Le Quotidien du 17 février 2025 : Droit pénal du travail

[Observations] Responsabilité pécuniaire du salarié : l’employeur peut obtenir la réparation du préjudice directement causé par une infraction commise dans le cadre professionnel

Réf. : Cass. crim., 14 janvier 2025, n° 24-81.365, F-B N° Lexbase : A25886QW

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N1617B3B

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par Aurélie Salon, Avocat, Docteur en droit et Christine Robin, Juriste, cabinet Ledoux & associés

le 13 Février 2025

► Lorsqu’un employeur demande la réparation du préjudice causé par l’infraction commise par un salarié dans le cadre professionnel, les juges du fond ne sont pas tenus de caractériser une faute lourde ou une intention de nuire du salarié, dès lors que ce dernier a été déclaré coupable de l’infraction. Changement de cap radical de la Cour de cassation sur la responsabilité pécuniaire du salarié ?

Principe de limitation de la responsabilité pécuniaire du salarié. En principe, « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » (C. civ., art. 1240 N° Lexbase : L0950KZ9).

Néanmoins, le droit du travail tempère l’application du principe de réparation du préjudice subi afin de protéger la rémunération du salarié.

L’interdiction des sanctions pécuniaires constitue un principe général du droit du travail (CE, 1er juillet 1988, n° 66405, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7756APX). Ces sanctions sont également prohibées par l’article L. 1331-2 du Code du travail N° Lexbase : L1860H9R, selon lequel « les amendes ou autres sanctions pécuniaires sont interdites. Toute disposition ou stipulation contraire est réputée non écrite ».

Ainsi, l’employeur supporte les risques liés à son activité, notamment à raison des fautes commises par ses préposés. Le salarié n’est pécuniairement responsable à l’égard de son employeur qu’en cas de faute lourde, qu’il s’agisse d’une pénalité ou de la réparation d’un préjudice (Cass. soc., 21 octobre 2008, n° 07-40.809, FS-P+B N° Lexbase : A9473EA4).

La Cour de cassation a précisé les contours de cette notion : la faute lourde est caractérisée par l’intention de nuire à l’employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise (Cass. soc., 22 octobre 2015, n° 14-11.801, FP-P+B N° Lexbase : A0259NU7).

La responsabilité civile du salarié pour le dommage causé à l’employeur résultant d’une infraction commise dans le cadre professionnel. En l’espèce, un salarié a été déclaré coupable par le tribunal correctionnel des chefs de conduite d’un véhicule en ayant fait usage de cannabis, en récidive, et conduite d’un véhicule à une vitesse excessive.

Son employeur, constitué partie civile, s’est vu accorder diverses sommes en première instance et en appel ,en réparation de son préjudice matériel résultant de l’accident de voiture de son salarié, à savoir les frais engendrés par l’opération de dépannage, la réparation du tracteur et la réparation de la remorque et du container.

Le salarié s’est alors pourvu en cassation, faisant grief à l’arrêt de consacrer un droit à réparation pour l’employeur, sans rechercher si le fait pour le salarié d’avoir eu une conduite dangereuse lors de l’exécution de son contrat de travail constituait une faute lourde ou une infraction intentionnelle.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé la décision des juges du fond, condamnant le salarié à verser à la société diverses sommes au titre de la réparation du préjudice qu’elle a subi.

Pour condamner le salarié à indemniser la société de son préjudice matériel, les juges d’appel ont relevé :

  • que le salarié a été déclaré coupable de deux infractions ;
  • et que l’employeur a subi un préjudice, résultant des infractions dont il a le droit d’obtenir l’indemnisation, sans que cela ne constitue une sanction pécuniaire, interdite par l’article L. 1331-2 du Code du travail.

Les juges suprêmes soulignent que la cour d’appel n’avait à caractériser ni une faute lourde ni une intention de nuire à l’encontre de la partie civile.

Le rejet de la qualification d’une sanction pécuniaire illicite. Par cet arrêt, la Cour de cassation retient que l’indemnisation de l’employeur par le salarié ne constitue pas une sanction pécuniaire prohibée, mais la réparation légitime du préjudice causé par les infractions commises par le salarié.

La solution ne semble pas illogique. En effet, le salarié n’est pas à proprement parler pécuniairement sanctionné par son employeur pour un comportement considéré comme fautif, mais il est condamné à réparer le dommage qu’il a causé à son employeur.

La Cour de cassation en a déduit que, le salarié, sans être l’auteur d’une faute lourde ou d’une intention de nuire à l’entreprise, devient débiteur d’une obligation d’indemniser son employeur dès lors qu’il a été déclaré coupable de deux infractions ayant causé un dommage matériel à ce dernier.

Désormais, le salarié peut être pécuniairement responsable à l’égard de son employeur en cas de faute lourde ou intentionnelle, mais également en cas de commission d’une infraction dans le cadre du travail ayant causé un dommage à l’employeur.

Autrement dit, lorsqu’une infraction a été commise par le salarié, la faute pénale doit être considérée comme suffisante pour permettre l’engagement de la responsabilité civile délictuelle du salarié à l’égard de son employeur, sans qu’il ne soit nécessaire de s’interroger sur le caractère « lourd » ou non de cette faute.

En revanche, il est à noter que l’employeur ayant subi un dommage ne peut décider unilatéralement d’opérer une retenue de salaire afin de réparer son préjudice. Aucune compensation ne peut être imposée au salarié, sauf à prononcer une sanction pécuniaire illicite (Cass. soc., 31 janvier 2018, n° 16-14.619, F-D N° Lexbase : A4669XCW). Pour obtenir l’indemnisation du préjudice subi sans avoir à démontrer l’existence d’une faute lourde ou intentionnelle du salarié, l’employeur doit donc nécessairement passer par l’intermédiaire d’une juridiction répressive condamnant le salarié.

Cet arrêt, aussi clair soit-il s’agissant de l’exclusion de la qualification de sanction pécuniaire prohibée, soulève de nouvelles interrogations à propos de la réparation du préjudice de l’employeur. Un employeur pourrait-il, par exemple, solliciter l’indemnisation de son préjudice moral ? Ou encore, la solution dégagée par la Cour de cassation pourrait-elle trouver application dans le cadre d’un accident du travail ? Ces points feront, à n’en pas douter, l’objet d’éclaircissements au gré de prochaines décisions de la Cour de cassation. 

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif personnel, La faute lourde du salarié, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E1183ZPI.

 

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