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N0565B3C
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par Frédéric Balaguer, Maître de conférences en droit public à l’Université de Bordeaux, Institut Léon Duguit (ILD)
le 19 Décembre 2024
Mots clés : énergie solaire • sauvegarde des espaces naturels • règle d'urbanisme • panneaux photovoltaïques • patrimoine historique
Longtemps écartées d’une politique énergétique reposant, tout à la fois, sur des énergies fossiles majoritairement importées depuis des pays tiers et sur une énergie nucléaire placée sous le haut patronage de l’État, les collectivités territoriales sont aujourd’hui priées d’apporter leur concours, pour des motifs tant géopolitiques que climatiques, à la diversification de ce mix énergétique*.
Pour y parvenir, plusieurs sources d’énergies renouvelables peuvent être mobilisées. Parmi elles, l’énergie solaire figure en bonne place. Grâce à des centrales thermodynamiques ou des panneaux photovoltaïques installés sur le bâti ou sur le sol, cette dernière permet de produire non seulement de l’électricité mais encore de la chaleur, laquelle peut être utilisée soit pour le chauffage domestique soit pour la production d’eau chaude sanitaire. C’est dire que son intérêt est multiple, d’où l’attention qui lui est portée par l’État et, aussi, dans son sillage, par les collectivités territoriales.
Dans ce but, si elles peuvent prendre l’initiative d’exploiter ce type d’installation [1], elles sont également – et surtout – en mesure d’encadrer et d’organiser leur déploiement par le biais de leur compétence en matière d’urbanisme. Longtemps restée indifférente à cette forme d’occupation du sol, la police de l’urbanisme a dû expressément s’en saisir, pour les promouvoir, par suite des lois adoptées à l’occasion du Grenelle de l’environnement [2]. Depuis, l’article introductif du Code de l’urbanisme énonce que l’action des collectivités publiques en matière d’urbanisme contribue à « la lutte contre le changement climatique et l’adaptation à ce changement, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’économie des ressources fossiles, la maîtrise de l’énergie et la production énergétique à partir de sources renouvelables » [3]. La conséquence est concrète et immédiate puisque les collectivités territoriales sont désormais tenues d’intégrer ces préoccupations non seulement dans leurs documents d’urbanisme suivant une obligation de moyen [4] mais aussi, de façon moins immédiate, au travers des autorisations d’occupations des sols dont elles ont également la charge.
Leur action dans le domaine se veut d’autant plus guidée que les documents d’urbanisme sont invités à respecter les contraintes qui découlent des documents de planification qui leur sont hiérarchiquement supérieurs. Parmi eux, figure le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires [5], document qui doit lui-même être compatible avec l’article L. 101-2 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L7042MKZ, les objectifs de développement des énergies renouvelables et de récupération, exprimés par filière dans la programmation pluriannuelle de l’énergie et prendre en compte la stratégie nationale de développement à faible intensité de carbone [6].
Suivant une logique descendante, il appartient ensuite aux auteurs des schémas de cohérences territoriales (SCOT) de définir les orientations qui contribuent au développement des énergies renouvelables et aux plans « climat air énergie » territoriaux d’intégrer de tels objectifs afin d’accroître la production d’énergie renouvelable, le plan local d’urbanisme (PLU) devant, in fine, être compatible avec ces deux derniers documents, lequel s’imposera aux autorisations d’urbanisme qui sont requises pour installer de tels dispositifs selon un rapport de conformité, pour ce qui est du règlement, ou de compatibilité, en ce qui concerne les orientations d’aménagement et de programmation.
La richesse, pour ne pas dire la complexité, de ce cadre normatif se justifie par l’acuité des enjeux et des tensions qui entourent aujourd’hui le nécessaire développement de cette énergie. Si la décarbonation du mix énergétique invite certes d’un côté à massifier son déploiement, la protection de la biodiversité, des espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF), des paysages et du patrimoine historique et architectural, qui sont autant d’autres objectifs fixés aux politiques d’urbanisme par l’article L. 101-2 du code précité, nécessite aussi de contenir et d’ajuster l’effort conduit en la matière.
Par conséquent, bien que les politiques d’urbanisme décentralisées soient sommées de stimuler le développement de l’énergie solaire (I), la nécessité de mener une politique équilibrée et respectueuse de l’environnement et du patrimoine justifie que son déploiement soit encadré (II).
I. Stimuler le développement de l’énergie solaire
La stimulation peut s’opérer par la règle locale d’urbanisme (A) et, au besoin, contre cette dernière (B).
A. Par la règle d’urbanisme
Les collectivités territoriales sont en mesure d’encadrer et de promouvoir les énergies solaires au moyen, essentiellement, des documents d’urbanisme et des autorisations d’occupation des sols dont elles ont la charge depuis la réforme décentralisatrice. Trois séries d’habilitations, allant de la simple incitation, plus ou moins explicite, à l’obligation, leur sont dans cette optique conférées par le législateur.
En premier lieu, pour que les panneaux photovoltaïques puissent être installés, encore faut-il que les règles d’urbanisme qu’elles édictent le permettent, qu’elles ne s’opposent pas à ce que de tels dispositifs soient aménagés tant sur le bâti, qu’au droit d’espaces non artificialisés tels que les ENAF.
D’abord, lorsque sont concernés des espaces agricoles ou naturels, voire même urbains, qui se révèlent adaptés pour recevoir ces installations, ce sont les règles portant sur l’affectation des sols, les interdictions de construire et la destination des constructions autorisées qui doivent être rédigées de façon à permettre leur implantation [7]. Les collectivités territoriales sont d’autant plus encouragées à agir en ce sens que l’installation de panneaux, à condition qu’ils n’affectent pas les fonctions écologiques et agronomiques des sols, n'est pas considérée comme engendrant une consommation d’espace au titre de la première tranche de l’objectif fixé par le zéro artificialisation nette [8].
Ensuite, pour favoriser leur installation sur le bâti, qu’il soit ou non situé en zone urbaine, les règles de prospect, d’aspect extérieur ou de hauteur qu’elles rédigent devront l’être de telle sorte qu’elles n’empêchent pas, voire ne contraignent pas trop les pétitionnaires. Tel sera le cas d’un règlement autorisant les panneaux solaires à l’intérieur des marges de recul, n’intégrant pas dans le calcul de la hauteur les éléments techniques, et n’interdisant tout simplement pas ces derniers sur la toiture, quoiqu’en cette hypothèse la règle peut s’en trouver neutralisée (cf. infra).
Enfin, pour qu’ils puissent être installés aux abords des axes routiers, la servitude d’inconstructibilité qui s’y applique par principe [9] n’est, depuis la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023, relative à l’accélération de la production énergétique N° Lexbase : L1382MHN, plus opposable aux infrastructures de production d’énergie solaire, photovoltaïque ou thermique, de sorte que le PLU peut faire l’économie de l’étude qu’il doit comporter pour l’écarter [10]. L’évolution se révèle donc moins coûteuse et plus expédiente pour les collectivités territoriales et les porteurs de projets.
En deuxième lieu, parce que ce type d’incitation ne saurait suffire, le législateur a progressivement habilité les collectivités territoriales à encourager plus positivement les administrés à œuvrer en ce sens. Trois exemples peuvent à ce titre être donnés.
Premièrement, la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005, de programme fixant les orientations de la politique énergétique N° Lexbase : L5009HGM, a habilité le règlement des PLU, d’une part, à recommander l’utilisation des énergies renouvelables pour l’approvisionnement énergétique des constructions neuves [11] et, d’autre part, à accorder des bonifications de densité en cas d’installation d’un équipement performant d’énergie renouvelable. Tandis que la recommandation a laissé place à un pouvoir plus fort de contrainte [12], le PLU est aujourd’hui encore en mesure d’identifier les secteurs, situés dans les zones urbaines ou à urbaniser, dans lesquels les constructions faisant preuve d’une exemplarité énergétique ou environnementale ou qui sont à énergie positive, bénéficient d’une majoration de volume constructible qu’il détermine en référence à l’emprise au sol et à la hauteur [13].
Deuxièmement, la loi du 10 mars 2023 a quelque peu innové en faisant des documents d’urbanisme le réceptacle des fameuses zones d’accélération pour l’identification desquelles les collectivités territoriales, en particulier communales, jouent un rôle décisif [14]. Néanmoins, ce zonage n’impose aucune obligation de faire, il n’emporte avec lui que de simples incitations de diverses natures tenant essentiellement à la réduction des délais d’instructions des autorisations requises par un porteur de projet.
Troisièmement, empruntant encore au registre de l’incitation, il est prévu, depuis la loi « Grenelle I » (loi n° 2009-967 du 3 août 2009, de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement N° Lexbase : L6063IEB), que toute action ou opération d’aménagement au sens de l’article L. 300-1 du Code de l'urbanisme N° Lexbase : L2581MIG faisant l’objet d’une étude d’impact doit, consubstantiellement, donner lieu à une étude de faisabilité sur le potentiel de développement en énergie renouvelable de la zone. L’étude, précise encore le législateur, porte en particulier sur l’opportunité de la création ou du raccordement à un réseau de chaleur ou de froid ayant recours aux énergies renouvelables et de récupération [15]. Il n’en résulte, en tout état de cause, aucune obligation de résultat, l’étude pouvant se révéler négative.
En troisième lieu, les règles d’urbanisme peuvent imposer le recours et l’usage de panneaux solaires. C’est là un des apports de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement, dite "Grenelle II" N° Lexbase : L7066IMN, qui a non seulement inscrit les objectifs énergétiques à l’ancien article L. 121-1 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L2318KIP, mais a encore renforcé l’outillage mobilisable par les documents d’urbanisme dans des termes qui ont peu varié depuis.
D’abord, le DOO du SCOT fut habilité à définir des secteurs dans lesquels l’ouverture de nouvelles zones à l’urbanisation est subordonnée à l’obligation pour les constructions, travaux, installations et aménagement à respecter des performances énergétiques et environnementales renforcées [16]. Si le SCOT ne dispose plus expressément de cette habilitation, il semble toujours en mesure d’imposer ce type d’obligation puisqu’il peut décliner toute orientation nécessaire à la traduction du projet d’aménagement stratégique relevant des objectifs fixés à l’article L. 101-2 précité [17].
Ensuite, le règlement du PLU peut tout aussi bien, de lui-même, imposer aux constructeurs d’avoir recours à l’énergie solaire. Depuis 2010, il est en mesure de définir des secteurs dans lesquels il impose aux constructions, travaux, installations et aménagements, de respecter des performances énergétiques et environnementales renforcées qu’il définit [18]. À ce titre, il peut imposer une production minimale d’énergie renouvelable, le cas échéant, en fonction des caractéristiques du projet et de la consommation des sites concernés. Production qu’il peut aller jusqu’à localiser dans le bâtiment, dans le même secteur ou à proximité de celui-ci.
En quatrième lieu, le législateur a voulu faciliter l’introduction dans les SCOT [19] et PLU [20] de toutes les mesures favorables au développement de l’énergie solaire, en ce comprise l’identification des zones d’accélération. Désormais, les évolutions introduites à ce titre entrent de plein droit dans le champ de la procédure de modification simplifiée que l’on sait plus rapide et moins coûteuse à mener que la procédure de révision à raison de l’allègement du formalisme procédural auquel elle donne lieu. Dans la même optique, le législateur a étendu le champ de la déclaration de projet pour que les projets d’installation de production d’énergies renouvelables puissent en bénéficier [21]. L’accélération des procédures est dans cette hypothèse d’autant plus marquée dans la mesure où une concertation publique unique portant à la fois sur le projet et sur la mise en compatibilité du document d’urbanisme [22] est susceptible d’être mise en œuvre.
De cet exposé, on s’aperçoit que les collectivités territoriales peuvent faciliter et inciter au développement de l’énergie solaire. Elles n’y sont néanmoins pas tenues puisque les habilitations dont elles peuvent user sont, dans la plupart des cas, d’un usage facultatif. Il faut y voir une expression particulière du principe de libre administration qui se veut nettement moins marquée dans les cas où le législateur neutralise, plus ou moins directement, les règles d’urbanisme qui s’opposeraient expressément à l’installation de panneaux solaires.
B. Contre la règle d’urbanisme
La volonté de développer la production d’énergie solaire se manifeste, dans certaines hypothèses, par la neutralisation des règles locales d’urbanisme qui pourraient constituer pour cela un obstacle. Le législateur a développé en ce sens trois séries de solutions dont certaines se révèlent particulièrement attentatoires aux libertés locales.
En premier lieu, constatant que de nombreux PLU avaient, si ce n’est pour objet, du moins pour effet, de faire obstacle à des travaux permettant d’installer des dispositifs écologiques, la loi Grenelle II du 12 juillet 2010 a posé un principe d’inopposabilité des règles locales d’urbanisme relatives à l’aspect extérieur qui en rendraient l’exécution impossible [23].
Le champ d’application de la mesure est circonscrit tant en ce qui concerne les règles neutralisées que les dispositifs qui en bénéficient.
Au premier titre, ne sont concernées que les seules règles relatives à l’aspect extérieur que peuvent contenir les PLU, les plans d’occupation des sols (POS) remis en vigueur, les règlements des lotissements et les plans d’aménagement de zone (PAZ) couvrant (encore) les zones d’aménagement concertées (ZAC).
Au second titre, sont seules concernées les installations expressément visées par le pouvoir réglementaire [24]. Parmi elles, on retrouve les systèmes favorisant la production d’énergie à partir de sources renouvelable, y compris, a ajouté la loi « climat et énergie » du 8 novembre 2019 N° Lexbase : L4969LT9, lorsqu’ils sont installés sur les ombrières des aires de stationnement. À la condition sine qua non que ces systèmes correspondent aux besoins de la consommation des occupants de l’immeuble ou de la partie de l’immeuble concernée ce qui, de facto, exclut par exemple du dispositif les procédés de production d’énergie de type centrale solaire.
Bien que peu respectueux de la décentralisation, le législateur n’a pas complètement dépossédé de tout pouvoir les autorités décentralisées. C’est à l’autorité compétente pour délivrer les autorisations d’urbanisme qu’il appartient d’écarter la règle incriminée. Alors, elle peut assortir l’autorisation sollicitée de prescriptions destinées à assurer la bonne intégration architecturale du projet dans le bâti existant et dans le milieu environnant. À ce dispositif de neutralisation, s’en ajoute un second qui offre plus de latitude à l’autorité autorisatrice.
En deuxième lieu, cette dernière peut en effet, à la demande du pétitionnaire, déroger, par une décision motivée, aux règles des PLU relatives à l’emprise au sol, à la hauteur, à l’implantation et à l’aspect extérieur afin d’autoriser l’installation d’ombrières dotées de procédés de production d’énergies renouvelables situées sur les aires de stationnement [25]. À la différence du précédent dispositif, l’initiative de la dérogation incombe donc seulement au pétitionnaire. Son octroi n’est, au surplus, pas de droit, et s’il ne se limite pas aux seules règles esthétiques, son champ d’application est circonscrit aux panneaux solaires installés sur les aires de stationnement, pas sur le bâti. À l’instar du dispositif précédent, la décision d’octroi de la dérogation peut comporter des prescriptions destinées à assurer la bonne intégration architecturale du projet dans le bâti existant et dans le milieu environnant.
Voulant élargir les conditions d’octroi de telles dérogations pour que les panneaux puissent plus facilement être installés sur les bâtiments existants, ainsi d’ailleurs que l’imposent expressément les articles L. 171-4 N° Lexbase : L6837L7D et L. 171-5 N° Lexbase : L1914MHD du Code de la construction et de l’habitation (CCH) tel qu’introduits par la loi du 10 mars 2023, le projet de loi de simplification de la vie économique déposée au Sénat sous la précédente législature prévoyait d’ajouter un nouvel alinéa 5° à l’article L. 152-5 au Code de l’urbanisme N° Lexbase : L5395LTY.
D’après l’étude d’impact accompagnant le projet de loi [26], les règles de hauteur, de gabarit et d’aspect extérieur qu’imposent les PLU peuvent se révéler bloquantes pour l’installation de panneaux photovoltaïques et solaires thermiques en toiture de bâtiments existants. De tels blocages, est-il indiqué, ne peuvent être levés par aucun des deux dispositifs précédemment étudiés. Le premier, codifié à l’article L. 111-16 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L5400LT8, parce que la neutralisation ne concerne que les règles relatives à l’aspect extérieur, non les règles de hauteur ou de gabarit. Le second, prévu par l’article L. 152-5 du même code précité, car, même s’il permet de déroger aux règles de hauteur, il ne le peut qu’en vue de végétaliser une toiture, pas d’y installer des panneaux solaires.
Par suite, la réforme avortée visait à ce que les panneaux photovoltaïques et solaires thermiques puissent déroger eux aussi, par décision motivée, aux règles d’emprise au sol, de hauteur, d’implantation et d’aspect extérieur des constructions. Le blocage peut certes, en l’état, être levé par la modification, en tant que de besoin, du PLU suivant la procédure ci-avant indiquée, mais, quand bien même serait-elle simplifiée, ce cheminement procédural sera toujours plus long à mettre en œuvre qu’une dérogation. Là s’explique le choix opéré par le législateur qui s’est également enquis, plus directement, de neutraliser des règles potentiellement défavorables à l’énergie solaire.
En troisième lieu, bien que le règlement du PLU soit en mesure de délimiter des zones d’exclusion des énergies renouvelables dès lors qu’ont été cartographiées les zones d’accélération, il lui est impossible, par ce biais, d’interdire les procédés de production d’énergies renouvelables en toiture [27], ce qui vise évidemment les panneaux solaires. Il lui est donc, à nouveau, à l’image du premier dispositif, interdit d’interdire.
On le voit, si le législateur mobilise, au besoin contre leur gré, les collectivités territoriales pour qu’elles contribuent à la production d’énergie solaire, l’effort que ces dernières sont invitées à fournir n’est pas complètement débridé. Pour éviter que ne soit compromise la concrétisation des autres objectifs poursuivis par les politiques d’urbanisme, elles sont effectivement conduites à encadrer son développement.
II. Encadrer le développement de l’énergie solaire
À l’instar des autres sources d’énergie, et de l’éolien en particulier, l’énergie solaire peut susciter un certain scepticisme compte tenu des inconvénients patrimoniaux, paysagers et environnementaux qui lui sont potentiellement attachés. Pour que ces impératifs puissent ainsi être utilement conciliés, les collectivités territoriales pourront soit en interdire (A), soit en conditionner l’installation (B).
A. Interdire
L’interdiction pure et simple des panneaux solaires peut être un choix de la collectivité, qui souhaiterait protéger de sa propre initiative un espace naturel, ou la conséquence de règles supra-locales qu’elles se doivent d’appliquer. Trois séries de configurations peuvent, dans ce contexte, se présenter à elles.
En premier lieu, elles devront refuser de délivrer les autorisations d’urbanisme requises dans le cas où l’implantation de panneaux solaires porterait atteinte aux intérêts protégés par les lois « Montagne » (loi n° 85-30 du 9 janvier 1985, relative au développement et à la protection de la montagne N° Lexbase : L7612AGZ) et « littoral » (loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à la protection, l’aménagement et la mise en valeur du littoral N° Lexbase : L7941AG9). Sans prétendre à l’exhaustivité, deux exemples symboliques peuvent être pris.
Le premier montre que le développement de cette énergie peut se heurter à la rigueur du principe d’urbanisation en continuité posé par la loi « Montagne » [28]. Les panneaux photovoltaïques constituant, au sens de cette disposition, des opérations d’urbanisation, leur implantation en discontinuité des points d’ancrage posés par le législateur se révèle impossible [29], à moins qu’il y soit dérogé au moyen d’une étude justifiant que la discontinuité n’est pas contraire aux autres intérêts protégés par la loi (l’agriculture et le patrimoine tant culturel que naturel).
Le second, tiré de la loi « littoral », illustre quant à lui les limites posées par les règles protectrices qu’elle comporte depuis 1986. L’autorisation de construire un parking coiffé de 12 ombrières, toutes équipées de panneaux solaires, fut sèchement censurée parce que le projet, situé dans un espace proche du rivage en dehors d’un site urbanisé, ne présente pas un caractère limité. Étant en outre situé dans un espace remarquable du littoral, le parking ne peut davantage être assimilé, de par son envergure, à un aménagement léger [30].
En deuxième lieu, l’obstacle au développement de l’énergie solaire peut directement découler des documents locaux de planification, du règlement national d’urbanisme et de servitudes d’utilités publiques pour des motifs patrimoniaux ou environnementaux. Trois configurations permettent là encore de le mettre en évidence.
Premièrement, dans le but de protéger le patrimoine historique et architectural, le principe d’inopposabilité des règles relatives à l’aspect extérieur des constructions précédemment mentionné n’est pas applicable dans les secteurs protégés à raison de leur richesse patrimoniale, historique et architecturale [31].
D’une part, tel est le cas des projets menés aux abords d’un monument historique, dans le périmètre d’un site patrimonial remarquable, d’un site inscrit ou classé, et à l’intérieur du cœur d’un parc national. Il en va encore ainsi s’agissant des travaux portant sur un immeuble classé ou inscrit au titre des monuments historiques ou sur un immeuble protégé par le PLU [32].
D’autre part, l’organe délibérant de l’autorité compétente pour élaborer un PLU peut, après avis de l’ABF, prendre l’initiative de délimiter des périmètres dans lesquels un tel principe ne trouvera pas à s’appliquer, à condition que leur établissement soit motivé par la protection du patrimoine bâti ou non bâti, des paysages ou des perspectives monumentales et urbaines [33].
Deuxièmement, à condition que les zones d’accélération aient été définies, le DOO du SCOT et le règlement du PLU sont en mesure, sous la réserve des panneaux solaires installés sur les toitures, de délimiter des secteurs d’exclusion des énergies renouvelables dès lors qu’elles portent atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages, à la qualité architecturale, urbaine et paysagère, à la mise en valeur du patrimoine et à l’insertion des installations dans le milieu environnant [34].
En troisième lieu, la protection du patrimoine et des paysages peut justifier, au stade de l’application du document d’urbanisme par l’autorité compétente, le refus de délivrer une autorisation d’urbanisme.
Premièrement, un tel refus pourra être fondé, lorsque le projet d’énergie solaire, notamment s’il est mené au droit d’ENAF, ne s’intègre pas dans les paysages environnants, qu’ils soient urbains ou naturels, sur l’article R. 111-27 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L0544KW3.
Deuxièmement, si l’autorité compétente pour délivrer les autorisations d’urbanisme peut déroger, par décision motivée, aux règles des PLU relative à l’emprise au sol, à la hauteur, à l’implantation et à l’aspect extérieurs des constructions pour y autoriser l’installation d’ombrières dotées de procédés de production d’énergie renouvelables situées sur des aires de stationnement, un tel pouvoir lui échappe lorsqu’est concerné un immeuble classé ou inscrit au titre des monuments historiques, un immeuble protégé au titre des abords, à ceux qui sont situés dans le périmètre d’un SPR ou qui sont protégés par le règlement du PLU en application de l’article L. 151-19 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L7824K9N. Le législateur veut éviter que la production d’énergie solaire ne s’opère au détriment du patrimoine historique et architectural. De façon moins impérative, et donc plus respectueuse de la liberté d’entreprendre, les collectivités territoriales sont fondées à conditionner l’installation de tels dispositifs.
B. Conditionner
Les collectivités territoriales peuvent conditionner l’installation de dispositifs de production d’énergie solaire que ce soit sur le bâti, pour des raisons essentiellement patrimoniales, ou sur les terrains agricoles, naturels et forestiers, pour d’évidents motifs tirés de la protection de la biodiversité, des paysages naturels et du potentiel agronomique de terres nourricières qui doivent, autant que faire se peut, conserver leur vocation. Le cadre ainsi fixé a pu être tout à la fois assoupli et précisé comme le montrent trois séries de configurations.
En premier lieu, les obstacles à l’énergie solaire découlant des principes protecteurs contenus dans les lois « Montagne » et « littoral » peuvent être écartés à certaines conditions.
D’abord, pour qu’ils puissent être édifiés sur les friches ou sur des bassins industriels de saumure saturée sis en discontinuité de l’urbanisation existante dans les zones littorales, la loi du 10 mars 2023 a ajouté une nouvelle dérogation, qu’il a nettement conditionné, au principe de l’urbanisation en continuité [35]. En toute hypothèse, elle n’est susceptible d’être mise en œuvre qu’au droit des friches et bassins de saumure expressément identifiés par décret après concertation avec le Conservatoire du Littoral et des rivages lacustres et avis des associations représentatives des collectivités territoriales concernées. Puis, l’autorisation ne peut être délivrée que par l’État après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites à la condition que le projet ne soit pas de nature à porter atteinte à l’environnement, notamment à la biodiversité ou aux paysages et à la salubrité ou à la sécurité publiques, en fonctionnement normal comme en cas d’incident ou d’accident. Pour le cas où serait concernée une friche, le pétitionnaire doit encore justifier que le projet photovoltaïque ou solaire est préférable, pour des motifs d’intérêt général, à un projet de renaturation. Le pouvoir ici octroyé aux collectivités territoriales se révèle donc plus que limité puisqu’il n’est que purement consultatif. Il est plus important lorsqu’il s’agit de déroger aux dispositions de la loi « Montagne ».
Ensuite, pour qu’elles puissent être installées au sol en discontinuité de l’urbanisation existante sur des territoires situés en zone de montagne, les SCOT, PLU et, depuis la loi du 10 mars 2023, les cartes communales, peuvent comporter une étude de discontinuité justifiant de ce que le non-respect de ce principe ne porte pas atteinte aux autres règles protectrices posées par la loi « Montagne ». La protection inhérente à ce principe ne peut ainsi être écartée qu’à de strictes conditions qui permettent de limiter l’impact de ces installations sur l’environnement.
En deuxième lieu, les contraintes pesant sur ces dernières découlent, lorsqu’elles sont implantées en dehors des zones urbaines, du statut législatif des zones agricoles et naturelles établies par le règlement du PLU, d’une part et, en son absence, des exceptions à la règle de la constructibilité limitée, d’autre part. L’enjeu est ici de taille puisque l’effort qu’implique la diversification du mix énergétique a conduit nombre d’opérateurs, pour des raisons essentiellement économiques, à installer ces dispositifs à même le sol ou sur les toits des exploitations agricoles. En l’absence d’encadrement, la nécessaire décarbonation de la production d’énergie court le risque de s’opérer au détriment de notre souveraineté alimentaire et de la biodiversité. Le cadre a dû, par conséquent, être raffermi, ce que fit de façon attendue la loi du 10 mars 2023.
De façon générale, et pour comprendre l’apport de ce texte, il convient d’observer que dans les zones A et N des PLU [36] et en dehors des parties urbanisées [37] des communes qui en sont dépourvues, peuvent être autorisées les constructions et installations nécessaires, d’une part, à l’activité agricole et, d’autre part, à des équipements collectifs et ce, à la double condition qu’elles ne soient pas incompatibles avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière et qu’elles ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages.
Avant la loi du 10 mars 2023, les solutions jurisprudentielles applicables dans chacune de ces hypothèses se sont voulues très pragmatiques.
Dans la première hypothèse, s’il a été jugé qu’une serre édifiée en zone agricole pouvait recevoir, sur sa toiture, des panneaux photovoltaïques, c’est à la condition que celle-ci poursuive bien un objectif de production agricole et qu’elle soit, de la sorte, nécessaire à l’activité agricole [38].
Dans la seconde hypothèse, le Conseil d’État a considéré que si des panneaux photovoltaïques peuvent être assimilés à des équipements collectifs, en revanche, leur installation n’est possible que si l’activité agricole reste, sur le terrain d’implantation, significative [39].
Après la loi du 10 mars 2023, le cadre juridique applicable en pareilles situations se trouve affiné et précisé.
D’abord, le texte est utilement venu indiquer que l’installation des serres, des hangars et des ombrières à usage agricole supportant des panneaux photovoltaïques doit correspondre à une nécessité liée à l’exercice effectif d’une activité agricole, pastorale ou forestière significative [40].
Ensuite, il est venu définir, par une disposition intégrée dans le Code de l’énergie [41], les conditions que doivent remplir ces installations pour pouvoir être implantées sur les terrains à vocation agricoles. Une nuance a été introduite entre l’agrivoltaïsme proprement dit, lequel permet d’installer des panneaux solaires sur des espaces agricoles cultivés, et les installations compatibles avec l’exercice d’une activité agricole qui, eux, ne pourront trouver place que sur des terrains incultes ou non exploités. Dans le premier cas, les panneaux solaires ne pourront être autorisés qu’à la condition de remplir l’ensemble des critères posés par les dispositions précitées du Code de l’énergie et des décrets pris pour leur application [42]. Dans cette occurrence, en effet, l’installation est alors automatiquement considérée comme nécessaire à l’exploitation agricole au sens des dispositions précitées du code de l’urbanisme [43].
En deuxième lieu, de façon plus classique, le règlement du PLU est habilité à définir les secteurs dans lesquels l’implantation d’installations de production d’énergie renouvelable, y compris leurs ouvrages de raccordement, est soumise à conditions, dès lors que ces installations portent atteinte à la sauvegarde des paysages, à la qualité architecturale, urbaine et paysagère, à la mise en valeur du patrimoine et à l’insertion des installations dans le milieu naturel [44].
En troisième lieu, les collectivités territoriales peuvent conditionner la délivrance d’une autorisation d’urbanisme sur la base des articles L. 111-16, L. 152-5, R. 111-27 du Code de l’urbanisme précités afin qu’elles s’intègrent dans leur environnement. Dans le même ordre d’idées, les ombrières concourant à l’ombrage des parcs de stationnement ne peuvent être installées que si elles ne portent pas atteinte à la préservation du patrimoine architectural ou paysager.
Un tel arsenal législatif permet assurément aux collectivités territoriales d’encadrer le déploiement de cette énergie afin d’éviter les dérives et écueils qui peuvent lui être, à défaut, attachés. L’impérative transition énergétique ne justifie effectivement pas que les autres enjeux de notre siècle soient négligés.
*Cette intervention est tirée du colloque Les collectivités territoriales et l'énergie solaire, organisée par l'Université Savoie Mont Blanc le 31 mai 2024.
[1] CAA Nantes, 19 avril 2024, n°23NT01257 N° Lexbase : A205428L.
[2] E. Carpentier, Les objectifs assignés aux documents d'urbanisme après la loi « Grenelle 2 », RDI, 2011, p. 69.
[3] C. urb., art. L. 101-2 7°.
[4] Cons. const., décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000, Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain N° Lexbase : A1727AIS.
[5] CGCT, art. R. 4251-5 N° Lexbase : L6373K9W et R. 4251-10 N° Lexbase : L6293K9X.
[6] CGCT, art. L. 4251-3 N° Lexbase : L3153LUC.
[7] C. urb., art. L. 151-9 N° Lexbase : L2566KIU.
[8] Loi n° 2021-1104, du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets N° Lexbase : L6065L7R, art. 194 III 5°.
[9] C. urb., art. L. 111-6 N° Lexbase : L1812MHL et s..
[10] C. urb., art. L. 111-7 5°.
[11] C. urb., art. L. 123-1-14° ancien.
[12] Examiné ci-après.
[13] C. urb., art. L. 151-28, préc.
[14] C. énergie, art. L. 141-5-3 N° Lexbase : L5632MIG.
[15] C. urb., art. L. 300-1-1 N° Lexbase : L6800L7Y.
[16] C. urb., art. L. 122-1-5-V ancien.
[17] C. urb., art. L. 141-4 N° Lexbase : L1732MHM.
[18] C. urb., art. L. 123-1-5, 14° ancien, recodifié à l’article L. 151-21 du même code N° Lexbase : L2578KIC et précisé par l’art. R. 151-42 N° Lexbase : L0516K9Y.
[19] C. urb., art. L. 143-29 N° Lexbase : L1734MHP.
[20] C. urb., art. L. 153-31 N° Lexbase : L1836MHH.
[21] C. urb., art. L. 300-6 N° Lexbase : L9487MI9.
[22] C. urb., art. L. 300-2 N° Lexbase : L1742MHY.
[23] C. urb., art. L. 111-16 et s..
[24] C. urb., art. R. 111-23 N° Lexbase : L0548KW9 et s..
[25] C. urb., art. L. 152-5.
[26] Etude d’impact au projet de loi de simplification de la vie économique, 23 avril 2024, p. 310 et s.
[27] C. urb., art. L. 151-42-1 N° Lexbase : L1835MHG.
[28] C. urb., art. L. 122-5 N° Lexbase : L1851LCK.
[29] TA Marseille, 2 avril 2012, n° 0900689 N° Lexbase : A2633IRX.
[30] CAA Marseille, 7 novembre 2017, n° 16MA01780, 16MA0203.
[31] C. urb., art. L. 111-17 N° Lexbase : L2594K9X.
[32] En application des articles L. 151-18 N° Lexbase : L2596K9Z et L. 151-19 N° Lexbase : L7824K9N du Code de l’urbanisme.
[33] Ibid.
[34] C. urb., art. L. 151-42-1.
[35] C. urb., art. L. 121-12-1 N° Lexbase : L1826MH4.
[36] C. urb., art. L. 151-11 N° Lexbase : L1737MHS.
[37] C. urb., art. L. 111-4.
[38] CE, 12 juillet 2019, n°422542 N° Lexbase : A2962ZKW.
[39] CE, 31 juillet 2019, n° 418739 N° Lexbase : A3884ZLG.
[40] C. urb, art. L. 111-28 N° Lexbase : L1817MHR.
[41] C. énergie, art. L. 314-36 II N° Lexbase : L1886MHC.
[42] A. Gossement, L’État encourage et freine l’agrivoltaïsme, EEI, 2024, ét. 20.
[43] C. urb., art. L. 111-27 N° Lexbase : L2188IQ4.
[44] C. urb., art. L. 151-42-1.
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