatant » fait de nous un auxiliaire de justice au service du magistrat. Nous lui prêtons nos sens pour procéder à des constatations matérielles, et nous lui restituons ensuite de la manière la plus pure et exacte qui soit. L’idée est qu’en lisant nos procès-verbaux, les magistrats soient à même de ressentir ce que l’on ressent, entendre ce que l’on entend, et voir ce que l’on voit.

La rédaction de nos procès-verbaux doit donc faire l’objet d’un soin particulier, et nécessairement s’adapter dans son contenu à la preuve que l’on souhaite rapporter. Cela signifie aussi que, comme nous l’avons vu précédemment, la méthode doit être adaptée et ciblée sur l’objectif probatoire.

Ce qui ressort finalement de la décision, c’est que l’absence de clarté et de précision dans la rédaction du procès-verbal est fautive. Cela n’est pas critiquable, car les constatations doivent être suffisamment claires et précises pour bénéficier de la pleine confiance du magistrat. Il est important de rappeler que la description détaillée des opérations de navigation effectuées lors des constatations est tout aussi essentielle que le contenu des captures d’écran, car elle permet au magistrat de comprendre et d’apprécier l’accessibilité du contenu litigieux. La sanction de l’utilisation du lien profond, ou le problème de l’horodatage auraient été évités par une rédaction moins lapidaire et correspondant au standard de la profession en la matière.

C’est, à notre sens, la somme d’inexactitudes et de lacunes visibles dans le procès-verbal de constat que le magistrat sanctionne. Il semble donc important de ne pas décontextualiser les réflexions du magistrat, qui sont un faisceau d’éléments qui, pris dans leur ensemble, vident le procès-verbal de son âme, de sa substance et de sa force probante.


[1] S. Dorol, La dévaluation, nouvelle sanction du constat Internet imparfait ? Procédures, 2016, ét. 12

[2] CE, 28 juillet 2017, n° 402752, inédit N° Lexbase : A0686WQH.

[3] CA Caen, 14 janvier 2016, n° 14/01620, inédit N° Lexbase : A6952N3U ; CA Lyon, 28 novembre 2013, n° 12/01964, inédit ; CA Paris, 27 février 2013, n° 11/11785, inédit N° Lexbase : A6456I8M.

[4] V. sur ce point : A. Bobant et E. A. Caprioli, Le constat en ligne par l’huissier de justice, Dr et proc., 2007, p. 192.

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