Le Quotidien du 27 février 2025 : Construction

[Observations] Le dommage futur réparé par le juge administratif est différend de celui réparé par le juge judiciaire

Réf. : CE, 2°-7° ch. réunies, 11 février 2025, n° 483654, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A58786UA

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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J AVOCATS, Chargée d’enseignements à l’UPEC, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats

le 27 Février 2025

La garantie décennale des constructeurs s’appliquent aux dommages de nature décennale survenus dans le délai décennal.
Même s’ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l’expiration du délai de dix ans.

La solution n’est pas nouvelle mais elle n’est pas strictement identique avec celle retenue par le juge judiciaire. Pour le Conseil d’État avait déjà pu admettre que le désordre prévisible, dès lors qu’il présente une gravité suffisante, peut entraîner la responsabilité des constructeurs même si cette gravité n’apparaît pas dans le délai décennal (CE 31 mai 2010, n° 317006 N° Lexbase : A2042EYB). Deux conditions doivent être remplies :

  • d’une part, les dommages à venir doivent être de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination ;
  • d’autre part, ils doivent intervenir dans un délai prévisible.

La solution avait pu être confirmée par la suite (pour exemple, CE, 11 décembre 2013, n° 364311 N° Lexbase : A3726KRG) rompant ainsi avec la jurisprudence, plus restrictive, du juge judiciaire, imposant que la preuve de la réalisation du critère de gravité décennale dans le délai d’épreuve et d’action décennal.

Par deux arrêts rendus les 28 février 2018 (Cass. civ. 3, 28 février 2018, n° 17-12.460, FS-P+B N° Lexbase : A0412XGD) et 21 septembre 2022 (Cass. civ. 3, 21 septembre 2022, n° 21-15.455, F-D N° Lexbase : A89128KB), la Cour de cassation a encore rappelé sa position concernant l’indemnisation du désordre futur par l’assureur « responsabilité civile décennale », en ce sens qu’il n’est pas seulement exigé la démonstration du caractère certain de la survenance du désordre, mais également sa survenue avant l’expiration du délai d’épreuve de la garantie légale.

La position de la Cour de cassation n’a pas toujours été aussi restrictive, lorsqu’elle considérait que l’assureur « responsabilité civile décennale » pouvait être recherché, dès lors que la réparation des désordres avait été demandée au cours de la période de garantie (Cass. civ. 3, 6 mai 1998, n° 96-18.298 N° Lexbase : A5401CND).

En cohérence avec l’esprit de la loi, la Cour de cassation n’a pas tardé à réviser sa jurisprudence, afin d’exiger que la preuve soit également rapportée du caractère certain de l’apparition du dommage de nature décennale avant l’expiration du délai d’épreuve de la garantie légale.

C’est ainsi que, dans un arrêt en date du 12 septembre 2012 (Cass. civ. 3, 12 septembre 2012, n° 11-16.943 N° Lexbase : A7533ISS), la Cour de cassation devait indiquer que : « L’entrepreneur qui, lors de la construction de la maison, procède à l’excavation des terres sans tenir compte des contraintes techniques inhérentes au site et dont les travaux ont aggravé la pente préexistante du talus situé à l’arrière de la propriété et créé un risque certain d’éboulement dans le délai de la garantie décennale, mettant en péril la solidité du bâtiment et la sécurité des occupants et rendant impossible l’utilisation de l’arrière de la maison, doit supporter la charge des travaux permettant de remédier à la situation et indemniser les maîtres de l’ouvrage du préjudice résultant de la restriction de jouissance de l’habitation. ».

Après avoir confirmé sa position dans un arrêt du 16 avril 2013 (Cass. civ. 3, 16 avril 2013, n° 12-17.449 N° Lexbase : A4113KCC) et par deux arrêts rendus en 2014 (Cass. civ. 3, 12 novembre 2014, n° 13-11.886 N° Lexbase : A2944M3G et Cass. civ. 3, 24 septembre 2014, n° 13-20.912 N° Lexbase : A3400MX9), puis en cassant un arrêt de la cour d’appel d’Angers, dans une décision en date du 18 mai 2017 (Cass. civ. 3, 18 mai 2017, n° 16-16.006 N° Lexbase : A4861WDE), réitérant ainsi que la perte de l’ouvrage doit nécessairement intervenir avant l’expiration du délai d’épreuve de la garantie décennale, la Cour de cassation confirme dans ses arrêts du 28 février 2018 et 15 mars 2018 une analyse plus rigoureuse et conforme à l’esprit de la loi.

Il est donc à regretter que cette position ne soit encore partagée par la jurisprudence administrative, dès lors que le Conseil d’État persiste à indemniser sur le fondement du désordre futur des dommages survenus dans toute leur ampleur postérieurement à l’expiration du délai d’épreuve de la garantie décennale, dès lors que l’action en réparation a été engagée avant le délai de forclusion, comme le souligne l’arrêt rapporté.

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