Le Quotidien du 7 octobre 2024 : Droit social européen

[Brèves] Droit d’être entendus des ayants droit d’une victime d’un « accident du travail » et autorité de la chose jugée

Réf. : CJUE, 26 septembre 2024, aff. C-792/22, Energotehnica N° Lexbase : A168157E

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par Jean-Philippe Tricoit, Maître de conférences - HDR à l'Université de Lille, co-directeur de l'Institut des sciences du travail

le 02 Octobre 2024

► Dans le cadre du droit à un recours effectif, les ayants droit d’une victime d’un « accident du travail » doivent pouvoir être entendus afin d’obtenir une potentielle réparation en cas de manquement de l’employeur à l’une de ses obligations ; l’autorité de la chose jugée d’une décision juridictionnelle vis-à-vis d’une autre est subordonnée à cette condition.

Faits et procédure. Dans une affaire du 26 septembre 2024, deux procédures sont diligentées par les autorités roumaines à la suite du décès d’un salarié : d’une part, d’une enquête administrative menée par l’Inspecția Muncii (inspection du travail roumaine), découle une décision prononcée par le juge administratif qui exclut in fine la qualification d’accident du travail. D’autre part, des poursuites pénales sont engagées par le Parquet roumain, pour non-respect des mesures légales de sécurité au travail et homicide involontaire. Le juge pénal, en première instance, relaxe l'employeur des poursuites et rejette l'action civile des ayants droit de la victime. Saisie en appel, la Curtea de Apel (cour d’appel) de Braşov estime que la décision de la juridiction administrative s’impose normalement à la juridiction pénale, en raison de l’autorité de la chose jugée dont elle est revêtue. Ce faisant, les ayants droit de la victime sont procéduralement empêchés d'obtenir une éventuelle réparation.

Les questions préjudicielles. Prise d’un doute, la cour d’appel roumaine communique deux questions préjudicielles à la CJUE, sur la compatibilité de cette situation juridique avec l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de la Directive n° 89/391/CEE du 12 juin 1989, garantissant la protection du travailleur dans sa santé, sa sécurité et sa dignité N° Lexbase : L9900AU9. La Haute juridiction statue sur ces questions dans cet arrêt du 26 septembre 2024.

Les éléments de réponse de la CJUE. L’affaire est d’abord mal engagée : dans le cadre des principes issus de la Directive de 1989, tels que la prévention des risques professionnels (art. 1er, § 1er et § 2) et l'obligation de l'employeur d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs (art. 5, § 1er), aucune disposition n'indique les modalités procédurales d’engagement de la responsabilité de l'employeur ayant manqué à ses obligations (point 48), et ce, conformément à la jurisprudence antérieure (CJUE, 14 juin 2007, aff. C-127/05, Commission/Royaume-Uni N° Lexbase : A8180DWU). De même, l’article 31 de la Charte est muet sur ces aspects (point 50). Cependant, grâce à son pouvoir d’évocation auto-attribué (CJUE, 25 avril 2024, aff. C-308/22, PAN Europe [Closer] N° Lexbase : A9142284), la CJUE estime qu’est en cause le droit à un recours effectif et à un tribunal impartial, consacré à l’article 47 de la Charte (point 53). Elle en conclut que les ayants droit de la victime doivent disposer du droit d’être entendues devant la juridiction pénale, l’office du juge national consistant à en vérifier l’effectivité (point 58). Dès lors, ce n'est pas tant l'autorité de la chose jugée qui est mise en question que la faculté des justiciables d'être entendu. Ce n'est d'ailleurs que dans l'hypothèse où les justiciables ne sont pas entendus que l'autorité de la chose jugée semble devoir être écartée par le juge. Quant à la question de savoir si le droit français est conforme à l'arrêt « MG », on peut nourrir quelques soupçons au regard des décisions les plus récentes ayant énoncé que l'autorité de la chose jugée au pénal s'impose sur l'existence des faits communs aux actions pénale et civile, sur sa qualification et sur la culpabilité ou l'innocence de son auteur (Cass. civ. 2, 1er décembre 2022, n° 21-10.773, F-B N° Lexbase : A45478WC ; Cass. civ. 2, 7 juillet 2022, n° 21-15.036, F-D N° Lexbase : A71438AS).

Par ailleurs, l’arrêt du 26 septembre 2024 donne à la CJUE l'opportunité de rappeler les conditions dans lesquelles elle assure la primauté du droit de l’Union, conformément à sa jurisprudence « RS » (CJUE, 22 février 2022, aff. C-430/21, RS N° Lexbase : A75257NZ). Dans son office, le juge national est tenu de laisser inappliquées d’office des décisions de la juridiction constitutionnelle de son État dès lors que ces décisions méconnaissent les droits provenant de la réglementation de l'Union. Tel est le cas s’agissant de la Directive de 1989, ce qui participe du renforcement du droit social de l’Union européenne. En outre, les magistrats ne peuvent encourir de poursuites disciplinaires pour ce motif. À cet égard, il semblerait que le régime de responsabilité des magistrats soit en adéquation avec le droit de l’Union : s'abstenir d'appliquer les décisions du Conseil constitutionnel ne peut pas être constitutif d'une infraction (Cass. crim., 9 décembre 1981, n° 81-94.848, publié N° Lexbase : A8498CGT). De même, il paraîtrait étrange que l'État exerce une action récursoire à l'encontre du magistrat en de telles circonstances dans le cadre de la responsabilité civile (Ordonnance n° 58-1270, du 22 décembre 1958 N° Lexbase : L5336AGQ, art. 11-1). Cela étant, sous l'angle disciplinaire, tout risque n'est pas écarté pour le magistrat, car le devoir de légalité, qui impose notamment le respect des prescriptions constitutionnelles et légales (v. D. Barlow, Conseil supérieur de la magistrature, Discipline des magistrats, J.-Cl. Procédure civile, Fasc. 260-20, § 12), pourrait fonder une sanction disciplinaire à son encontre.

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