Le Quotidien du 3 mars 2025 : Contrats et obligations

[Observations] Action paulienne : le créancier doit-il prouver l’insolvabilité apparente ?

Réf. : Cass. com., 23 janvier 2025, n° 23-20.836, F-B N° Lexbase : A38986S8

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N1740B3T

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par Hélène Nasom-Tissandier, Maître de conférences HDR, Université Paris Cité, CEDAG

le 28 Février 2025

En application de l’article 1341-2 du Code civil, le créancier dispose de l'action paulienne lorsque la cession, bien que consentie au prix normal, a pour effet de faire échapper un bien à ses poursuites en le remplaçant par des fonds plus aisés à dissimuler ; le préjudice du créancier étant ainsi caractérisé, le succès de l'action paulienne n'est alors pas subordonné à la preuve de l'appauvrissement du débiteur ; toutefois, la cour d’appel qui exige du créancier la preuve de l’insolvabilité apparente du débiteur ajoute à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas.

Faits et procédure. En l’espèce, une société a confié à un expert-comptable une mission de tenue et de suivi de la comptabilité, révoquée le 31 décembre 2016. L'expert-comptable estime, toutefois, ne pas avoir été réglé de ses honoraires. Il assigne donc la société en paiement. Le 15 juin 2018, la société cède son fonds de commerce à une société créée en vue de la reprise de ce fonds et détenue par le gérant de la société cédante et son épouse. Le 6 février 2019, la société cliente de l'expert-comptable est condamnée à lui régler les honoraires. Elle est toutefois placée peu après en liquidation judiciaire. L’expert-comptable assigne alors la société ayant acquis le fonds de commerce, le gérant de la société débitrice et le liquidateur de celle-ci en inopposabilité de la cession du fonds sur le fondement de l'article 1341-2 du Code civil N° Lexbase : L0672KZW. La cour d’appel rejette l'action paulienne aux motifs que le créancier ne rapporte pas la preuve de l'insolvabilité de la société débitrice au moment de la cession de son fonds de commerce (CA Douai, 6 juillet 2023, n° 21/06262 N° Lexbase : A82261AW). Le créancier se pourvoit donc en cassation, en soutenant « que l'action paulienne portant sur un acte ayant pour effet de faire échapper un bien aux poursuites des créanciers en le remplaçant par des fonds plus aisés à dissimuler n'est pas conditionnée à la preuve de l'insolvabilité apparente du débiteur ». la cour d’appel, bien qu’ayant « constaté que la cession de fonds de commerce avait remplacé ledit fond par une somme d'argent, valeur plus aisément dissimulable, a écarté l'action paulienne, motif pris de l'absence de preuve de l'insolvabilité apparente de la société La Brasserie » aurait violé l'article 1341-2 du Code civil.

Solution. L’action paulienne permet à un créancier de se faire déclarer inopposable un acte d’appauvrissement du débiteur, si cet acte crée ou aggrave la situation d’insolvabilité du débiteur. Lorsque l’acte a été conclu à titre onéreux, l’action est conditionnée à la preuve de la mauvaise foi du tiers. Certes, en l’espèce, la cession n’avait pas entrainé d’appauvrissement du débiteur. Cependant la Cour de cassation rappelle que « le créancier dispose de l'action paulienne lorsque la cession, bien que consentie au prix normal, a pour effet de faire échapper un bien à ses poursuites en le remplaçant par des fonds plus aisés à dissimuler ». Elle ajoute que « le succès de l'action paulienne n'est alors pas subordonné à la preuve de l'appauvrissement du débiteur ». Cette conception extensive de l’appauvrissement n’est pas nouvelle (v. par ex. Cass. com., 23 mai 2000, n° 96-18.055 N° Lexbase : A1542CZ7 ; Cass. civ. 3, 3 décembre 2002, n° 99-18.580 N° Lexbase : A1698A4N ; Cass. com., 1er mars 1994, n° 92-15.425, publié au bulletin N° Lexbase : A7015ABG ; Cass. civ. 1, 21 juillet 1987, n° 86-10.357 N° Lexbase : A1719AH7). Les solutions anciennes sont donc confirmées en application de l’article L. 1341-2 du Code civil postérieur à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ce qui ne surprend guère puisque la réforme n’a quasiment pas modifié le régime de l’action paulienne (en ce sens, F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, 13e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, p. 1744, n° 1594). Toutefois, là n’est pas l’apport essentiel de la décision rendue.

La question qui se pose alors est en effet de déterminer, en pareille hypothèse, l’étendue de la preuve que doit apporter le créancier. Selon l’article 1341-2 du Code civil, le créancier peut agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits, à charge d'établir, s'il s'agit d'un acte à titre onéreux, que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude. Doit-il également prouver l’insolvabilité apparente du débiteur ?

Selon la cour d’appel, « l'exercice d'une action paulienne suppose que soit établie l'insolvabilité du débiteur, qui doit exister au moment où l'acte critiqué est effectué. Il appartient au créancier agissant de rapporter cette preuve, à tout le moins la preuve de son insolvabilité apparente. En effet, tant que le débiteur reste solvable, les actes d'appauvrissement qu'il aura pu effectuer ne sont pas susceptibles de porter préjudice à son créancier ». Elle ajoute que « curieusement, cette condition de l'action paulienne n'est aucunement évoquée » par le demandeur. Cette argumentation entraîne la cassation pour violation de la loi. 

Selon la Cour de cassation, la cour d’appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas ». En effet, dès lors que la cession n'entraîne pas d’appauvrissement du débiteur, elle n’a pas d’impact sur l’insolvabilité. La décision est assurément protectrice des droits des créanciers.

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