Le Quotidien du 11 septembre 2024 : Actualité judiciaire

[A la une] À l’audience de fixation du procès du financement libyen de la campagne de Sarkozy, les esprits s’échauffent déjà

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[A la une] À l’audience de fixation du procès du financement libyen de la campagne de Sarkozy, les esprits s’échauffent déjà. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/111469996-a-la-une-a-laudience-de-fixation-du-proces-du-financement-libyen-de-la-campagne-de-sarkozy-les-espri
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par Vincent Vantighem

le 10 Septembre 2024

Il faut bien l’admettre : les « audiences de fixation » ne sont pas les plus palpitantes. Comme leurs noms l’indiquent, elles sont prévues pour « fixer » le cadre des futurs procès. Ici, pas de témoignage tonitruant ni d’interrogatoire musclé. À peine peut-on y découvrir le calendrier du procès à venir. Bien installés dans la trente-deuxième chambre du tribunal judiciaire de Paris, nous en étions donc là de nos espoirs, jeudi 5 septembre, lorsque Christophe Ingrain tenta de dynamiter l’audience de fixation du procès dit du financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, en 2007.

Dans ce dossier tentaculaire, Christophe Ingrain défend justement les intérêts de l’ancien chef de l’État prévenu de faits de « corruption » et de « financement illégal de campagne électorale » avec douze autres hommes dont trois de ses anciens ministres (Éric Woerth, Brice Hortefeux et Claude Guéant). Et après plus de dix ans d’enquête (du 5 janvier 2013 au 24 août 2023 très précisément), et alors que le procès doit s’ouvrir le 6 janvier prochain, l’avocat est venu à la barre réclamer … de nouvelles investigations.

Voix claire et mains bien posées de chaque côté du pupitre, Christophe Ingrain a raconté la découverte que ses collaborateurs ont faite, récemment, « par chance » en épluchant un autre dossier judiciaire. En l’espèce, une note de la direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) favorable à la défense de Nicolas Sarkozy et qui, « par extraordinaire », n’a jamais été versée au dossier…

La note libyenne à l’origine de toute l’affaire

Pour expliquer « l’importance capitale » de cette note de la DGSI, Christophe Ingrain est d’abord revenu à la « genèse » de toute cette affaire. À l’origine « presque biblique » donc, il y a une lettre, écrite en arabe, et publiée par Mediapart en avril 2012. Quelques lignes encadrées par un épais liseré vert sous des chiffres pouvant signifiant une date dans l’ancien et le nouveau calendrier libyen. Traduite, elle fait état d’un « accord de principe » de la Libye de Mouammar Kadhafi pour « appuyer » la campagne électorale du candidat Nicolas Sarkozy à hauteur de cinquante millions d’euros en 2007.

L’affaire est connue : Nicolas Sarkozy et ses conseils ont toujours contesté l’authenticité de ce document, expliquant qu’il s’agissait d’un « faux grossier ». Ils ont saisi la justice d’une enquête pour « faux » et « usage » mais celle-ci s’est conclue par un non-lieu confirmé en appel et validé par la Cour de cassation.

Mais en dépit de ces déboires judiciaires et douze ans après, la défense de l’ancien chef de l’État maintient que le document publié par Mediapart est un faux. Pour eux, l’idée n’est pas ici de paraître têtu. Mais plutôt de contester le premier document de toute cette affaire. La feuille originelle. Celle sur laquelle tout le reste de la procédure est venu, ensuite, se poser. Autrement dit, un moyen de faire vaciller tout l’édifice judiciaire.

Pour Christophe Ingrain, « il y a urgence »

Voilà donc pourquoi Christophe Ingrain y revient en ce jeudi 5 septembre après avoir, dit-il donc, découvert qu’il n’était pas le seul à penser que le document publié par Mediapart est un « faux grossier ». Et de citer donc une « note blanche » de la DGSI, « une analyse » qui prouve que les services secrets ont « travaillé » sur ce sujet et ont « critiqué » l’authenticité de la note libyenne. Lorsqu’on y regarde de plus près, on s’aperçoit que les services français ne prennent pas vraiment position sur la fameuse authenticité de la note libyenne. Mais pas grave. Pour Christophe Ingrain, si cette note de la DGSI existe, peut-être y en-t-il d’autres ! Il demande donc un supplément d’information au tribunal afin de solliciter la déclassification d’éventuels documents similaires émanant de la DGSI (ministère de l’Intérieur) ou de la DGSE (ministère des Armées). « Il y a urgence en ce qui nous concerne », lâche-t-il alors que le procès doit s’ouvrir dans quatre mois tout pile.

Nicolas Sarkozy avait déjà été interrogé sur la note de la DGSI

Bouillant de l’autre côté du prétoire, Vincent Brengarth se lève immédiatement après son confrère Ingrain. Lui représente les intérêts de l’association anticorruption Sherpa, partie civile au procès. Et c’est peu dire qu’il est en colère. « Il y a des défenses inventives et des défenses contreproductives », attaque-t-il, avant de faire part de sa « sidération » face à ce « stratagème piteux à la limite de la manipulation intellectuelle ».

Vincent Brengarth commence ainsi par expliquer que la défense de Nicolas Sarkozy n’a eu accès à cette fameuse note de la DGSI que parce qu’il est mis en examen dans un autre dossier parallèle (celui des fausses rétractations de Ziad Takieddine). Après avoir pointé l’inégalité des armes avec les autres parties, il se livre à un travail de démolition en règle de ladite note des services secrets français.

Rapidement rejoint par le parquet national financier (PNF). Pour ce procès qui s’annonce fleuve (quatre mois d’audience à raison de trois demi-journées par semaine), le PNF a fait descendre trois procureurs et un assistant spécialisé. Quentin Dandoy, l’un des procureurs, se lève donc pour dénoncer la démarcher de Christophe Ingrain. Il commence par expliquer que le document n’est pas une « analyse » de la DGSI mais un échange entre un agent traitant et une de ses sources œuvrant à une manipulation grossière. Il poursuit en indiquant que tous les éléments présents dans la note de la DGSI ont déjà été étudiés. Surtout, il enfonce le clou en expliquant que Nicolas Sarkozy a déjà été interrogé à ce propos. C’était en octobre 2023 lors de l’une de ses multiples mises en examen. Questionné sur le fameux document, l’ancien chef de l’État formulait alors cette réponse : « Ça fait partie des notes blanches de la DGSI que je connais bien, ayant été ministre de l’Intérieur. Ces notes ramassent les ragots qui traînent un peu partout et ne se fondent sur rien de précis ! »

Le procureur se rassoit. La présidente de l’audience, Nathalie Gavarino, propose alors à Christophe Ingrain de reprendre la parole pour défendre à nouveau ses conclusions. Celui-ci préfère éviter. Le tribunal se retire pour délibérer et après une courte suspension, choisit de joindre au fond la demande de supplément d’information, ce qui constitue un rejet implicite de la demande.

Tout le monde se quitte en se donnant rendez-vous le 6 janvier pour le jour de l’ouverture des débats. Avec l’étrange sentiment que le procès a déjà bien débuté…

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