Le Quotidien du 3 mars 2025 : Avocats/Structure d'exercice

[Questions à...] Quelles transformations pour le droit social en 2025 ? Questions à Victor Roisin, Avocat associé, Factorhy Avocats

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le 28 Février 2025

Mots clés : avocats • intelligence artificielle • télétravail • ATMP • déconnexion

Comment envisager la nouvelle fonction de l’avocat comme facilitateur des relations entre les différentes strates de l’entreprise et plus simplement comme un simple conseil ou intervenant lors de la partie « contentieux » du conflit ? Temps de travail, risques psychosociaux, modalités du télétravail, tous ces domaines évoluent rapidement et renforcent le besoin de conseils sûrs et rapides pour l’employeur, qui ne peut encore être totalement rempli par les outils d’intelligence artificielle existants. Pour faire le point sur ces transformations actuelles et à venir du droit social, Lexbase Avocats a rencontré Victor Roisin, Avocat associé, Factorhy Avocats*.


 

Lexbase : Vous militez pour une nouvelle fonction de l'avocat comme « coach » dans le domaine du dialogue social. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Victor Roisin : Effectivement, c'est une expression que nous avons commencé à utiliser à la création du cabinet. Elle recouvre l'idée selon laquelle nous devons être facilitateurs pour les employeurs que l'on accompagne dans la mise en œuvre de leur projet au niveau du dialogue social. 

Concrètement, au gré des dernières réformes législatives, nous avons assisté à un basculement des règles régissant les rapports entre les différentes normes de droit du travail.

Aujourd'hui, c'est l'employeur qui, dans un grand nombre de cas, fixe en concertation avec les partenaires sociaux les règles applicables à l'entreprise au détriment de celles fixées au niveau de la branche, ce qui était impensable il y a dix ans.

C’est ici qu’intervient cette mission de l'avocat « coach », dont la mission est d'encourager les employeurs à faire preuve de créativité dans l'élaboration des normes conventionnelles d'entreprise, afin de pouvoir se différencier, et donc, se démarquer de leurs concurrents. En tant qu'avocat "coach", notre mission n'est plus seulement de les accompagner dans la sécurisation juridique de leurs accords collectifs, mais de les encourager à dépasser les dispositifs conventionnels trop souvent déployés par les employeurs et qui ne sont plus vecteurs de performance.

Lexbase : Quel rôle pour un cabinet comme le vôtre dans le domaine du management social ?

Victor Roisin : Notre expérience chez Facthory nous montre qu’il existe deux profils types chez les employeurs, quelle que soit leur taille, assez contradictoires l’une de l’autre.

Le premier, réunissant des employeurs selon lesquels le droit du travail français serait trop rigide, trop complexe, parfois trop dangereux, si bien qu'il n'y aurait aucune marge de manoeuvre pour prendre des initiatives visant à gagner en performance. À titre d’exemple, trop d’employeurs craignent aujourd’hui des poursuites en harcèlement moral, quand les actions qu’ils envisagent de mener ne résultent en réalité que du simple exercice de leur pouvoir de direction.

La seconde, réunissant des employeurs se mettant en marge des règles de droit du travail applicables, par méconnaissance ou en raison d’un management du risque mal calibré. L’un dans l’autre, les conséquences pour l’employeur peuvent parfois s’avérer dramatiques (suspension d’un projet important, réintégration d’un salarié, etc.).

C’est là que nous intervenons en tant que conseil dans le management social, afin de rassurer voire encourager les employeurs qui ont besoin de l'être pour la mise en œuvre de leurs projets, mais aussi pour mieux sensibiliser les employeurs les plus cavaliers afin de les inciter à envisager d’autres voies pouvant les mener à l’objectif souhaité.

Lexbase : Quels besoins de conseil en matière de durée du travail pour les entreprises ? Comment y répondez-vous ?

Victor Roisin : Aujourd’hui, dans une économie qui est de plus en plus servicielle, nous assistons à une forte croissance du nombre de collaborateurs de niveau cadre, dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif ou de collaborateurs disposant d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps, c’est-à-dire de la population éligible au dispositif de forfait annuel en jours.

Toutefois, le recours massif à ce dispositif s'accompagne également d'un contentieux de plus en plus important autour de ces forfaits, sur leur validité ou leur opposabilité.

Nombre d'arrêts viennent soit censurer la manière dont les branches et/ou les entreprises instituent ce dispositif sur le plan conventionnel, soit sanctionnent la manière dont le dispositif est mis en œuvre opérationnellement, au-delà du texte. Dans les deux cas, il y a un risque très important pour l’employeur de rappel d'heures supplémentaires, extrêmement onéreux.

Notre rôle est alors de parvenir à sécuriser les enjeux de dispositifs de forfait annuel en jour, tout en proposant des solutions opérationnelles concrètes.

Aujourd'hui, le défi est de parvenir à instituer un suivi régulier de la charge de travail.  Pour beaucoup d'employeurs, cela paraît impossible à mettre en place opérationnellement. Or, force est de constater que c'est tout à fait faisable, au travers de solutions digitalisées de type GTA (Gestion des Temps d'Activité) extrêmement efficientes et efficaces.

Lexbase : Quels sont les domaines du droit social risquant de générer des risques accrus à l'avenir ?

Victor Roisin : Parmi les aspects du droit social les plus à risque en 2025, j’identifie d’abord les dispositifs de forfait annuel en jours et leur opposabilité avec des rappels de salaires extrêmement importants et assez onéreux comme indiqué précédemment.

Par ailleurs, et de manière assez contradictoire avec la dépénalisation amorcée du droit du travail depuis quelques années par le législateur, il y a lieu d’anticiper une certaine résurgence des dossiers de droit pénal du travail, à l’initiative des différentes autorités (Inspection du travail, Ministère public, etc.).

Pour donner un exemple récent, il y a peu, lors des vœux de la nouvelle année du Président et du Vice-Président d’un Conseil de prud’hommes, ces derniers, encouragés par le Ministère public présent en séance, ont incité l'ensemble des conseillers prud'homaux à dénoncer tout fait dont ils pourraient avoir connaissance dans l’exercice de leurs missions susceptible de recevoir une qualification pénale.

Enfin, on constate quand même depuis maintenant six à douze mois une explosion des situations de risques psychosociaux (RPS) en entreprise et avec, comme corollaire, une explosion des situations d'accidents du travail et de maladies professionnelles. 

Il est essentiel que les employeurs prennent leur responsabilité en la matière en développant une politique de prévention des RPS des plus efficaces.

Lexbase : Quelles sont selon vous les principales évolutions à venir pour le droit social en 2025 ?

Victor Roisin : Sur le plan législatif, je ne me prononcerai pas dans la mesure où nous sommes dans un contexte politique assez incertain. En revanche, sur le plan jurisprudentiel, on peut d'ores et déjà anticiper pour 2025, si ce n'est 2026, au moins deux sujets qui auront vocation à évoluer.

Le premier, à mon sens, une clarification des règles applicables en matière de télétravail, qui est un mode d'organisation du travail aujourd'hui très utilisé, mais où demeurent malgré tout certaines zones d'ombre, notamment s’agissant de la possibilité de réserver les titres restaurants pour une partie des salariés et pas d'autres, sur les règles applicables en matière d'indemnité d'occupation de domicile, ou sur les règles applicables en matière de prise en charge des frais professionnels liés au télétravail.

Le second point, une fois que les employeurs se seront mis en règle sur le suivi de la charge de travail au titre du forfait annuel en jour, j’identifie une « deuxième lame » qui pourrait intervenir en raison de l'inobservation des dispositions sur le droit à la déconnexion. L’institution de règles efficaces permettant aux salariés de jouir d’un droit à la déconnexion sera, à mon sens, le défi majeur de ces prochains mois ou de ces prochaines années.

Lexbase : Quelle est votre perception de l'intelligence artificielle dans vos pratiques et à quelles opportunités devra-t-elle répondre dans votre profession d'avocat ?

Victor Roisin : Je ne me prononcerai pas sur la question de savoir si l'intelligence artificielle constitue une menace ou une opportunité, car on n’appréhendera pas cette question de la même manière suivant le secteur ou le métier dans lequel on exerce.

En revanche, ce qui est certain, c'est que dans la profession d’avocat, l’émergence de l’IA pourrait être une opportunité dans la mesure où nos clients attendent des réponses toujours plus rapides et pertinentes. En cela, un outil d'intelligence artificielle efficient pourrait permettre d’aider les cabinets d’avocats à traiter dans l'urgence, ou en tout cas dans des délais extrêmement rapides, les sujets nécessitant de l'être.

Par ailleurs, dans un contexte où il apparaît une pénurie de jeunes confrères et consœurs souhaitant embrasser la profession, l’IA pourrait être une solution pour les cabinets en mal de recrutement afin d'effectuer des tâches à faible valeur ajoutée au travers de cet outil, notamment pour la réalisation d’actes types. 

Ainsi, l'intervention des avocats, qu'ils soient juniors ou séniors, aurait lieu sur des missions à plus forte valeur ajoutée, avec une dimension collective, ou des impacts financiers conséquents. Pour ce type de dossiers, à mon sens, la créativité des logiciels d’IA qui existent aujourd'hui est encore loin de celle des avocats les plus expérimentés.

*Propos recueillis par Virginie Natkin, chargée d’affaires grands comptes Avocats et Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public

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