Le Quotidien du 21 février 2025 : Institutions

[Tribune] Le Conseil constitutionnel : le gardien fragilisé

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N1728B3E

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par Jean Pierre Camby, docteur en droit

le 20 Février 2025

Lors de sa création en 1958, le Conseil constitutionnel est entré dans la Constitution avec discrétion. Charles Eisenmann regrette que sa composition ne comporte alors aucun universitaire, mais il écrit que cette institution est « peu de choses ». Dans « Le coup d’État permanent », en 1964, François Mitterrand le qualifie de « cour suprême de musée Grévin ». En 1980, René de Lacharrière, dans une opinion dissidente publiée dans la revue pouvoirs dénonçait : « les autorités supérieures de l'État tiraient leur investiture du suffrage populaire ou de leur responsabilité politique devant les élus de la nation. Il en résultait des arrangements divers, qui correspondaient davantage à des aristocraties électives, ou parfois à des monarchies électives, qu'à une réalité démocratique simple et honnête, ce n'est pas douteux. Mais les visions les plus follement créatrices n'étaient pas allées jusqu'à imaginer un pouvoir suprême de veto confié à neuf personnes totalement irresponsables, arbitrairement désignées et, de surcroît, en fait le plus souvent choisies selon les aimables critères de la faveur personnelle ». L’institution peut se défendre, avec des arguments tirés de la hiérarchie des normes et de  la nécessité de faire respecter la Constitution et le rôle d’arbitre impartial des conflits entre les pouvoirs. 

Le doyen Vedel, également dans la revue pouvoirs écrivait en 1988: « Le juge constitutionnel, si l'on peut se permettre cette image, n'est donc pas un censeur mais un « aiguilleur ». Il n'interdit pas la marche du train : il se borne, en vertu des règles qu'il est chargé d'appliquer, à le diriger sur la « bonne voie »…. la légitimation de la justice constitutionnelle, sinon du juge lui-même, est accomplie : elle n'est qu'instrument, pouvoir constitué, servante de la souveraineté nationale. Elle garde le trône du souverain : elle n'y a point sa place » et d’y ajouter un rôle de « gardien du trésor » que sont les libertés publiques. On peut aussi souligner  que le Constituant, de 1974 à 1988, a toujours ajouté compétences et procédures de saisines, jusqu’à la QPC ouvrant une voie d’action au justiciable lui-même,  complétant ainsi le contrôle a priori réservé à des autorités politiques, et ajouter que le modernisme démocratique conduit presque toujours à prévoir un contrôle de constitutionnalité – Grande-Bretagne exceptée.  

Le florilège des critiques est trop long à dresser, il croise toujours, en France, les conditions de nominations, la composition, l’indépendance réelle des membres. On peut ne pas partager les critiques portant sur le parcours ou  les qualités juridiques du nouveau Président , la durée de ses études de droit, même si cela tranche avec tous ses prédécesseurs , de Léon Noël à Laurent Fabius.  La fonction requiert avant tout vision programmatique mais patiente, retrait médiatique et indépendance.

Si la nomination de Richard Ferrand suscite le scepticisme , c’est principalement du fait de l’envahissement du débat par la politique. Certes des nominations ont déjà été critiquées, contestations d’autant plus faciles que les nominations ne connaissent ni critère, ni juge [1]. Mais ces débats n’étaient jamais exclusivement politiques. Ils le deviennent ici. La configuration majoritaire actuelle n’explique pas  complètement l’étroitesse du vote, 97 parlementaires participent au scrutin 58 voix sont contre la nomination, il s’en est fallu d’une pour que la majorité d’opposition des trois cinquièmes ne soit atteinte. Les motivations s‘entremêlent d’un rejet de l’autorité de nomination elle-même, le reproche , crûment énoncé par certains parlementaires, porte sur la proximité entre l’intéressé et le Président de la République, reproche accru par la période d’un second quinquennat troublé et non renouvelable.

S’ y ajoutent les critiques fondées sur la situation personnelle de M. Ferrand où sont en cause ses obligations déclaratives auprès de la HATVP et plus encore sur la prescription obtenue pour la gestion en tant que directeur des mutuelles de Bretagne. L’intéressé rappelle que la cour d’appel puis, le 5 octobre 2022, la Cour de cassation ont clos cette affaire [2]. Mais Mme Véronique Malbec, nommée au Conseil constitutionnel par Richard Ferrand lorsqu’il était Président de l’Assemblée nationale n’était-elle pas Procureure générale dans le ressort où fut jugée  la première instance ?

Tout ceci crée un climat de suspicion dont le Conseil aura du mal à s’extraire. Tout soupçon, juste ou injuste, portant sur l’indépendance des membres se retourne inévitablement contre l’autorité de nomination mais aussi contre l’institution elle-même. Celle-ci a par exemple beaucoup souffert, en 1999, d’une décision rendue en faveur de l’immunité de juridiction du Chef de l’État, puis de la fragilité de son Président,  Roland Dumas,  jusqu’à son départ. Dans le contexte politique actuel la crise de confiance du citoyen, de l’électeur, du justiciable, de l’usager du service public envers les institutions est telle qu’elle ne peut que se nourrir aussi de toute attaque contre le Conseil constitutionnel. Celui-ci, qui ne dispose d’autre légitimité que celle du bien-fondé de sa jurisprudence, laquelle doit être un bouclier de l’intérêt général, une garantie des droits et non l’expression morcelée d’ intérêts catégoriels. Si ce bouclier présente des failles, le Conseil résistera-t-il? Parviendra-t-il à endiguer une vague extrémiste si celle-ci est soutenue par une opinion mobilisée ?

Comment ne pas dire que l’extrême étroitesse du vote, acquis grâce au rassemblement national,  la nature des questions soulevées lors de l’audition, l’image du nouveau Président fragilisent l’institution elle-même. En 1923, Lord Gordon Hewart formule la théorie des apparences :  il n’importe pas seulement que la justice soit rendue formellement , il faut qu’elle soit perçue comme écartant l’existence de tout doute quant à l’impartialité du juge. Les juges l’ont souvent reprise [3]. Le contrôle de constitutionnalité repose, en dernière analyse, sur la confiance du peuple, sur l’élimination du doute et sur la croyance en l’indépendance de l’Institution. Le mandat de neuf ans  s’ouvre ici au contraire sur une fragilité évidente.

Dès la première décision importante, par exemple celle portant sur la QPC relative à l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité [4] décisive quant à la candidature de Mme Le Pen à la prochaine élection présidentielle [5], cette fragilité ne manquera pas d’exposer le Conseil.

Toute démocratie repose sur l’adhésion du peuple à ses institutions. Celle-ci fut forte en 1958. Aujourd’hui, force est de constater que cette adhésion n’est plus acquise, alors que le Conseil est devenu un acteur institutionnel incontournable. Le choix présidentiel, la trop faible adhésion parlementaire, les polémiques ne peuvent qu’aggraver le fossé, évident depuis la dissolution, mais sans doute déjà ouvert avant celle-ci, entre le peuple et ses dirigeants. On ne peut que souhaiter que le Conseil trouve les moyens justes, les méthodes éprouvées du recours aux précédents, de la construction jurisprudentielle à pas lents, de la prudence dans l’affirmation de principes nouveaux, de la justification des revirements, pour éviter le procès d’un gouvernement des juges qui ne va pas manquer de s’ouvrir.


[1] CE, Ass., 9 avril 1999, n° 195616 N° Lexbase : A3938AX7.

[2] Cass. crim., 5 octobre 2022, n° 21-82.428, FS-D N° Lexbase : A86548MH.

[3] CEDH, 30 octobre 1991, Req. 39/1990/230/296, Borgers c. Belgique N° Lexbase : A6419AWN ; CEDH, 12 février 2008, Req. 14277/04, Guja c/ Moldova N° Lexbase : A7465D4A.

[4] CE, 27 décembre 2024, n° 498271 N° Lexbase : A27946P8.

[5] J.-P. Camby et J.-É. Schoettl, Détournement de fonds publics, inéligibilité, exécution provisoire : au croisement du droit pénal, du droit constitutionnel et… du calendrier électoral N° Lexbase : N1560B38.

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