Le Quotidien du 6 mars 2025 : Avocats/Honoraires

[Jurisprudence] Avocats : soyez diligents dans le recouvrement de vos honoraires, fuyez la prescription !

Réf. : Cass. civ. 2, 19 décembre 2024, n° 23-11.754, F-B N° Lexbase : A43056NR

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N1739B3S

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par Natalie Fricero, Professeur des Universités, membre du Conseil national de la médiation

le 05 Mars 2025

Mots clés : honoraires • avocats • décision du bâtonnier • apposition de la formule exécutoire • délai de prescription

La demande tendant à rendre exécutoire la décision du bâtonnier statuant sur les honoraires doit être présentée sur le fondement de l’article 178 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, dans le délai de prescription de la créance.


 

Aux termes de l’article 178 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d’avocat N° Lexbase : L8168AID : « Lorsque la décision prise par le bâtonnier n'a pas été déférée au premier président de la cour d'appel ou lorsqu'il a été fait application des dispositions de l'article 175-1, elle peut être rendue exécutoire par ordonnance du président du tribunal judiciaire à la requête, soit de l'avocat, soit de la partie ». La question posée par le pourvoi est de savoir si l’avocat bénéficiaire d’une telle décision du bâtonnier est soumis à un délai de prescription pour saisir le président du tribunal judiciaire afin de faire apposer la formule exécutoire qui lui permet d’effectuer des mesures d’exécution.

En effet, en l’espèce, le Bâtonnier avait rendu une ordonnance de taxe (pour 500 000 euros) le 1er août 2002, le premier président de la cour d’appel avait déclaré le recours formé contre ladite décision irrecevable le 3 décembre 2003. À la suite du décès de X en 2012, l’avocat poursuit les ayants droits du défunt en faisant une opposition au partage devant le notaire chargé de la succession et en inscrivant une hypothèque judiciaire sur divers immeubles de la succession. Le 21 mai 2015, les ayants droits assignent l’avocat devant le tribunal judiciaire pour obtenir la mainlevée des inscriptions d’hypothèque et l’annulation de l’opposition à partage : l’avocat saisit alors le président du tribunal judiciaire, qui rejette la requête en apposition de la formule exécutoire le 19 décembre 2017 ; sur appel, la cour d’appel infirme l’ordonnance et rend exécutoire la décision du bâtonnier du 1er août 2002 par un arrêt non contradictoire du 5 avril 2022. Les ayants-droits demandent la rétractation de cet arrêt, et leur requête est rejetée. Ils forment donc un pourvoi contre cette décision de rejet.

La décision du bâtonnier n’est pas un titre exécutoire : seule l’apposition de la formule exécutoire par le président du tribunal judiciaire lui confère cet attribut. Le bâtonnier statuant sur une contestation d’honoraires dispose donc de la « juridictio », du pouvoir de rendre des décisions pour résoudre des conflits relatifs aux honoraires, mais pas de l’« imperium », pouvoir de donner des ordres, de disposer de la force publique, d'ordonner des saisies et des astreintes, dont seul le juge est investi. C’est ce qu’a jugé la Cour de cassation à plusieurs reprises, distinguant l’autorité de la chose jugée de la force exécutoire : « Il résulte des articles L. 111-2 N° Lexbase : L5790IRU et L. 111-3, 1° et 6° N° Lexbase : L3909LKY du Code des procédures civiles d'exécution, 502 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6619H7B  et 178 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat, que la décision prise par le bâtonnier d'un ordre d'avocats sur une contestation en matière d'honoraires, fût-elle devenue irrévocable par suite de l'irrecevabilité du recours formé devant le premier président de la cour d'appel, ne constitue pas une décision à laquelle la loi attache les effets d'un jugement, de sorte qu'elle ne peut faire l'objet d'une mesure d'exécution forcée qu'après avoir été rendue exécutoire par ordonnance du président du tribunal judiciaire, seul habilité à cet effet » [1]. Ce n’est pas une décision à laquelle la loi attache les effets d’un jugement [2]. En conséquence, il n’est pas possible d’appliquer à la demande d’exequatur de la décision la prescription de l’exécution forcée prévue pour les titres exécutoires !

Pour déterminer la durée de la prescription, il faut trancher la question de la nature de la demande en vue de l’apposition de la formule exécutoire par le tribunal judiciaire. Il ne s’agit pas d’un acte d’exécution, puisque le titre n’est pas encore exécutoire. Il s’agit d’une action en justice permettant à son titulaire d’ajouter à la constatation de sa créance la force exécutoire. Le président du tribunal judiciaire doit s’assurer de la recevabilité de la demande et il peut refuser de l’apposer (par exemple si le titre est manifestement irrégulier). On peut considérer qu’il s’agit d’une action en justice tendant au recouvrement de la créance constatée dans la décision du Bâtonnier et, dès lors, lui appliquer la prescription de l’obligation. En effet, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, l’action en paiement d’une obligation est soumise au délai de prescription de l’obligation elle-même.

Après apposition de la formule exécutoire sur la décision du bâtonnier, la prescription concerne le droit de mettre à exécution forcée le titre exécutoire. Le Code des procédures civiles d’exécution organise cette prescription à l’article L. 111-4 du Code des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L5792IRX en distinguant selon le titre concerné. Ainsi, s’agissant des titres judiciaires énoncés aux 1e  à 3e, de l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d'exécution, c'est-à-dire les décisions des juridictions de l'ordre judiciaire et administratif ayant force exécutoire, les accords auxquels ces juridictions ont conféré force exécutoire, les extraits de procès-verbaux de conciliation signés par le juge et les parties et les actes, jugements étrangers et sentences arbitrales revêtus de l'exequatur, l’exécution peut être poursuivie pendant 10 ans, ou par une durée plus longue si la créance qu'ils constatent se prescrit par un délai plus long [3]. Ce délai de 10 ans court du jour où le jugement constitue un titre exécutoire, c’est-à-dire au sens de l’article 501 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6618H7A, lorsqu’il a été notifié au débiteur en application de l’article 503 du CPC N° Lexbase : L6620H7C et qu’il a été revêtu de la formule exécutoire [4].

Si le titre exécutoire n’appartient pas à ces catégories, le délai de prescription de son exécution forcée n’est pas prévu. L’imprescriptibilité n’étant admise que dans la mesure où elle est prévue par la loi, au nom du principe de sécurité juridique, toutes les actions, tous les droits sont prescriptibles : faute de précision légale, la prescription de l’exécution forcée est celle de la créance constatée dans le titre ! L’ordonnance du Bâtonnier ne faisant pas partie des titres expressément visés à l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d'exécution, il faudra appliquer la prescription de la créance d’honoraires. La jurisprudence conduit à cet égard à distinguer deux situations :  la demande est soumise au délai biennal prévu par l'article L. 218-2 (ancien art. L. 137-2) du Code de la consommation N° Lexbase : L1585K7T lorsqu’elle est dirigée contre une personne physique ayant eu recours aux services de l’avocat à des fins n'entrant pas dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale [5] ; dans les autres cas, la prescription est celle du délai de droit commun de cinq ans prévu par l'article 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC [6].


[1] Cass. civ. 2, 27 mai 2021, n° 17-11.220, F-P N° Lexbase : A09134TY.

[2] Cass. civ. 2, 30 janvier 2014, n°12-29.246, F-P+B N° Lexbase : A4417MDX, Bull. Civ. II, 2014, n° 30.

[3] Par exemple, 20 ans en cas de dommages corporels causés par des actes de torture, de barbarie ou des agressions sexuelles contre mineurs, C. civ., art. 2226 N° Lexbase : L7212IAD.

[4] Cass. civ. 2, 5 octobre 2023, n° 20-23.523, F-B N° Lexbase : A17071KG.

[5] Cass. civ. 2,  26 mars 2015, n° 14-11.599, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4643NEP.

[6] Cass. civ. 2, 7 février 2019, n° 18-11.372, F-P+B N° Lexbase : A6101YWU.

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