Le Quotidien du 10 janvier 2025 : Institutions

[Tribune] Relancer le référendum ?

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N1404B3E

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par Jean-Pierre Camby, Professeur associé à l’Université de Versailles Saint-Quentin

le 06 Janvier 2025

Même si le mot référendum ne figure pas dans les vœux du chef de l’État, une phrase largement commentée en laisse entrevoir la possibilité : « C’est pour cela qu’en 2025 nous continuerons de décider et je vous demanderai aussi de trancher certains de ces sujets déterminants ». Au rang de ces sujets le Président cite tant le «  réveil européen, réveil scientifique, intellectuel, technologique, industriel, réveil agricole, énergétique et écologique. » mais aussi le pouvoir d’achat, « améliorer la sécurité au quotidien, juger plus vite et permettre à chaque famille d’avoir accès à la meilleure instruction pour ses enfants, à la santé et aux services publics de base ». Mais la décision du peuple à laquelle il est fait allusion est loin d’être un processus anodin.

Sous la Vème République, la décision en matière de référendum comme de dissolution relève des pouvoirs propres du chef de l’État, dispensés de contreseing ministériel donc couverts par  l’irresponsabilité politique du chef de l’État. Si le Président indique qu’il « prend toute sa part » à la situation créée par la dissolution du 9 juin 2024, cette formule est sans incidence sur le fonctionnement des institutions.

Tel est le principe décisionnel applicable, avec cependant deux nuances.

La première tient au fait que l’article 11 de la Constitution N° Lexbase : L0837AHH conditionne la convocation d’un référendum à  la proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou à la proposition conjointe des deux assemblées. Peu probable actuellement, cette seconde voie n’a jamais été prise depuis 1958. Quant à la proposition du Gouvernement, si elle est de facto acquise lorsque ce dernier est ordinairement soumis au Président, qu’en est-il lorsque le contexte crée à ce point de potentielles distorsions ?  Si le général de Gaulle voyait dans le risque d’un Premier ministre retournant la majorité parlementaire contre le chef de l’État un « défaut de la cuirasse » de la Vème République [1], risque à l’époque hautement fantasmatique, la situation actuelle rend plus incertaine la convergence exigée par l’article 11. La proposition du Gouvernement pour un référendum n’est donc pas acquise.

La seconde nuance est plus importante : le champ d’un référendum est limité par l’article 11 de la Constitution et doit porter sur «l’ organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ».  La jurisprudence sur les référendums d’initiative partagée, lesquels doivent respecter le même champ, a permis de délimiter les sujets possibles qui s’étendent à  l'exploitation d'un aérodrome national [2], à l'hôpital public [3] ou encore à des aspects de la politique migratoire : délivrance de titres de séjour, attribution de prestations sociales, de l'aide médicale d'État,  tarifs des transports [4]. Sont en revanche hors du champ de l'article 11 la taxation d'une fraction des bénéfices des entreprises [5] ou une proposition visant au maintien de l'état du droit existant au moment de l'enregistrement de la demande [6]. Sans reprendre ici le débat sur le point de savoir si l’article 11 peut servir à une révision de la Constitution, tranché positivement par les urnes le 28 octobre 1962, et négativement par le juge [7] comme par les délibérations du Conseil constitutionnel en 1962, on peut souligner  par exemple que la réforme du mode de scrutin entre à l’évidence dans le champ du référendum, tandis qu’un référendum centré sur des questions éthiques paraît exclu par la lettre de l’article 11.

La convocation d’un référendum comme la dissolution entrent dans la catégorie des actes de Gouvernement, injusticiables [8]. Mais depuis ces décisions  le Conseil  constitutionnel a ouvert la voie à un contrôle a priori en jugeant par la décision « Hauchemaille » [9] qu’« en vertu de la mission générale de contrôle de la régularité des opérations référendaires qui lui est conférée par l'article 60 de la Constitution N° Lexbase : L1326A9Y, il appartient au Conseil constitutionnel de statuer sur les requêtes mettant en cause la régularité d'opérations à venir dans les cas où l'irrecevabilité qui serait opposée à ces requêtes risquerait de compromettre gravement l'efficacité de son contrôle des opérations référendaires, vicierait le déroulement général du vote ou porterait atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics » sans que l’on sache si ce contrôle a priori porte aussi sur le fond de la consultation ou seulement sur son organisation. Confronté à une demande portant sur l’objet même du référendum (le traité européen), le Conseil constitutionnel a préféré juger que, « en tout état de cause », l'argument pouvait aisément être rejeté au fond [10].

Contrairement à la dissolution du 9 juin 2024, le Président ne prend donc pas de risque constitutionnel en annonçant qu’il demandera au peuple de « trancher »  certains sujets en 2025 du moment qu’ils entrent dans les matières visées à l’article 11 de la Constitution.

Le risque politique n’est pas, pour autant, inexistant. Le général de Gaulle l’avait affronté le 25 avril 1969 en annonçant que la victoire du non impliquerait une cessation « aussitôt …d’exercer ses fonctions ». Le 3 septembre 1992, François Mitterrand l’avait éludé notamment dans l’ éventualité de la « formidable bourrasque » qu’aurait été le non au traité de Maastricht, mais aussi dans l’hypothèse du succès. Jacques Chirac l’avait écarté le 5 juin 2000 lors de la consultation sur le quinquennat : « Nous posons une question aux Français, qu'ils y répondent !  Ils répondent oui, c'est très bien, ils répondent non, c'est très bien. En partant du principe que le peuple est souverain. »

Dans le contexte actuel, même s’il peut se prévaloir de ce dernier précédent ou de l’absence de conséquence du non recueilli par le référendum du 29 mai 2005 sur le projet de Constitution européenne, nul doute que toute question posée au peuple par Emmanuel Macron serait traduite par les oppositions comme une consultation plébiscitaire. La référence faite lors des vœux, en elle-même, est d’ailleurs déjà interprétée comme une tentative du Président de chercher à contourner l’absence de majorité parlementaire et de trouver enfin l’issue à la crise politique actuelle. Les Français s’intéresseraient-ils plus à la question posée qu’à celui qui la pose ?

Il est probable, en outre, que le Parlement, déjà malmené de conventions citoyennes en débats infructueux ne verra pas d’un bon œil qu’on lui ôte ainsi sa compétence. Si la volonté de faire « trancher » par le peuple lui-même une question a l’apparence de la démocratie , de la simplicité et de la clarté de la solution, la question posée suscitera bien… des questions.


[1] A. Peyrefitte, Le Mal français, Plon, 1976, p. 355.

[2] Cons. const. décision n° 2019-1 RIP du 9 mai 2019 N° Lexbase : A7627ZAQ.

[3] Cons. const., décision n° 2021-2 RIP du 6 août 2021 N° Lexbase : A64614ZC.

[4] Cons. const., décision n° 2024-6 RIP du 11 avril 2024 N° Lexbase : A979123Z.

[5] Cons. const., décision n° 2022-3 RIP du 25 octobre 2022 N° Lexbase : A89078QX, et décision n° 2013-681 du 5 décembre 2013 N° Lexbase : A5542KQC.

[6] Cons. const. décision n° 2023-4 RIP du 14 avril 2023 N° Lexbase : A17799PL.

[7] CE, 30 octobre 1998, n° 200286 N° Lexbase : A8519ASC.

[8] CE Ass., 19 octobre 1962, Brocas, Lebon 553, S. 1962.307, D. 1962.701 et RD publ. 1962.1181, concl. M. Bernard, AJ, 1962.612, chr. de Laubadère ; CE, 20 février 1989, n° 98538 N° Lexbase : A1606AQK, Lebon 60, RFDA, 1989.868, concl. Frydman.

[9] Cons. const. décision n° 2000-21 REF du 25 juillet 2000 N° Lexbase : A9117AGR.

[10] Cons. const., décision n° 2005-31 REF du 24 mars 2005 N° Lexbase : A54126P7.

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