Réf. : TA Marseille, 2 décembre 2024, n° 2411745 N° Lexbase : A08136LP
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N1562B3A
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par Johan Sanguinette, Avocat à la Cour
le 24 Janvier 2025
Mots clés : commande publique • exclusion • sanction • résiliation • manquements
Une ordonnance de référé précontractuel rendue le 2 décembre 2024 par le tribunal administratif de Marseille précise les frontières du champ d’application du motif d’exclusion facultatif prévu par l’article L. 2141-7 du Code de la commande publique.
En l’espèce, un candidat avait été évincé d’une procédure de passation d’un marché public de transport et de traitement de déchets au motif qu’il se trouvait dans le cas d’exclusion prévu par l’article L. 2141-7 du Code de la commande publique N° Lexbase : L4441LRW, lequel dispose, pour rappel, que : « L'acheteur peut exclure de la procédure de passation d'un marché les personnes qui, au cours des trois années précédentes, ont dû verser des dommages et intérêts, ont été sanctionnées par une résiliation ou ont fait l'objet d'une sanction comparable du fait d'un manquement grave ou persistant à leurs obligations contractuelles lors de l'exécution d'un contrat de la commande publique antérieur » [1].
L’opérateur a alors saisi le juge du référé précontractuel afin de faire annuler la décision l’excluant.
À la lecture de l’ordonnance, on comprend que la commune a tenté de justifier cette décision en invoquant plusieurs éléments factuels différents, qu’il s’agisse de manquements contractuels passés révélés dans le cadre d’un reportage de télévision, de sanctions appliquées par le préfet au titre de la police des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), ou encore de l’ouverture d’une instruction pénale au titre d’agissements commis dans le cadre de l’exécution d’un précédent marché.
Le juge des référés du tribunal administratif de Marseille annule toutefois la décision d’exclusion du requérant, ainsi que la procédure de mise en concurrence au stade de l’analyse des candidatures, après avoir écarté successivement tous les justifications apportées par la commune, au motif qu’aucune d’entre elles ne relève du périmètre de l’article L. 2141-7 du Code de la commande publique.
Cette décision met en lumière les enjeux qui s’attachent au champ d’application matériel (I.) et organique (II.) de l’article L. 2141-7 du Code de la commande publique.
I. Le champ d’application matériel de l’article L. 2141-7 du Code de la commande publique
Pour écarter les arguments avancés par la commune, l’ordonnance commentée considère que les faits invoqués ne sont pas de ceux envisagés par l’article L. 2141-7 du Code de la commande publique.
Le juge des référés a donc retenu une interprétation stricte de la disposition législative en cause.
A contrario, on rappellera que le juge des référés du tribunal administratif de Nice avait pu retenir, à titre d’exception, une interprétation plus extensive en admettant qu’un acheteur se fonde sur l’existence de manquements contractuels commis au titre d’un marché antérieur mais non sanctionnés, car ils avaient été constatés postérieurement à l’exécution du marché concerné [2].
Le juge des référés niçois avait rattaché sa lecture de l’article L. 2141-7 aux objectifs qui servent de fondement à tous les motifs d’exclusion, c’est-à-dire permettre à l’acheteur de s’assurer de l’intégrité et la fiabilité de chacun des opérateurs économiques qui participent à une procédure de passation d’un marché public.
Dans la décision commentée, le juge des référés n’a pas suivi cette voie et a fait preuve d’une approche plus littérale et objective du texte, en conditionnant l’exclusion à l’existence d’une sanction.
Deuxièmement, le juge des référés refuse également de prendre en considération le fait qu’une instruction pénale serait en cours à l’encontre de l’entreprise en raison des manquements contractuels évoqués dans l’émission de télévision.
Cette position nous paraît cohérente à double titre.
D’une part, une fois encore, une instruction pénale en cours ne constitue pas une sanction prononcée en raison d’un manquement contractuel grave ou persistant.
Étant précisé que considérer le contraire irait vraisemblablement à l’encontre du principe de présomption d’innocence, inhérent à la procédure pénale.
D’autre part, l’article L. 2141-7 du Code de la commande publique aurait d’autant moins de raisons d’être appliqué en présence d’une condamnation pénale qu’il existe des motifs d’exclusion spécifiques pour ce motif.
En effet, les articles L. 2141-1 N° Lexbase : L1524MHW et L. 2141-4, 1° N° Lexbase : L1519MHQ du Code de commande publique prévoient des motifs d’exclusion de plein droit lorsqu’une entreprise a fait l’objet d’une condamnation au titre diverses infractions pénales, telles que, par exemple, le délit de favoritisme [3], la prise illégale d’intérêt [4] ou encore la corruption [5].
L’aspect pénal devrait donc être pris en considération dans le cadre des deux dispositions susmentionnées pour justifier une exclusion de la commande publique, de telle sorte que soit l’entreprise est condamnée, et elle est donc exclue de plein droit de la commande publique ; soit l’entreprise est relaxée, et l’existence de poursuites pénales ne peut alors pas justifier une exclusion.
En effet, une telle sanction est prise en cas de manquement au droit de l’environnement, notamment en cas de méconnaissance des stipulations d’un arrêté d’exploitation.
Il ne s’agit donc pas d’une sanction prise en raison d’un manquement contractuel au sens de l’article L. 2141-7 du Code de la commande publique
Ce dernier point met au jour le caractère éminemment subjectif de la notion de « sanction comparable ».
En effet, si une résiliation ou le versement de dommages et intérêts constituent des éléments factuels objectifs aisément constatables, la notion de « sanction comparable du fait d'un manquement grave ou persistant » pose de nombreuses questions :
Si une exécution aux frais et risques du marché semble pouvoir raisonnablement constituer une « décision comparable », l’analyse est autrement plus complexe s’agissant de pénalités.
Faudrait-il déterminer un seuil, en valeur absolue ou rapportée au montant du marché, au-delà duquel des pénalités seraient comparables à une résiliation ?
S’agit-il d’un manquement qui a perduré pendant un laps de temps donné ? Mais dans ce cas, se pose à nouveau la question d’un seuil au-delà duquel le manquement deviendrait « persistant ».
Ou s’agirait-il d’un manquement qui est toujours caractérisé au moment où l’acheteur prononce l’exclusion sur le fondement de l’article L. 2141-7 du Code de la commande publique ?
De nombreux éclairages sont donc encore à attendre de la part des juridictions administratives pour l’application des articles L. 2141-7 et L. 3123-7 N° Lexbase : L4365LR4 du Code de la commande publique.
II. Le champ d’application organique de l’article L. 2141-7 du Code de la commande publique
La décision commentée permet également d'aborder le sujet de l’application organique de l’article L. 2141-7, sans toutefois apporter de réponses certaines.
La sanction administrative de 5 000 euros invoquée par la commune pour justifier sa décision d’exclusion avait été prononcée non pas à l’encontre de la société candidate, mais à l’égard d’une société du même groupe.
La question se posait donc de savoir s’il était possible de tenir compte d’une sanction prononcée à l’encontre d’une entreprise liée au candidat, et non pas directement contre celui-ci.
L’ordonnance commentée contourne le sujet et écarte l’argument en se fondant sur la méconnaissance du champ d’application matériel de l’article L. 2141-7 du Code de la commande publique.
Il n’en demeure pas moins que cette question se pose pour l’application de tous les motifs d’exclusion.
D’un côté, le principe de personnalité juridique conduirait à considérer qu’en dépit des liens capitalistiques, chaque société doit être appréhendée comme une entité autonome pour l’application des motifs d’exclusion de la commande publique.
De l’autre, on ne saurait ignorer que certaines filiales ne disposent pas d’une autonomie de gestion, de sorte qu’elles pourraient se confondre avec leur société-mère, ce que le Conseil d’État a déjà pu juger en matière de commande publique [6].
Des précisions mériteront donc d’être apportées par les juridictions administratives également sur ce point.
[1] L’article L. 3123-7 du Code de la commande publique N° Lexbase : L4365LR4 contient une disposition équivalente pour les contrats de concession.
[2] TA Nice, 20 septembre 2024, n° 2404905 N° Lexbase : A407359Q.
[3] C. pénal, art. 432-14 N° Lexbase : L7454LBP.
[4] C. pénal, art. 432-12 N° Lexbase : L1290MAZ.
[5] C. pénal, art. 432-11 N° Lexbase : L5519LZG.
[6] CE, 8 décembre 2020, n° 436532 N° Lexbase : A225439D.
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