Lecture: 6 min
N1522B3R
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Ludovic Lombard, Docteur en droit, Consultant en gestion de services publics, cabinet COGITE
le 06 Mars 2025
À l’image des autres impôts économiques tels que l’impôt sur les sociétés, la TVA est applicable aux organismes publics selon un équilibre parfois délicat entre leurs missions d’intérêt général et une logique de marché. L’arbitrage est d’autant plus hésitant que l’identification de la mission d’intérêt général ou de la logique de marché résulte d’une appréciation au cas par cas par le juge.
Ainsi, la jurisprudence, à l’instar de la jurisprudence européenne, précise régulièrement et systématiquement désormais que « le non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée prévue en faveur des personnes morales de droit public énumérées au paragraphe 1 de de l'article 13 de la « Directive TVA » du 28 novembre 2006, qui déroge à la règle générale de l'assujettissement de toute activité de nature économique, est subordonné à deux conditions cumulatives tenant, d'une part, à ce que l'activité soit exercée par un organisme agissant en tant qu'autorité publique et, d'autre part, à ce que le non-assujettissement ne conduise pas à des distorsions de concurrence d'une certaine importance » [1].
Cette jurisprudence établie reprend les principes posés par la Cour de Justice de l’Union européenne et synthétisés dans la décision « Saudaçor » du 29 octobre 2015, que les différentes décisions des juridictions françaises reprennent dans le corps des décisions.
Il s’agit d’abord de l’interprétation donnée à l’exercice d’une activité en tant qu’autorité publique. Sont concernées les activités exercées « dans le cadre du régime juridique particulier aux personnes morales de droit public » [2].
Il s’agit ensuite de s’assurer que le non-assujettissement à la TVA n’entraîne pas de distorsion de concurrence. Cette condition est appréciée « par rapport à l'activité en cause, en tant que telle, indépendamment de la question de savoir si ces organismes font face ou non à une concurrence au niveau du marché local sur lequel ils accomplissent cette activité, ainsi que par rapport non seulement à la concurrence actuelle, mais également à la concurrence potentielle ». L’examen de la concurrence peut s’appuyer sur des fondements théoriques divers, parfois incompatibles. La solution dégagée par la jurisprudence européenne est en conséquence équilibrée bien que parfois contradictoire dans ses objectifs [3]. Ainsi, la concurrence doit être examinée en fonction de l’activité en tant que telle d’une part, mais d’autre part, en fonction de la possibilité « d’entrer sur un marché pertinent » [4]. Surtout, le juge examine les conditions d’exploitation de l’activité pour déterminer le niveau des distorsions de concurrence [5].
L’examen au cas par cas des situations entraîne une jurisprudence relativement nourrie sur le sujet, bien que certaines situations récurrentes permettent d’établir une relative stabilité dans l’appréciation de l’assujettissement à la TVA des organismes publics.
Il est désormais admis que les organismes publics agissent en tant qu’autorité publique lorsqu’ils délivrent des autorisations d’occupation du domaine public. Et dans la mesure où elles sont les seules à pouvoir octroyer ce type de titre, elles n’entrent pas en concurrence avec des entreprises privées. Dès lors, elles ne sont pas assujetties à la TVA sur les redevances d’occupation du domaine public qu’elles perçoivent. Ainsi, dans sa décision du 17 octobre 2024, la CAA de Nancy s’inscrit dans ce courant en reconnaissant que le Port autonome de Strasbourg, établissement public administratif, n’est pas assujetti à la TVA pour les redevances qu’il perçoit au titre des conventions d’occupation du domaine public ayant pour objet le stationnement sur le plan d’eau et la mise à disposition des installations techniques à quai [6].
Il est également admis qu’un syndicat mixte exerce son activité dans le cadre d’un régime juridique propre aux personnes morales de droit public, donc en qualité d’autorité publique [7]. Toutefois, dès lors que ce syndicat mixte exploite une base de loisir dans les mêmes conditions qu’une entreprise privée, sans qu’il ne soit apporté la preuve que cette activité est exploitée en accordant des tarifs préférentiels à certains publics par exemple, alors il doit être assujetti à la TVA pour cette activité.
Bien que l’application du régime de TVA soit relativement stabilisée désormais, il arrive que des décisions surprenantes à première vue puissent être prises par les juges du fond. C’est ainsi que le tribunal administratif de Paris, dans sa décision du 22 octobre 2024 [8], a admis que la Région Bretagne n’était pas assujettie à la TVA au titre des redevances perçues dans le cadre d’une délégation de service public.
Le juge procède à une analyse classique, d’abord en examinant si la Région agit en qualité d’autorité publique, puis en appréciant les distorsions de concurrence en cas de non-assujettissement à la TVA. Il en déduit que la Région ne doit pas être assujettie. Cette solution peut apparaître surprenante dans la mesure où, selon le bulletin officiel des finances publiques, « lorsqu'une collectivité territoriale confie l'exploitation d'un service à un tiers, la mise à disposition à titre onéreux des investissements que la collectivité a réalisés est constitutive d'une activité économique imposable. Par conséquent, la redevance d'affermage qui lui est versée par son délégataire en contrepartie de cette mise à disposition est soumise à la TVA » [9].
Ces exemples jurisprudentiels tendent à démontrer que si la jurisprudence en matière d’assujettissement à la TVA des organismes publics semble aujourd’hui stabilisée, l’appréciation au cas par cas qui en résulte peut se révéler source d’insécurité juridique pour ces organismes.
[1] CE 9° et 10° ch.-r., 7 avril 2023, n° 463241, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A29809NP.
[2] CAA Nancy, 17 octobre 2024, n° 23NC03772 N° Lexbase : A69886BG.
[3] Sur une appréciation de cette formulation, L. Lombard, Retour sur l’assujettissement à la TVA des collectivités territoriales, Lexbase Fiscal, septembre 2021, n° 875 N° Lexbase : N8552BYE.
[4] CAA Paris, 22 novembre 2024, n° 23PA02763 N° Lexbase : A28226KQ.
[5] CAA Paris, 22 novembre 2024, n° 23PA02763.
[6] CAA Nancy, 17 octobre 2024, n° 23NC03772 N° Lexbase : A69886BG.
[7] CAA Paris, 22 novembre 2024, n° 23PA02763.
[8] TA Paris, 22 octobre 2024, n° 2226121 N° Lexbase : A63856CH.
[9] BOI-TVA-CHAMP-10-20-10-10 §93 N° Lexbase : X4532ALG.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:491522